Vous êtes directeur du CNFPT depuis le 1er septembre 2025. C’est une maison que vous connaissez bien.
Je suis en effet un administrateur territorial général formé à l’INET et j’étais, jusqu’à présent, directeur général adjoint du CNFPT en charge de l’évolution des compétences et des métiers, ainsi que directeur de l’INET. Je ne suis pas sorti de l’INET en me disant que je passerai par telle ou telle étape. Je n’avais pas un parcours défini en tête. Les opportunités dessinent le cours d’une carrière professionnelle. J’ai été approché pour devenir directeur de l’INET et DGA du CNFPT. Quand France Burgy, qui occupait ce poste avant moi, a annoncé son départ, j’ai déposé ma candidature. Ce qui fait un recrutement, c’est la personne et le moment ; j’ai l’humilité de penser que je n’étais pas la personne la plus « compétente », ni sans doute la moins, mais celle qui correspondait au moment. Sans doute que la période qui arrive a poussé le président à faire le choix d’une personne déjà en place pour lancer très vite les chantiers qui s’imposent.
Quand on arrive à la tête d’une telle institution, est-on tenté de vouloir changer les choses, d’imposer sa marque ou, au contraire, de s’inscrire dans la continuité ?
Je suis peu intéressé par le principe de l’aventure individuelle, de la femme ou de l’homme providentiel. Dans les différents postes que j’ai occupés, je n’y suis jamais allé pour satisfaire mon propre égo. Il en faut certes un peu mais pas trop. Il faut trouver un bon équilibre entre ses projets, ses idées et le fait que l’on ne peut être expert en tout. Je ne veux pas m’inscrire dans la continuité mais plutôt dans la stabilité. Pour les équipes, dans un monde qui multiplie les « in » : instable, incertain, etc. Bien sûr que l’on dirige avec ce que l’on est mais ce ne doit pas être une obsession.
Quels sont les enjeux qui vous paraissent prioritaires ?
Nous devons proposer une réponse agile. Car nous sommes dans un monde qui va de plus en plus vite. Concevoir de la formation demande de la compétence, de l’ingénierie, de recruter les bons intervenants et donc d’être en veille sur ce que seront les besoins de demain. Nous devons être en proximité avec les collectivités pour connaître leurs besoins, avoir une approche humble en les écoutant mieux. Je crois aussi au droit à l’erreur. Quand vous vous appuyez sur des signaux faibles, ces derniers peuvent tronquer la perception de la réalité ; mais c’est le propre de la veille et de la prospective d’imaginer des scénarios qui ne se réaliseront pas. D’un autre côté, nous ne pourrons pas tout faire, les collectivités le savent comme elles savent qu’elles ne peuvent pas tout faire elles-mêmes.
La formation est une arme pour faire face à l’incertitude. C’est d’ailleurs la philosophie de la formation « Municipales 2026 » que vous avez lancée. Rencontre-t-elle un accueil favorable auprès des fonctionnaires territoriaux ?
La formation est le socle à partir duquel on peut comprendre le monde dans lequel on vit. Initialement, je m’orientais vers l’enseignement. J’étais juriste et j’envisageais d’enseigner le droit public. Je suis le produit de l’école républicaine et de l’université. La formation initiale et continue transforme non seulement une personne mais également les environnements dans lesquels elle travaille. Sur cette formation dédiée aux municipales, nous avons associé d’autres partenaires : l’AMF, la Commission nationale des comptes de campagnes, l’Insee, etc. On a renforcé ces liens même s’ils ont toujours existé. Ces partenariats permettent d’être plus efficaces. Et personnellement, je préfère la coopération à la compétition ; la raréfaction des moyens nous oblige à renforcer ces liens, pour éviter d’être plusieurs à faire la même chose. Les rivalités peuvent être saines mais il faut savoir se poser tranquillement autour d’objectifs communs pour travailler ensemble.
Sur la réforme de la haute fonction publique territoriale, quel rôle jouez-vous ? Comment votre expertise est-elle sollicitée, si tant est qu’elle le soit ?
