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Conseil d'État, 7ème SSJS, 10/04/2013, 359803, Inédit au recueil Lebon

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Rapporteur : Mme Laurence Marion

Commissaire du gouvernement : M. Bertrand Dacosta

Avocat : HAAS ; SCP DELVOLVE, DELVOLVE


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 mai et 30 août 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la ville de Marseille, représentée par son maire ; la ville de Marseille demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 09MA02065 du 26 mars 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, à la demande de la société Natixis Factor, annulé le jugement du tribunal administratif de Marseille du 7 avril 2009 et condamné la ville de Marseille à payer la somme de 311 186,50 euros à la société Natixis Factor, en réparation du préjudice que lui a causé le comportement d'un agent communal, augmentée des intérêts à compter du 20 décembre 2004 ;

2°) de mettre à la charge de la société Natixis Factor le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Laurence Marion, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Haas, avocat de la ville de Marseille, et de la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de la société Natixis Factor,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Haas, avocat de la ville de Marseille, et à la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de la société Natixis Factor ;



1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la banque du Dôme, aux droits de laquelle est venue la société Natixis Factor, a conclu le 19 octobre 1999 une convention d'affacturage et de compte courant avec la Compagnie nationale des fluides (CNF), par laquelle elle a acquis des créances portant sur des travaux de plomberie, climatisation, sanitaire exécutés dans le cadre de marchés d'entretien et de rénovation signés avec la ville de Marseille pour divers bâtiments communaux ; que faute d'avoir pu en obtenir le paiement au motif qu'elles portaient sur des travaux non réalisés ayant fait l'objet de faux certificats de paiement, la société Natixis Factor a saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à ce que la ville de Marseille soit condamnée à lui payer la somme de 311 186,50 euros ; que le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande par un jugement du 7 avril 2009 ; que la cour administrative d'appel de Marseille, saisie par la société Natixis Factor, a annulé ce jugement et condamné la ville de Marseille à lui verser la somme demandée ; que la ville de Marseille se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;

2. Considérant que le juge d'appel, auquel est déféré un jugement ayant rejeté au fond des conclusions sans que le juge de première instance ait eu besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées devant lui, ne peut faire droit aux conclusions d'appel qu'après avoir écarté expressément ces fins de non-recevoir, alors même que le défendeur, sans pour autant les abandonner, ne les aurait pas reprises en appel ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la ville de Marseille avait opposé devant le tribunal administratif une fin de non-recevoir, tirée de ce que le contentieux n'était plus lié par la demande préalable présentée par le requérant en raison de la modification de ses prétentions indemnitaires en cours d'instance ; que la cour administrative d'appel de Marseille, en faisant droit aux conclusions de la société Natixis Factor sans avoir au préalable écarté cette fin de non-recevoir qui n'avait pas été expressément abandonnée par la ville de Marseille, a méconnu son office ; que son arrêt doit, pour ce motif, être annulé ;

4. Considérant qu'il y a lieu, pour le Conseil d'Etat, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

5. Considérant que la société Natixis Factor forme régulièrement appel, et dans le délai qui lui était imparti, contre le jugement par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la ville de Marseille à lui payer la somme de 311 186,50 euros ;

Sur la recevabilité de la demande d'indemnisation de la société Natixis Factor :

6. Considérant que dans un courrier du 20 décembre 2004, la société Natixis Factor a saisi la ville de Marseille d'une demande préalable d'indemnisation du préjudice résultant " de la faute commise par son agent, M. A...B..., à l'occasion de l'accomplissement de son service ou au moins du fait d'une faute personnelle de ce dernier non dépourvue de tout lien avec le service grâce à des moyens que le service a mis à sa disposition, fautes qui engagent en même temps la responsabilité de M. A...B...et celle de la ville de Marseille " qu'elle évaluait à 4 767 027,03 euros ; que la ville de Marseille n'est pas fondée à soutenir que cette demande préalable ne serait plus de nature à lier le contentieux compte tenu de ce que dans un mémoire ultérieurement produit devant le tribunal administratif, la société Natixis Factor aurait modéré sa demande d'indemnisation en se bornant à solliciter une somme de 311 186,50 euros sur le même fondement ;

