Arrêt du CE, 15 juillet 1960, Dame Cardona, req. no 38.881, relatif à la portée d'une démission donnée verbalement

Requête de la dame Cardona (Mireille), tendant à l'annulation d'un jugement du tribunal administratif d'Orléans, en date du 18 mai 1956, qui a rejeté sa demande tendant à être établie dans ses fonctions de secrétaire de mairie et à percevoir son traitement depuis son éviction illégale du service ;

Vu la loi du 28 avril 1952 ; le décret du 5 mai 1934 ; l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué  :

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 3 du décret du 5 mai 1934 que les tribunaux administratifs peuvent valablement se compléter en cas de vacance ou d'empêchement, par l'adjonction de conseillers appartenant aux tribunaux administratifs les plus proches ; que, contrairement à ce que soutient la requérante, aucune disposition du décret précité et aucun des principes généraux du droit applicable en la matière n'obligeait le tribunal administratif d'Orléans à mentionner dans son jugement l'empêchement du conseiller remplacé ;

Sur la légalité de la décision mettant fin aux fonctions de la requérante  :

Considérant que, par arrêté en date du 10 février 1955, le maire de Villechauve a nommé, à compter du 6 février 1955, le sieur nouveau secrétaire de mairie en remplacement de la dame Cardona, qui aurait donné oralement sa démission le 5 février 1955 ;

Considérant qu'aux termes de l'article 79 de la loi du 28 avril 1952 portant statut du personnel communal, « la démission ne peut résulter que d'une demande écrite de l'intéressé marquant sa volonté non équivoque de cesser ses fonctions » ; qu'en admettant que la dame Cardona ait fait connaître au maire le 5 février 1955 qu'elle donnait sa démission, il est constant que cet agent n'a pas exprimé par écrit son intention de ne plus continuer à exercer ses fonctions et que la production d'un tel document ne lui a pas été, d'ailleurs, demandée ; que les dispositions législatives susreproduites font obstacle à ce qu'une démission donnée oralement par un fonctionnaire communal puisse être regardée comme valable ; que, dès lors, le maire de Villechauve, en faisant état de la démission donnée oralement par la requérante pour procéder à son remplacement dans son emploi, a méconnu les prescriptions de l'article 79 précité de la loi du 28 avril 1952 et commis un excès de pouvoir ;

Considérant, il est vrai, que les premiers juges ont estimé que la dame Cardona, qui aurait cessé son travail aussitôt après avoir donné sa démission le 5 février 1955, aurait ainsi rompu le lien qui l'unissait à l'administration et s'était placée, par son fait, en dehors du champ d'application des lois et règlements édictés en vue de garantir l'exercice des droits afférents à un emploi de fonctionnaire communal ; mais que, le maire de Villechauve ayant pourvu dès le 6 février 1955 au remplacement de l'intéressée dans ses fonctions, la requérante ne saurait, en tout état de cause, être regardée comme ayant abandonné son poste dans des conditions de nature à entraîner la rupture du lien susmentionné ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la dame Cardona est fondée à soutenir que le maire de Villechauve a mis fin illégalement à ses fonctions ;

Sur l'indemnité :

Considérant que le maire, en prenant à l'encontre de la dame Cardona la mesure illégale susmentionnée, a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune ; que si, en l'absence de service fait, la requérante ne peut prétendre au paiement des émoluments qu'elle aurait perçus si elle était demeurée en fonctions, il résulte de l'instruction que, dans les circonstances de l'affaire, il sera fait une exacte application de la réparation à laquelle a droit l'intéressée pour la période comprise entre la date de son éviction et celle de la présente décision en condamnant la commune de Villechauve à lui payer une indemnité de 3 000 NF y compris tous intérêts échus au jour de la présente décision ;

Sur les dépens de première instance  :

Considérant que, dans les circonstances de l'affaire, ces dépens doivent être mis à la charge de la commune de Villechauve ; ... (Annulation du jugement et de l'arrêté du maire ; commune de Villechauve condamnée à payer à la dame Cardona une indemnité de 3 000 NF qui portera intérêts au taux légal à compter du jour de la présente décision ; dépens de première instance et d'appel supportés par la commune de Villechauve ; rejet du surplus.)