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Philippe Canot, président de Communes forestières France : “À l’heure du réchauffement climatique, comment va résister la forêt ?”

Développement durable

La Fédération nationale des Communes forestières organisait récemment son congrès 2025 dans les Alpes-de-Haute-Provence à Château-Arnoux-Saint-Auban (19 au 20 juin). L'occasion de mettre en lumière le rôle des communes dans la gestion globale des forêts et l'adaptation de ces dernières au réchauffement climatique. Entretien avec le président de Communes forestières France, Philippe Canot, par ailleurs maire de Sécheval, dans les Ardennes.

Pouvez-vous présenter en quelques mots Communes forestières France, qui vient d’ailleurs de changer d’appellation.

Créée en 1933, avec plus de 6 000 adhérents, Communes forestières France constitue un réseau politique et technique qui s’appuie sur l’expertise de ses élus et de ses salariés pour la valorisation de la forêt et de la filière forêt-bois. La fédération donne aux élus les moyens d’agir pour une gestion durable et multifonctionnelle des forêts, à savoir l’équilibre entre les fonctions économiques, environnementales et sociales, en les formant et en mettant en place des programmes innovants sur toutes les questions forestières.

Quand on parle d’une commune forestière, de quoi parle-t-on précisément ?

On parle de collectivités concernées par la forêt : par ses usages, ses bénéfices, ses enjeux, qu’elles soient propriétaires ou non.

Parmi les revendications que vous portez, celle relevant de l’intégration dans le régime forestier de tout ou partie des 850 000 hectares de forêts de collectivités qui n’en bénéficient pas encore et la sortie du régime forestier de certains espaces non forestiers. De quoi s’agit-il ? Quel est l’enjeu de relever un tel défi ?

Nous travaillons depuis plusieurs années avec l’ONF dans le cadre de notre convention 2022-2025 sur le régime forestier. Ce dispositif assure une gestion durable et multifonctionnelle des forêts publiques, conciliant objectifs économiques, environnementaux et sociaux. Cependant, à ce jour, 850 000 hectares de forêts appartenant aux collectivités ne sont toujours pas placés sous ce régime. De plus, certains espaces qui ne sont pas à proprement parler forestiers devraient en être exclus. Aujourd’hui le principal point de blocage vient de l’État. Selon la loi, c’est au préfet qu’il revient de soumettre une forêt au régime forestier. Or, le rapport de la Cour des comptes souligne qu’intégrer 100 000 hectares supplémentaires nécessiterait la création d’environ 70 équivalents temps plein à l’ONF. Ainsi, pour les 850 000 hectares concernés, près de 600 agents supplémentaires seraient nécessaires. On imagine aisément la réponse réservée à une telle requête dans le contexte budgétaire actuel. Et pourtant, l’enjeu est crucial : ces forêts doivent faire l’objet d’une gestion adaptée afin de mieux faire face aux effets du changement climatique.

Les plans d’aménagement forestiers sont-ils toujours adaptés à l’urgence du défi climatique ?

Les plans d’aménagement forestier sont établis pour une durée de 20 ans. Toutefois, face aux effets du changement climatique, il devient indispensable de pouvoir les adapter en cours de période. Il est en effet impossible, à l’heure actuelle, de tout anticiper sur un horizon aussi long. L’exemple des scolytes, qui ont rendu caducs les plans d’aménagement dans certains territoires, en est une illustration frappante. Nous ne réclamons pas une révision complète de ces plans, mais l’introduction d’une certaine flexibilité est nécessaire.

En quoi une réelle stratégie nationale contre le morcellement foncier sans gestion forestière est-elle une nécessité ?

Il est essentiel de faciliter la reprise des biens vacants et sans maître, notamment en simplifiant les procédures d’échange foncier afin de regrouper ces îlots forestiers dispersés, qui constituent souvent des foyers potentiels de risques sanitaires ou d’incendies. Cette année, huit nouveaux départements sont soumis aux obligations légales de débroussaillement, et les parcelles à l’abandon représentent de véritables mèches prêtes à s’embraser.
Nous recommandons d’élargir le périmètre du droit de préférence des communes, en le faisant passer de 4 à 10 hectares, pour leur permettre de mieux répondre à ces enjeux. Toutefois, si des acteurs privés souhaitent reprendre et entretenir ces terrains, cela ne pose aucun problème : l’essentiel est qu’ils soient gérés.
Il faut également porter une attention particulière aux parcelles situées en lisière de forêt, autrefois à usage agricole, mais aujourd’hui boisées faute d’entretien. Or, les données de la DGFiP et celles de l’IGN divergent fortement sur ce point. Il est indispensable de reconnaître l’évolution effective de ces terrains et d’en tirer les conséquences. Cela impliquerait certes une révision de valeur de la base d’imposition – les bois étant généralement moins taxés que les terres agricoles -, mais des solutions de compensation ou le maintien temporaire de l’assiette fiscale pourraient être envisagés.
Enfin, un tel inventaire nécessite des moyens humains et financiers, ainsi qu’un engagement clair de l’État. Sans volonté politique, aucune avancée concrète ne sera possible.

Vous souhaitez aussi la création d’une cellule nationale d’anticipation des impacts climatiques sur la forêt et le bois. Quels sont justement les impacts du réchauffement climatique sur les forêts ?

Les impacts du réchauffement climatique se font déjà sentir sur nos forêts, avec la multiplication des parasites (les scolytes sur les épicéas, la chalarose du frêne), des évènements climatiques dévastateurs tels que les tempêtes, les incendies de forêts. Beaucoup d’arbres dépérissent sur pieds à cause de stress hydrique. De nombreux membres de la filière traite la question des risques mais la difficulté est le partage des connaissances. Il est indispensable que l’État réunisse tout le monde autour de la table. À l’heure où l’on nous explique qu’on dépassera en France les 50°C en 2050, comment va résister la forêt ? Il est évident que l’on ne pourra pas continuer à replanter à l’identique, à conserver nos habitudes. La régénération naturelle n’est pas toujours possible. Mais que faut-il replanter ? Il faut une réelle vision à long terme, impliquant toute la filière – que deviendront les scieries sans épicéas – et toutes les expertises, celle des météorologues, des géologues alors que l’état des sols est un enjeu crucial, etc. C’est pour cette raison que nous avons proposé la création de cette cellule nationale d’anticipation pour faire face aux défis climatiques. Nous avons besoin que l’État s’engage sur toutes ces questions.

Stéphane Menu

Posté le 02/07/25 par Rédaction Weka