Domaine privé régi par le droit privé
Par définition, le domaine privé des collectivités et des établissements publics est régi par le droit privé et, notamment, par les règles définies par le
Code civil
. Dans cette perspective, il va de soi que l’activité par laquelle une personne publique gère son domaine immobilier privé ne constitue pas, par elle-même, une mission de service public (
TC, 15 janvier 2007, Mme Ourahmoune c/ Ville de Paris, req. n° 3521
, Rec. 591).
Une délibération par laquelle un conseil municipal autorise le maire de la commune à conclure un contrat de location de terrains faisant partie du domaine privé de la commune ne met en œuvre aucune prérogative de puissance publique distincte de l’exercice par un particulier de son droit de propriété ; elle n’est donc pas détachable de la gestion de ce domaine privé et les litiges dont elle fait l’objet relèvent, en conséquence, de la compétence des seuls tribunaux de l’ordre judiciaire (
CE, 30 décembre 1998, Association pour la protection du site de la zone industrielle de Dommartin-lès-Remiremont, req. n° 160313
).
Citons un arrêt qui pose le principe de la compétence des juridictions administratives dans les termes les plus clairs :
« Considérant que la contestation par une personne privée de l’acte, délibération ou décision du maire, par lequel une commune ou son représentant, gestionnaire du domaine privé, initie avec cette personne, conduit ou termine une relation contractuelle, quelle qu’en soit la forme, dont l’objet est la valorisation ou la protection de ce domaine et qui n’affecte ni son périmètre ni sa consistance, ne met en cause que des rapports de droit privé et relève, à ce titre, de la compétence du juge judiciaire ; qu’il en va de même de la contestation concernant des actes s’inscrivant dans un rapport de voisinage » (
TC, 22 novembre 2010, SARL Brasserie du Théâtre c/ Commune de Reims, req. n° 3764
).
Tout particulièrement, si un bien qui fait partie du domaine privé d’une collectivité, en l’absence d’une clause exorbitante du droit commun, ressortissent à la compétence de la juridiction judiciaire les litiges qui opposent :
- le locateur au bailleur personne publique. Voir par exemple pour une augmentation de loyer :
TC, 22 mai 1995, Punter, req. n° 2942
;
TC, 13 janvier 1997, Grasset c/ Département de la Martinique, req. n° 2979
et, a contrario, le contrat de location comportant des clauses exorbitantes du droit commun ;
TC, 17 octobre 1988, Ministre de l’Économie et des Finances c/ Mlle Jean, req. n° 2530
, Rec. 493 ;
- le bailleur et le preneur à bail d’un terrain appartenant au domaine privé d’une commune, alors même que le contrat avait été conclu en vue de permettre l’installation d’une usine de fabrication de composants en béton devant être utilisés pour la construction de « logements évolutifs sociaux » (
CE, 26 septembre 2007, Société Procédés et Matériels de Construction, req. n° 247277
) – le Conseil d’État prend soin de préciser que le contrat ne comporte pas de clause exorbitante et qu’il ne fait pas participer la société à l’exécution de travaux publics ;
- un agent recruté par une personne publique pour participer à la gestion de son domaine privé à son employeur (TC, 15 janvier 2007, Mme Ourahmoune c/ Ville de Paris, préc. : l’activité par laquelle une personne publique gère son domaine immobilier privé ne constitue pas, par elle-même, une mission de service public ; par suite, à défaut de disposition législative contraire, les agents recrutés pour participer à cette activité sont soumis à un régime juridique de droit privé et il n’appartient qu’aux juridictions de l’ordre judiciaire de connaître du litige qui oppose une personne publique à un agent à la suite de la décision prise de le licencier de ses fonctions de gardien d’un immeuble appartenant au domaine privé de la commune).