Votre question est compliquée. L’acte de formation ne doit pas être un acte de prescription. Dans le cas contraire, c’est nier la capacité critique des uns et des autres alors que j’ai toujours considéré qu’un formateur devait être quelqu’un capable d’éveiller cette autocritique. Nous n’avons pas vocation, en formation, à dire ce que les législateurs doivent faire ou auraient dû faire mais à donner les outils pour rendre possible cette lecture critique de la loi et assurer son application. Ce qui n’empêche pas nos instances d’avoir des positions sur les sujets dont on parle. L’acte formatif doit donner les clés de décryptage, nos instances leurs visions politiques. Sur le classement des DGS, DGA et administrateurs territoriaux, la question homologique des carrières en quelque sorte, on sait depuis longtemps que « comparaison n’est pas raison » et que l’homologie atteint parfois des limites.
C’est-à-dire ?
Il faut poser la question des critères de comparabilité. Certains postes de directeur ne sont pas comparables, entre ceux de l’État et de la FPT. On cite souvent dans les ministères l’exemple du Secrétaire général du gouvernement : « Quel est le poste comparable en collectivité ? » Dans le même temps, cette volonté d’homologie ne doit pas entraîner la remise en cause de la logique classificatoire intra-fonction publique territoriale tel qu’elle existe aujourd’hui. Je pense, par exemple, aux directrices et directeurs de centres de gestion que l’on propose de déclassifier mais sans raison objective. Je reviens à cette notion d’un monde qui va trop vite ; les choses qui se sont construites dans le temps, par sédimentation, en mettant des gens autour de la table, bien sûr qu’elles peuvent être améliorées mais sans rupture, sans recul. Je ne comprends pas que ce qui était vrai hier ne l’est plus aujourd’hui, surtout si l’on ne me l’explique pas.
Le nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics peut-il entraîner une décélération des vocations pour la FPT ? L’action publique peut-elle être menacée d’embolie par crainte, pour les dirigeants territoriaux, de trop s’exposer ?
Je pense qu’il faut être attentif à ce risque. Que l’on ne se méprenne pas : un dirigeant qui franchit la ligne jaune doit être sanctionné ! Ceci dit, je crains en effet que l’on ne décourage les dirigeants de prendre leurs responsabilités et d’aboutir à des collectivités territoriales qui n’osent plus bouger. Quand on voit ce qui est possible, et en l’occurrence ne l’est pas, dans le cadre de la protection fonctionnelle ou encore les actes reprochés, le risque est élevé que les collègues n’aient plus envie de prendre des initiatives. Or, je ne pense vraiment pas que nos concitoyens attendent ça de nous.
Les Entretiens territoriaux de Strasbourg se tiendront les 10 et 11 décembre prochains. Est-il utile de rappeler l’importance de cet évènement pour les cadres territoriaux ?
Les échanges entre les congressistes constituent toujours un début de réflexion, jamais une fin. Prenons le cas du colloque de Bordeaux sur la transition écologique, qui s’est tenu en mars 2023. Cette manifestation a permis d’engager derrière toute une série d’initiatives sur le sujet. Il y a les ETS, les RNIT, les RTAG pour les territoires Antilles-Guyane… C’est l’occasion de valoriser les initiatives locales et la richesse de ce qui se fait sur le terrain. C’est aussi un endroit où l’on partage ses réussites et ses échecs et c’est une bonne chose, puisque ça permet à d’autres d’éviter de les reproduire. Les enjeux de réseaux sont très importants pour les collègues qui viennent aux ETS.
On ne parle pas assez des échecs que l’on vit ?
Tout dépend dans quel domaine on échoue. Parfois, ça relève de la faute. En revanche, dans la conduite de projets, on échoue régulièrement, partiellement ou totalement. Et on ne le dit pas assez. Pour paraphraser Nelson Mandela « je n’échoue jamais, soit je réussis, soit j’apprends ». Du reste aux États-Unis, ne dit-on pas d’un entrepreneur que s’il n’a pas échoué une ou deux fois, il n’est pas crédible ?
Stéphane Menu