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Martial Foucault : “Maires sous tension et démocratie locale en question”

Élus

Participation en baisse, professionnalisation et épuisement des maires, démissions croissantes... Pour Martial Foucault, politologue, professeur des universités à Sciences Po Paris et fondateur de l'Observatoire de la démocratie de proximité, la démocratie locale s'érode. Néanmoins, la confiance envers le maire reste élevée mais dépend surtout de l'exemplarité et de la transparence. À l'issue des municipales, le politologue prédit plus de maires âgés, retraités et avec un CSP+, tout en pointant une sous-représentation des femmes et des jeunes. En outre, il appelle à renforcer la participation citoyenne sans affaiblir la légitimité électorale.

Vous affirmez que la démocratie locale est fragilisée. Qu’entendez-vous par là ?

C’est une question que j’ai beaucoup travaillée et qui fera l’objet d’un livre à paraître en janvier, « Le casse-tête démocratique des communes françaises ». On a souvent tendance à se rassurer en se disant que la France dispose d’un maillage unique au monde de 35 000 communes, avec des maires et des conseillers municipaux qui font battre le cœur démocratique du pays. Mais si l’on regarde plus en détail, la vitalité de cette démocratie s’érode. Depuis vingt ans, la participation aux municipales baisse régulièrement. Je mets à part 2020, marquée par le Covid, mais la tendance de fond est bien là.
Un autre point important concerne le mode de scrutin. Il produit des majorités très fortes et laisse très peu de place aux oppositions. Or, la démocratie, c’est aussi le pluralisme. Enfin, on observe une professionnalisation croissante de la vie municipale. En 1977, 40 % des maires étaient agriculteurs. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 10 %, alors que la part des cadres supérieurs a plus que doublé. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi, mais cela change profondément le profil des élus et introduit l’idée que la compétence serait un préalable à l’engagement.

Cette évolution des profils a-t-elle un lien avec la vague de démissions de maires ?

Oui, c’est un facteur parmi d’autres. Ce qui frappe d’abord, c’est l’ampleur du phénomène. On était à une centaine de démissions par an dans les années 2008-2014, 200 dans la période 2014-2020, et près de 414 par an depuis 2020. En trois mandats, le chiffre a quadruplé.
Contrairement à ce que certains responsables politiques affirment, la première cause de ces démissions n’est pas la violence ou le manque de reconnaissance, mais les dissensions au sein du conseil municipal. Dans un tiers des cas, il s’agit de désaccords parfois très vifs, notamment sur les sujets d’urbanisme ou d’aménagement. Refuser un permis de construire ou un droit de passage dans un village peut suffire à créer une crise politique locale.
Ces tensions aboutissent souvent à des élections anticipées, et les maires concernés sont régulièrement battus. C’est vécu comme une humiliation qui conduit à la démission. Un autre tiers des démissions correspond à des maires qui avaient annoncé dès le début du mandat qu’ils ne feraient que la moitié du chemin, faute de volontaires pour s’engager. Enfin, environ 15 % relèvent de problèmes de santé, physiques ou psychologiques.
Le burn-out est désormais un terme revendiqué par certains élus, signe de la professionnalisation croissante de la fonction et de l’épuisement moral face à la complexification de la fonction.

Vous évoquez les violences subies par les élus. Quel rôle jouent-elles dans cette crise ?

Il faut distinguer les choses. Les agressions physiques existent et elles sont intolérables, mais elles restent rares. Les insultes, menaces ou intimidations, en particulier sur les réseaux sociaux, concernent davantage d’élus. J’ai travaillé récemment sur le cyber-harcèlement. Un quart des violences déclarées par les maires s’y déroulent. Or, les élus locaux sont très mal préparés à gérer ces situations. Beaucoup utilisent Facebook comme un prolongement du bulletin municipal, sans formation, sans community manager, avec parfois une confusion entre comptes personnels et institutionnels. Quand ils se retrouvent face à un flot d’injures publiques, ils ne savent pas toujours comment réagir. Le problème est moins l’agression ponctuelle que la spirale d’exposition publique qu’entraînent ces réseaux. C’est un enjeu majeur pour le prochain mandat.

À travers vos enquêtes, comment décririez-vous aujourd’hui la relation entre les citoyens et leurs maires ?