Conséquences contentieuses
Ressortissent aussi à la compétence des juridictions judiciaires les litiges relatifs à :
- un contrat de vente d’un immeuble dépendant du domaine privé d’une commune (
TC, 27 avril 1981, Association des propriétaires du lotissement de la Guichardais c/ Commune de Redon, req. n° 2192
, Rec. T. 641, 642 et 653 ;
CE, 27 juillet 1979, Carot et a., req. n° 96245 et req. n° 96246
, Rec. 342 ;
CE, 29 février 1980, Mme Rivière, req. n° 12828
, Rec. 122) ;
- l’engagement de la responsabilité contractuelle d’une commune du fait des conditions dans lesquelles s’est poursuivie la vente d’un immeuble ou de ses conséquences (CE, 29 février 1980, Mme Rivière, préc.) ;
- l’indemnisation d’un préjudice imputé à la rupture abusive par une commune des pourparlers engagés et relatifs à la réalisation d’un complexe d’activités multiples sur un terrain faisant partie du domaine privé de la collectivité publique (
TC, 24 avril 2006, Société Fraday c/ Commune de Gujan-Mestras, req. n° 3500
) ;
- l’exécution d’une convention par laquelle une collectivité publique autorise, à titre gratuit, l’occupation temporaire d’un bien faisant partie de son domaine privé (CAA Versailles, 13 octobre 2005, Époux Bourjac, req. n° 05VE0996, JCP A 12/2005 n° 216, note G. Pellissier).
- la convention d’occupation temporaire, par laquelle une communauté urbaine met à la disposition d’une entreprise de plomberie, pour une durée de deux ans, un immeuble à usage d’entrepôt et de bureaux appartenant à son domaine privé (
TC, 20 février 2008, M. et Mme Verrière c/ Communauté urbaine de Lyon, req. n° 3623
, Dr. adm. 5/2008 n° 64, note F. Melleray). Dans cette affaire, le Tribunal des conflits prend soin de relever préalablement qu’une clause, qui permet au propriétaire de reprendre la jouissance de l’immeuble à tout moment et pour tout motif, sans indemnité, sous réserve d’un préavis d’un mois, ne constitue pas une clause exorbitante du droit commun.
Et si le juge des référés du tribunal administratif peut seul connaître d’une requête tendant à l’expulsion d’un occupant d’immeubles relevant du domaine privé d’une collectivité publique lorsque le contrat relatif à l’occupation de ces immeubles a le caractère d’un contrat de droit public (
CE, 14 octobre 2005, Commune de Chantonnay c/ Mme Robert et M. Partida, req. n° 275446
, BJCL 11/2005 p. 789, concl. L. Olléon), le litige relatif à l’expulsion d’un occupant sans droit ni titre après l’expiration de la convention autorisant l’occupation d’une dépendance du domaine privé relève de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire alors même que cette convention avait le caractère d’un contrat de droit public (
CE, 10 octobre 2003, Meunier, req. n° 250493
;
TC, 14 décembre 2009, Syndicat mixte de gestion du canal d’Orléans c/ Mme Meddeb, req. n° 3715
).
Offices publics de l’habitat
Signalons qu’avant la mise en place des offices publics de l’habitat par la
loi ENL
en 2007, offices qui ont le statut d’établissement public à caractère industriel et commercial, il était jugé que, si les offices publics d’habitations à loyer modéré sont des établissements publics à caractère administratif, les logements dont ils sont propriétaires s’analysent comme appartenant à leur domaine privé (
CE, 23 février 1979, Vildart, req. n° 09663
). Cette jurisprudence est applicable aux logements des OPH. Il en résulte que, quelles que soient les clauses des contrats, les litiges auxquels peuvent donner lieu l’exécution de ces baux ou le recouvrement des loyers dus par les locataires relèvent de la compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire (
TC, 22 octobre 1979, Mme Rulhe c/ OPHLM de Toulouse, req. n° 02124
, Rec. T. 666, 678 et 792 ;
TC, 15 décembre 1980, Jaouen c/ OPHLM de la ville de Paris, req. n° 02164
, Rec. 513). De même, relève de la compétence des juridictions judiciaires le jugement d’un litige relatif à la convention par laquelle un office a mis à la disposition d’un pharmacien un terrain destiné à faire partie du centre commercial d’un ensemble d’habitations, à charge pour l’intéressé d’y faire construire un local à usage d’officine et d’exploiter celle-ci, il s’agit d’un acte relatif à la gestion du domaine privé de l’office, analogue aux conventions qui ont été passées par l’office avec d’autres commerçants (
TC, 2 juin 1975, Salas c/ OPHLM de la ville de Toulouse, req. n° 2003
).
