Pourquoi avez-vous réalisé cette note « Budget base zéro : décider sous la contrainte » ? Le contexte budgétaire national pour le moins compliqué et difficile joue évidemment…
En effet, les discussions budgétaires autour du Projet de loi de finances pour 2026 s’enlisent : ce sont les plus longues à ce jour de la Ve République1. Pourquoi cette double incapacité à se mettre d’accord et à revenir à l’équilibre budgétaire ? Cela est préoccupant dans un contexte de dérive continue des finances publiques, avec une multiplication de la dette publique par cinq en 40 ans2, et avec une accélération récente de cette dérive, comme en témoigne le dépassement en 2023 du déficit public de 5 %3 – en dehors d’une période de crise – ou le fait que 2024 ait été marqué par la plus forte hausse de la dépense depuis 15 ans, selon la Cour des comptes. Face à cette dépense qui s’emballe, adopter un Budget base zéro (BBZ) est intéressant. En effet, reconduire mécaniquement les postes de dépenses, avec très peu d’inflexions, amène cette dérive. C’est très net sur les postes des retraites et de la santé, qui ont tous deux contribué le plus à la hausse de la dépense publique, soit + 2,3 points de PIB chacun depuis 2001. Le BBZ oblige lui à hiérarchiser les dépenses publiques. Nous avons ainsi choisi de sanctuariser les trois postes de dépenses incompressibles qui nous engagent vis-à-vis de nos partenaires : 1, notre contribution à l’Union européenne ; 2, nos efforts de défense et 3, la charge de la dette.
Vous avez travaillé sur quatre scenarii de BBZ. Quels sont-ils et quelles seraient leurs conséquences sur la dette publique et les économies ?
Les trois premiers scenarii permettent de stabiliser la dette publique en dégageant chacun 140 Mds€ d’économies. Avec le premier scenario, on donne un coup de rabot uniforme de 8 % à toutes les politiques publiques, sans aucune hiérarchisation. Ce scenario implique des mesures d’économies qui sont bien supérieures à toutes celles mises actuellement en débat public, et qui sont pourtant déjà rejetées.
Avec le deuxième scenario, priorité est donné au maintien actuel du modèle de protection sociale : on ne touche ni à la retraite, ni à la santé, ni à la protection sociale. L’effort porte donc sur tout le reste : éducation, environnement, mobilité, culture, etc. On ne fournit plus gratuitement un certain nombre de services publics. Par exemple, en rendant l’enseignement supérieur payant et en ajoutant un élève par classe dans le secondaire, on réalise 10 % des économies, il faut donc en ajouter d’autres pour arriver aux 140 Mds€ d’économies.
Dans le troisième scenario, on priorise la compétitivité à long terme du pays : recherche fondamentale, enseignement, infrastructures, secteur industriel et agricole, énergie, environnement… On reporte donc l’effort sur la protection sociale, en alignant les dépenses sur la moyenne européenne. Il faut ainsi baisser les pensions de retraite de 8 %, les Allocations de logement de 60 %, les prestations de chômage de 18 %, mais aussi la santé, etc. Comme cela ne suffit pas, il faut revenir au nombre de fonctionnaires territoriaux d’il y a vingt ans – lesquels ont le plus augmenté par rapport aux fonctionnaires d’État et d’hôpitaux -. Ce scenario impose donc de bousculer les équilibres sociaux anciens.
Enfin, quatrième scenario, celui de l’austérité contrainte, sous pression imposée de l’extérieur ou sur décision politique de l’intérieur. Dans celui-ci, on additionne les arbitrages à la baisse des trois premiers scenarii et on ajoute d’autres mesures radicales, par exemple la suppression de près de 10 % des effectifs de la fonction publique, comme ont dû s’y résoudre des pays placés sous une tutelle financière dans les années 2010. In fine, on fait deux fois plus d’économies que dans les trois autres scenarii, soit 280 Mds€, afin non seulement de stabiliser la dette, mais aussi de commencer à la faire refluer et de faire face à une pression financière des marchés.
Peu de collectivités locales ont encore adopté à ce jour de BBZ. Quelles seraient les opportunités et avec quels bénéfices ?
On peut citer le Département de Seine-Maritime et la ville d’Aulnay-sous-Bois qui ont adopté un BBZ. Globalement, les collectivités locales ont plus de dépenses contraintes, elles bénéficient donc d’une moindre souplesse dans leurs arbitrages budgétaires, notamment les départements qui ont peu de marges de manœuvre, car leurs dépenses sociales sont contraintes4. Comme pour l’État, il faut d’abord prioriser les dépenses incompressibles, notamment pour les Départements. Ensuite, pour les collectivités, l’intérêt du BBZ est aussi de hiérarchiser au sein des postes de dépenses. Sur la transition écologique par exemple, on peut prioriser telle ou telle action, en fonction des gains attendus en matière de Gaz à effet de serre. Mais le BBZ doit être une démarche politique et non pas administrative. Ce n’est pas aux administrations de prioriser les dépenses.
Propos recueillis par Frédéric Ville
Source : Budget base zéro : décider sous la contrainte, Institut Montaigne, novembre 2025
1. Les discussions budgétaires qui ont commencé fin octobre 2025 à l’Assemblée se sont soldées par un échec de la commission mixte paritaire composée de députés et sénateurs le 19 décembre pour trouver un compromis pour adopter le budget de l’État avant le 31 décembre 2025, date constitutionnelle limite. Sébastien Lecornu va saisir le Conseil d’État d’un projet de loi spéciale.
2. En pourcentage du PIB, la dette publique est passée d’environ 21 % du PIB en 1980 à 113 % du PIB en 2024, selon Fipeco.
3. 5,5 % du PIB selon l’Insee.
4. En 2024, 69 % des dépenses de fonctionnement des départements sont des dépenses sociales, selon la Cour des comptes.