Le sujet de la normalisation reste peu familier à bon nombre d’organismes, qui ne la pratiquent pas ou qui en ont une vision caricaturale et bureaucratique, illustrée par Boris Vian, ancien collaborateur de l’Afnor, dans son poème “La norme des hublots”. La norme 53800 est utilisable par tout type d’organisation quels que soient sa taille et son degré de maturité. La mettre en lumière paraît d’autant plus crucial que les travaux du groupe de projet international ont été arrêtés pour l’instant, à l’initiative de l’ISO, quelque temps après l’élection de Donald Trump. Parallèlement, en France, un amendement au projet de loi de simplification de la vie économique a été déposé en vue de supprimer la Commission de labellisation du label “diversité” au mois d’avril dernier.
Qu’est-ce qu’une norme ISO ?
Une norme ISO est un ensemble de spécifications et de règles directrices internationalement reconnues, élaborées par l’Organisation internationale de normalisation (ISO), organisation non gouvernementale créée en 1947 et dont le siège est situé à Genève. Les normes ISO visent à établir des règles, des lignes directrices ou des exigences internationales communes pour garantir la qualité, la sécurité, l’efficacité et l’uniformité des produits, des services ou des systèmes de management dans les secteurs privés et publics.
En résumé, une norme élaborée par l’ISO a pour vocation : d’unifier les pratiques au niveau international ; de garantir la sécurité et la qualité des produits et services au profit des consommateurs et des partenaires ; d’optimiser les processus des organisations en vue de réduire les coûts et viser l’efficience ; de renforcer l’image de marque par le sérieux attribué à la certification ISO ; de contribuer au développement durable par certaines normes qui visent à réduire l’impact environnemental ; de participer à l’innovation dans tous les domaines.
Elle a donc pour finalité de répondre aux grands défis mondiaux : la santé, l’environnement, le droit et le social comme par exemple l’égalité femmes-hommes.
Ainsi la norme 53800 a pour objet de répondre à des questions qui relèvent entre autres : de la santé, des droits humains et de l’environnement en participant aussi à la réalisation de l’Agenda 2030 et notamment de l’Objectif de développement durable numéro 5.
Un rôle prédominant de la France
C’est dans le domaine de l’égalité femmes–hommes qu’en 2021 la France, par l’intermédiaire d’Afnor Normalisation, a proposé la création d’une norme internationale au sein d’un Comité de Projet ISO “Gender Equality”, dont la première réunion avait rassemblé 35 pays (Espagne, Italie, Argentine, Costa Rica, Gabon…) en février 2022. Cette initiative française avait été précédée par la réalisation d’un document “AFNOR SPEC”, élaboré par 60 experts de 30 organisations françaises en vue de servir de guide méthodologique, de les aider à établir des stratégies en matière d’égalité et à identifier leurs actions pour atteindre leurs objectifs. Ce document avait été publié en juin 2021.
Le comité de projet ISO a ensuite été dénommé : “Guidelines for promotion and implementation of gender equality and women’s empowerment” (Lignes directrices relatives à la promotion et à la mise en œuvre de l’égalité entre les femmes et les hommes et à l’empouvoirement des femmes) et a donc été piloté par la France.
Il comportait 61 membres dont 37 membres participants et 24 observateurs. Ces membres sont des organismes nationaux de normalisation, pour la France, il s’agit de l’Afnor. La France a ainsi joué un rôle prédominant pour l’élaboration et le pilotage de ce texte qui a pris par la suite le nom de norme ISO 53800, et qui a été publiée officiellement au mois de mai 2024.
Que recouvre la norme ISO 53800 ?
La norme 53800 a pour objectif de parvenir à l’égalité entre les femmes et les hommes, c’est à dire l’égalité des droits, des responsabilités et des chances entre les femmes et les hommes et entre les filles et les garçons, de sorte que personne ne soit lésé ou discriminé en raison de son sexe. Elle s’adresse à tous les organismes privés ou publics : collectivités territoriales, entreprises, grandes sociétés, associations, TPE, PME.