7. Considérant que, contrairement à ce que soutient la ville de Marseille, la circonstance que les faux en écriture dont s'est rendu coupable M. B...aient été commis à l'occasion de l'exécution de marchés d'entretien conclus entre la ville de Marseille et la Compagnie nationale des fluides, dans les droits de laquelle la société Natixis Factor a été subrogée dans le cadre d'une convention d'affacturage, ne fait pas obstacle, en tout état de cause, à ce que cette dernière recherche la responsabilité de la commune au titre de sa responsabilité extra contractuelle dès lors que le dommage ne saurait être regardé comme résultant d'une exécution défaillante du contrat public ; qu'ainsi la circonstance que la créance en cause ne serait pas exigible faute de service fait est sans conséquence sur le droit à réparation de la société Natixis Factor ;

Sur la responsabilité de la ville de Marseille :

8. Considérant que la victime non fautive d'un préjudice causé par l'agent d'une administration peut, dès lors que le comportement de cet agent n'est pas dépourvu de tout lien avec le service, demander au juge administratif de condamner cette administration à réparer intégralement ce préjudice, quand bien même une faute personnelle commise par l'agent devrait être regardée comme détachable du service ;

9. Considérant qu'il résulte de l'instruction que par un arrêt du 16 novembre 2005, devenu définitif, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a, d'une part, confirmé le jugement du tribunal correctionnel de Marseille du 31 janvier 2003 condamnant M.B..., responsable de la division Nord des services de la ville de Marseille, à payer à la société Natixis Factor la somme de 311 186,50 euros en réparation du préjudice causé par les faux en écriture dont il a été reconnu coupable et, d'autre part, condamné l'intéressé à dix-huit mois d'emprisonnement dont six avec sursis et à l'interdiction d'exercer dans la fonction publique pendant cinq ans ; que les agissements de M. B...constatés par le juge pénal portaient sur l'établissement de faux certificats de paiement au titre de travaux non réalisés par la société Compagnie nationale des fluides titulaire d'un marché de la ville de Marseille ; que ces agissements sont constitutifs d'une faute grave commise par un agent de la ville de Marseille dans l'exercice de ses fonctions et ne sont, par suite, pas dépourvus de tout lien avec le service ; qu'ainsi la société Natixis Factor est fondée à demander à la ville de Marseille la réparation du préjudice du fait des faux en écriture commis par M.B..., indépendamment des conditions de solvabilité de l'intéressé et alors même que la faute de cet agent doit être regardée comme détachable du service ; que cette dernière circonstance permet seulement à la ville de Marseille, condamnée à assumer les conséquences de cette faute personnelle, d'engager une action récursoire contre cet agent dès lors qu'elle aura été subrogée à concurrence de la somme correspondant au préjudice subi, aux droits résultants pour la société Natixis Factor des condamnations qui auraient été ou seraient susceptibles d'être prononcées à son profit contre M. B...à raison des mêmes faits par l'autorité judiciaire ;

Sur le préjudice :

10. Considérant que le préjudice de la société Natixis Factor a été fixé par les juridictions judiciaires à 311 186,50 euros à la date du 31 janvier 2003, comme correspondant au montant des certificats pour paiement de travaux non réalisés sur lesquels M. B...a néanmoins apposé sa signature et son timbre humide ; qu'il y a lieu, par suite, de condamner la ville de Marseille à verser cette somme à la société Natixis Factor, assortie des intérêts à compter du 20 décembre 2004, la ville étant subrogée dans les droits de la société Natixis Factor dans la créance que celle-ci détient à l'encontre de M. B...dans la limite de ce montant ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Natixis Factor est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Natixis Factor, qui n'est pas la partie perdante de la présente instance, les sommes que demande la ville de Marseille au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche de faire droit à la demande présentée par cette société et de mettre à la charge de la ville de Marseille la somme de 6 000 euros sur le fondement des mêmes dispositions au titre de l'ensemble de la procédure ;




D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 26 mars 2012 et le jugement du tribunal administratif de Marseille du 7 avril 2009 sont annulés.
Article 2 : La ville de Marseille est condamnée à verser à la société Natixis Factor la somme de 311 186,50 euros, avec intérêts à compter du 20 décembre 2004, la ville étant subrogée à la société Natixis Factor, à concurrence de cette somme, dans les droits qui résulteraient pour elle des condamnations qui ont été définitivement prononcées à son profit contre M. B...à raison des mêmes faits par l'autorité judiciaire.
Article 3 : La ville de Marseille versera une somme de 6 000 euros à la société Natixis Factor au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la ville de Marseille tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la ville de Marseille et à la société Natixis Factor.

Source : DILA, 23/03/2016, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

ECLI:FR:CESJS:2013:359803.20130410

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Conseil d'État

Date : 10/04/2013