Peu de collectivités locales ont encore adopté à ce jour un budget base zéro (BBZ). Nous n’avons trouvé que la commune d’Aulnay-sous-Bois (86 360 hab., Seine-Saint-Denis) qui l’a fait au moins entre 2016 et 20191, le Département de l’Eure qui l’a pratiqué au moins a la fin des années 2010, et surtout le Département de Seine-Maritime qui a effectué l’exercice trois fois depuis 2023, avec une expérimentation la première année sur deux directions, puis une généralisation. L’Association finances gestion évaluation des collectivités territoriales (Afigese) botte elle en touche, même si elle assure que « beaucoup de collectivités rebasent leur budget au regard de la contrainte financière sans revendiquer le label de la démarche » : le « beaucoup » nous semble exagéré.
Mais c’est quoi au fait un budget base zéro (BBZ) ?
Dans une collectivité locale, cette méthode budgétaire exige de chaque service ou direction qu’il justifie ses dépenses prévisionnelles, non à partir du budget de l’exercice précédent avec modification incrémentale, mais à partir de zéro, c’est-à-dire à partir de besoins réels. « Les directions doivent justifier ligne à ligne leurs demandes de crédits », observe ainsi la Chambre régionale des comptes d’Île-de-France à propos du BBZ d’Aulnay-sous-Bois.
180 M€ d’économies sur trois ans
Le budget base zéro (BBZ) n’est pas nécessairement annuel. Il est particulièrement adapté à certaines situations : renouvellement d’assemblée, création d’une commune nouvelle, extension d’EPCI, transfert de compétences… se prêtant bien à une redéfinition des missions et donc des dépenses et recettes. Les prochaines élections municipales, tout autant que le contexte budgétaire actuel très contraint, permettront-ils au BBZ de décoller dans les collectivités locales ? Sans doute, et ce serait très utile…
En Seine-Maritime, la directrice des finances du Département, Marie-Pascale Dubuc, assurait tout de go aux dernières assises de l’Afigese de septembre dernier que le budget base zéro (BBZ) avait permis à son Département de réaliser 180 M€ d’économies de fonctionnement sur trois ans pour un budget annuel total de 2,4 Mds€, « ceci sans remise en cause des politiques publiques ». Et Saikou Bah, son directeur adjoint de détailler les économies. Sur l’autonomie (1 Md€ de budget), des taux directeurs minimaux ont notamment été appliqués à l’évolution des tarifs d’hébergement des Ehpad, ce qui force ceux-ci à réduire les tarifs et donc à faire des économies, « avec toutefois une enveloppe pour aider de manière ciblée les Ehpad en difficulté », explique-t-il. À la clé, 10 M€ d’économisés. Le contrôle du Service d’aide et d’accompagnement à domicile a lui permis d’économiser 2 M€ sur un budget total de 100 M€.
La Seine-Maritime s’attaque cette année pour la première fois au budget Solidarités (460 M€) : « Il nous faut distinguer les dépenses obligatoires de celles qui ne le sont pas », précise Marie-Pascale Dubuc. En matière d’énergie, dès qu’a éclaté la crise en 2022, le Département a monté une cellule énergie. « On n’a pas octroyé une augmentation mécanique du budget énergie à tous les collèges – d’autant plus que ceux-ci n’ont pas tous les mêmes installations et consommations -, mais on a donné une enveloppe de gestion de crise énergie habituelle + Dotation complémentaire de fonctionnement (DCF). De cette façon, la DCF peut être retirée quand le prix de l’énergie retombe, au lieu de maintenir le pourcentage d’augmentation », précise le DGS, David Mercier.