La confiance reste élevée, mais elle s’érode. Ce n’est pas la « proximité » qui explique ce lien, contrairement à ce qu’on dit souvent. La proximité est une construction politique des années 1980, opposant élus locaux et élus « hors sol ». En réalité, la confiance tient surtout à deux critères. À savoir, l’exemplarité et la transparence. Les citoyens attendent de leurs maires une probité irréprochable et le respect des engagements de mandature. Ils veulent que le programme annoncé soit tenu, que ce soit sur la voirie, l’aménagement, la transition écologique…
La disponibilité et la compétence comptent, bien sûr, mais en second plan. En somme, on n’élit pas seulement un maire, on élit une équipe, un casting capable de couvrir tous les champs de la vie municipale. Quand cette répartition des compétences est absente, les difficultés apparaissent vite.

Le couple maire/DGS est-il un levier ou un facteur de tension dans cette équation ?

C’est un couple absolument central, plus important encore que celui entre le maire et le préfet. Les communes de plus de 3 500 habitants disposent d’un DGS, et son rôle est devenu structurant. Le DGS n’est pas seulement un juriste ou un financier. Il se vit comme un manager polyvalent, un facilitateur qui doit rendre gérable la complexité. Cela explique pourquoi certaines communes se livrent à une véritable bataille pour recruter ou débaucher des DGS. Après 2026, on verra aussi des mobilités. Environ 35 % des DGS interrogés souhaitent évoluer vers une autre collectivité ou une nouvelle carrière. Cette stabilité relative influence beaucoup la qualité de la gouvernance municipale.

Quelles grandes tendances voyez-vous pour les municipales de 2026 ?

La grande transformation, c’est la montée en puissance des retraités parmi les maires. Ils sont déjà 40 %. C’est logique dans un pays vieillissant. Par ailleurs, la part des CSP+ continuera d’augmenter, tandis que celle des agriculteurs poursuivra son déclin. En revanche, je ne crois pas à une crise de l’engagement. Près d’un million de citoyens seront candidats sur les listes électorales, soit un Français sur cinquante, ce qui est unique au monde.
Le vrai angle mort, c’est la sous-représentation persistante des femmes. Seules 20 % des maires sont des femmes, alors qu’elles représentent 43 % des conseillers municipaux. Le changement du mode de scrutin pour les communes de moins de 1 000 habitants devrait produire un saut important, mais il reste beaucoup à faire. L’âge est un autre déséquilibre. Seuls 3 % des maires ont moins de 40 ans, contre plus d’un tiers de la population. Cela interroge sur le renouvellement générationnel.

Vous insistez aussi sur la nécessité de repenser la démocratie locale. Que voulez-vous dire ?

On est dans une tension entre la démocratie représentative, jugée à bout de souffle, et une demande de participation plus forte des citoyens. Beaucoup de maires expérimentent des dispositifs participatifs ou délibératifs, mais ces démarches restent marginales, souvent biaisées par une faible mobilisation ou une participation de mêmes publics. À mes yeux, la question n’est pas seulement la confiance des citoyens envers leurs élus, mais aussi celle des élus envers leurs citoyens. Comment écouter autrement ? Comment créer des instruments crédibles d’association sans fragiliser la légitimité issue du suffrage universel ? Aujourd’hui, on n’a pas trouvé cet équilibre. On  reste dans une démocratie électorale où l’élection tous les six ans sanctionne ou récompense l’action. C’est insuffisant pour garantir une cohésion politique locale.

Un dernier mot sur le contexte politique particulier de 2026 ?

Le principal risque, c’est que l’actualité nationale invisibilise les municipales. Si ce scrutin passe au second plan, c’est la démocratie locale dans son ensemble qui en pâtira. Les Français restent profondément attachés à leurs communes et à leur maire, mais cet attachement doit être entretenu. Le cadre de vie, la qualité de vie, la tranquillité sont au cœur des attentes. Les élus devront répondre à ces aspirations tout en réinventant les formes de gouvernance.

Propos recueillis par Jérémy Paradis

Retrouvez cet entretien dans le dossier « Municipales 2026 : scrutin sous tension et démocratie locale fragilisée » de WEKA Le Mag n° 24 – Novembre / Décembre 2025

Posté le 18/11/25 par Rédaction Weka