Dans cette dernière affaire, le Tribunal des conflits prend soin de relever que la convention n’a pas eu pour effet de faire participer directement le cocontractant au service public du logement géré par l’office et qu’à supposer que certaines de ses clauses, qui ne sont pas dérogatoires au droit commun, puissent être regardées comme nulles et de nul effet en application de la législation des baux commerciaux, il n’en résulte pas que les parties aient entendu se placer en-dehors des règles du droit privé, alors que l’intention contraire ressort de l’ensemble des stipulations du contrat, notamment de celles qui prévoient le versement d’un « pas-de-porte » et, en cas d’inexécution des obligations mises à la charge de l’intéressé, la « constatation » de la résiliation par ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance.
Vente de biens immobiliers du domaine privé de l’État
Bien sûr, le droit public n’est pas totalement absent. Ainsi, relève de la compétence du juge administratif le contentieux des contrats de vente de biens immobiliers dépendant du domaine privé de l’État – en vertu de l’article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII attribuant compétence à la juridiction administrative en matière de « contentieux des domaines nationaux » et soustrayant à la compétence de l’autorité judiciaire les litiges relatifs aux contrats de vente de biens immobiliers dépendant du domaine privé de l’État (
CE, 29 mai 1968, Société des anciens établissements Barbier, Bénard et Turenne, req. n° 70761
).
L’
article 7-IV de l’ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006
relative à la partie législative du Code général de la propriété des personnes publiques disposait que « sont et demeurent abrogés […] l’article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII ». Cette abrogation avait été qualifiée d’« accident de codification » par Emmanuel Glaser (concl. sur
CE, 7 août 2008, SA de gestion des eaux de Paris, req. n° 289329
, BJCP 2008, n° 62, p. 40 concl.).
Cependant, l’
article 138-I-18° de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009
de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures, qui dispose que « sont ratifiées […] l’ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du Code général de la propriété des personnes publiques », valide cette abrogation et empêche, du même coup, que sa régularité soit « susceptible d’être discutée par la voie contentieuse » (
CE, 8 décembre 2000, Gouvernement de la Polynésie française, req. n° 201816
).
Mais l’
article R. 3231-1 du Code général de la propriété des personnes publiques
précise que « l’administration chargée des domaines a seule qualité pour suivre les instances intéressant les biens de l’État autres que ceux mentionnés à l’article R. 2331-1, dès lors que le litige porte sur la validité ou l’interprétation des conventions relatives à la cession des biens de l’État ou sur l’application des conditions financières de ces conventions ».
Et surtout, l’
article L. 3231-1
de ce même code pose clairement la règle selon laquelle : « Sont portés devant la juridiction administrative les litiges relatifs aux cessions des biens immobiliers de l’État ».
La juridiction administrative était et demeure compétente pour connaître de recours dirigés contre les décisions administratives relatives à l’aliénation de ces biens et ce, même en l’absence d’un contrat en bonne et due forme (
CE, 4 novembre 1983, Maurel, req. n° 45617
, Rec. 449 ;
CE, 15 février 1989, Vandal, req. n° 65301
, Rec. 56)
Précisons par ailleurs que la régularité des décisions administratives relatives à des opérations de vente de biens immobiliers relevant du domaine privé de l’État peut être contestée par les tiers par la voie du recours pour excès de pouvoir (
CE, 5 février 1971, X…, req. n° 78386
).