Investir pour économiser
Un budget base zéro (BBZ), c’est parfois aussi accepter d’investir pour dégager des économies de fonctionnement ultérieures. Ainsi, Marie-Pascale Dubuc constate que grâce à l’adoption d’un plan d’action énergie en 2022 (relamping, décret tertiaire, Gestion centralisée du chauffage, isolation…), « la Seine-Maritime a réalisé 8 M€ d’économies de fonctionnement sur les fluides, ce qui nous permet d’afficher des dépenses en la matière deux fois moins importantes que celles des départements de même strate de population ». Le pilotage des satellites a été opéré de la même manière. Comme le Département finance une partie du prix de journée pour l’accueil en Ehpad et des personnes en situation du handicap dans les structures d’accueil de son territoire (Foyers d’accueil médicalisés, ESAT…) (15 % pour ces derniers), il a effectué un audit bâtimentaire, sécurité et financier en 2022. À la suite, des travaux ciblés nécessaires (normes, sécurité, énergie..) ont été réalisés. « Au final, on diminue le coût de journée pour les hébergés mais aussi pour le Département », apprécie David Mercier.
On peut aussi « investir » en matière sociale. Ainsi, en 2021, la Seine-Maritime comptait 42 000 bénéficiaires du RSA, « mais pas de cellule d’accompagnement, selon David Mercier. J’ai alors proposé à l’exécutif de monter une équipe dédiée de 30 personnes. En 2025, nous avons baissé à 38 000 bénéficiaires, ce qui nous fait 12 M€ d’euros d’économies, quand l’équipe nous coûte 1,5 M€ en net dont 60 % sont pris en charge par le Fonds social européen ».
« Nous véhiculons aussi du dialogue »
Adopter un budget base zéro (BBZ) se fait dans le respect du processus budgétaire classique mais aussi des élus et directions opérationnelles. À Aulnay-sous-Bois, la commune a institué une commission d’arbitrage, composée du premier adjoint au maire, du maire adjoint aux finances, du directeur de cabinet, du DGS, du DGA Ressources et du directeur Ressources. Celle-ci se réunissait tous les ans entre mi-novembre et mi-décembre, recevait les DGA de chacun des services et leurs adjoints, entendant leurs justifications sur les lignes de crédit sollicitées.
En Seine-Maritime, « la direction des finances élabore d’abord la lettre de cadrage qui cible les types de dépenses ou secteurs identifiés, pas les directions elles-mêmes. Cette année, on a ciblé 300 M€ maxi pour l’Allocation personnalisée d’autonomie, 2 % d’augmentation maxi pour les prix de journée ou une évolution négative pour certaines politiques. Puis on réunit chaque direction, on étudie avec chacune les marges de manœuvre, le DGS arbitrant dans un premier temps, détaille Marie-Pascale Dubuc. Enfin, sous l’égide de chaque vice-président, une conférence budgétaire administrative interroge le maintien de telle politique et de ses modalités. On fait alors la synthèse, et comme on n’est pas encore à l’équilibre, on demande au président les derniers arbitrages ».
À Aulnay-sous-Bois, les progrès en matière de taux d’exécution étaient réels dès 2017, avec un taux de 100 % en dépenses et de 107 % en recettes sur le fonctionnement, « preuve des inscriptions prudentielles de la ville », selon la CRC1. Si le taux d’exécution était alors en revanche un peu moins bon sur l’investissement (76 % sur les dépenses et 71 % sur les recettes), la CRC notait que l’adoption du Plan pluriannuel d’investissements (PPI) et la constitution d’une cellule de recherche de financement pourraient y pallier à l’avenir. En Seine-Maritime, cette année et pour la première fois, le PPI a été étudié en amont, pour mieux guider le BBZ.
D’un point de vue technique, « les échanges sont facilités par un outil workflow, collaboratif et qui automatise la mécanique BBZ », note Saikou Bah pour la Seine-Maritime. Là, l’accompagnement de la Direction des finances à l’élaboration du BBZ est permanente : « Nous ne demandons pas uniquement des comptes aux Directions opérationnelles et ne mesurons pas seulement leurs taux de réalisation du budget, mais véhiculons aussi du dialogue de gestion », conclut Marie-Pascale Dubuc.
Frédéric Ville
1. Rapport d’observation de 2019 de la Chambre régionale des comptes d’Île-de-France sur la commune.
