À l’approche des élections municipales de mars 2026, la démocratie locale se prépare à une évolution décisive : l’extension du scrutin de liste paritaire aux communes de moins de 1 000 habitants. Cette mesure, issue de la loi n° 2025-444 du 21 mai 2025, poursuit un objectif légitime – renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes – mais son application uniforme interroge profondément.
Risque d’absence de conseil municipal élu
Certes, la loi permet le dépôt de listes incomplètes. Mais cette possibilité n’atténue que partiellement la contrainte : la parité et l’ordre alterné demeurent obligatoires. Dans un contexte marqué par la difficulté à trouver des volontaires, cette exigence peut suffire à décourager des habitants pourtant prêts à s’engager. Le risque n’est plus théorique : faute de candidatures, certaines communes devront organiser des élections partielles, voire être placées sous tutelle préfectorale.
L’absence de conseil municipal élu n’est pas une hypothèse abstraite : elle signifierait pour les habitants la perte, même temporaire, de leur pouvoir de décision collective.
Engagements individuels et consensus ponctuels
Au-delà de cette difficulté pratique, une autre question se pose : quel modèle de démocratie voulons-nous pour les petites communes ? Le scrutin de liste impose de présenter un projet global et une équipe soudée, là où, traditionnellement, les villages fonctionnent sur la base d’engagements individuels et de consensus ponctuels.
Imposer un bloc homogène, c’est réduire la possibilité de faire entendre des voix indépendantes, voire d’exprimer une opposition constructive. Or, le pluralisme politique, reconnu comme un principe de valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel (décision n° 89-271 DC du 11 janvier 1990), constitue l’une des garanties fondamentales de notre démocratie : il ne saurait être affaibli par une uniformisation excessive des règles électorales.
Réduction du nombre d’élus ?
Cette évolution ne peut être lue indépendamment d’une tendance plus large : l’incitation, parfois la pression, à la fusion des communes et à la réduction du nombre d’élus. Or les élus municipaux des petites communes sont bénévoles ; leur coût pour la collectivité est nul ou très faible, alors même qu’ils constituent le premier échelon de la démocratie. Réduire leur nombre, c’est réduire les lieux où s’exprime la citoyenneté directe.
L’uniformisation électorale ne doit pas se traduire par une recentralisation silencieuse ni par une raréfaction de l’engagement citoyen. Si l’objectif de parité doit être maintenu, il doit s’accompagner de dispositifs permettant d’éviter le désert démocratique : soutien à la constitution des listes, campagnes de sensibilisation à l’engagement, reconnaissance du rôle des élus bénévoles.
35 000 communes représentatives et ouvertes
Au-delà de cette échéance, c’est l’avenir de notre démocratie qui se joue. Chaque fois que nous éloignons les électeurs de leurs représentants, nous les éloignons un peu plus des urnes. Chaque fois que nous ajoutons une contrainte sans redonner de moyens, nous renforçons le sentiment d’impuissance et le risque d’abstention. La démocratie locale mérite un travail de fond : non pas une succession de petites lois ponctuelles, mais une réforme globale et cohérente, pensée à l’échelle de la Nation, pour redonner sens, confiance et envie d’agir à chaque citoyen.
L’enjeu n’est pas seulement de compter 35 000 communes demain, mais de s’assurer qu’elles soient vivantes, représentatives et ouvertes à tous ceux qui veulent s’engager. C’est ainsi, et seulement ainsi, que nous pourrons restaurer la confiance et redonner envie d’aller voter.
Solène Le Monnier, co-fondatrice et présidente de l’Union nationale des élus locaux (Unel) et conseillère municipale de Berric (Morbihan)