L’égalité entre les femmes et les hommes est une thématique universelle, qui n’est pas seulement l’affaire des femmes. Parce qu’au niveau mondial, seule une femme sur deux est intégrée au marché du travail, les femmes restent minoritaires dans les organes de gouvernance ; notons que les femmes et les filles consacrent plus de temps que les hommes et les garçons aux activités de soins aux personnes et aux tâches domestiques non rémunérées.
Parce que les femmes restent encore sous représentées dans certains domaines comme la banque, l’assurance, la gestion d’actifs, la recherche économique, ces professions restent des domaines majoritairement masculins1.
Pourquoi l’utiliser ?
Il faut utiliser cette norme car elle est universelle dans sa portée et son mode d’élaboration. Le document de présentation de cette Norme rappelle en effet : « L’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que l’empouvoirement des femmes ne sont pas des questions réservées aux femmes (…) il s’agit en effet d’une question de droits humains, pour tous les types d’organisation dans un grand nombre de pays »2. La question de l’égalité est bien l’affaire de tous et cette norme est universellement rédigée par des représentants des cinq continents.
Dans le domaine public, si l’on s’en tient, par exemple, aux collectivités territoriales, mettre en œuvre cette norme s’inscrit tout à fait dans les possibilités reconnues de celles-ci d’utiliser leur autonomie et de mettre pleinement en œuvre le principe de libre administration.
De façon plus générale la mise en œuvre de cette norme constitue des opportunités intéressantes pour tous les types d’organisation : opportunité managériale pour transformer son organisation, opportunité de valoriser le dialogue social, opportunité de valoriser son organisation, opportunité de rayonner à l’intérieur comme à l’extérieur grâce à son coté innovant, opportunité de la rendre plus attractive.
Un outil pratique, opérationnel et démocratique
L’autre avantage de mettre en œuvre la norme 53800 est qu’elle constitue un outil pratique et opérationnel d’élaboration et d’évaluation s’appuyant sur une méthodologie éprouvée : réaliser un état des lieux, identifier les parties prenantes, identifier les domaines d’actions, prioriser les domaines d’actions, élaborer un plan d’actions, associer les parties prenantes.
Il s’agit aussi d’un choix démocratique. En mettant en œuvre cette norme, les organisations souscrivent aux valeurs prônées par la France qui s’inscrivent dans une tradition démocratique.
Actuellement, l’ISO a suspendu les travaux du groupe de projet international. Pour sa part, la France a fait le choix de poursuivre ses travaux par l’intermédiaire de la commission de normalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes, présidée par Madame Lena Harikiopoulos Cordova, experte du domaine. La poursuite de ces travaux au niveau national permet de garantir la relance future de ceux de la commission internationale, en assurant une continuité et un suivi du domaine.
Quelles perspectives ?
En vue de rendre attractive la norme 53800 auprès des différents types d’organisations qui pourraient la mettre en œuvre, il convient de s’attacher dans le futur à élaborer une démarche de certification partielle ou totale. Certains pays comme l’Espagne ont déjà avancé sur ce sujet.
Cette norme est amenée à évoluer. C’est ainsi que la France, représentée par l’Afnor, a décidé de créer cinq sous-commissions au sein de la commission de normalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes en vue d’accompagner ce développement. Les cinq thèmes choisis sont : les indicateurs clés, groupe piloté par Lena Harikiopoulos Cordova ; les femmes et le pouvoir économique, groupe piloté par Élodie Moulis ; l’entreprenariat féminin, groupe piloté par Alexandra Dimian ; les femmes et les sciences, groupe piloté par Mireille Pequignot ; la santé des femmes, groupe piloté par Françoise Belet.
Initier et mettre en œuvre une démarche de cette nature représente une tâche ardue, qui nécessite de convaincre, d’oser et de faire preuve de courage. La norme ISO 53800 ne doit pas rester le domaine de quelques initiés ; le soutien indéfectible du pouvoir politique et un financement d’accompagnement à la hauteur du sujet représentent deux conditions préalables à la réussite de sa mise en œuvre.
Élodie Moulis, Administratrice territoriale, Membre de la commission de normalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes
1. Le Monde 9 et 10 juin 2025
2. Extrait de la norme ISO 53800