Quelle ne fût pas ma surprise cet été lorsque j’ai appris l’enregistrement d’une proposition de loi portant modification du cadre d’emploi des directeurs généraux des services pour les communes de moins de 40 000 habitants. Principalement parce que pour modifier un cadre d’emploi, il faut déjà qu’il existe, mais pas seulement.
Jusqu’à aujourd’hui, la seule définition des DGS est fonctionnelle : dans les communes de plus de 2 000 habitants ils sont « chargés, sous l’autorité du maire, de diriger l’ensemble des services de la commune et d’en coordonner l’organisation »1.
Un statut aujourd’hui inexistant
On sait également que l’emploi fonctionnel n’est accessible que par la voie du détachement, sous condition d’un grade devant être en adéquation avec la strate démographique de la collectivité, sauf pour celles supérieures à 40 000 habitants : alors, et uniquement dans ce cas-là, un contractuel peut être recruté.
On sait, enfin, que la fin de ce détachement est entourée de quelques garanties dont un préavis de deux mois et une réintégration, nécessairement douloureuse mais garantie, sur un emploi vacant.
Voilà, en trois petits paragraphes, les caractéristiques d’un statut aujourd’hui inexistant.
Pourtant, des sénateurs, tous élus locaux et donc familiers des DGS, étaient persuadés de sa réalité au point d’en proposer la modification.
La bonne nouvelle, c’est que la nécessité d’un cadre d’emploi propre aux DGS est donc posée. La mauvaise nouvelle, c’est que ce qui est proposé d’une part démontre une méconnaissance de leurs fonctions, et d’autre part apporte une mauvaise réponse à une bonne question.
Le constat : un recrutement difficile
La proposition de loi est motivée, selon l’exposé de ses motifs, par les difficultés de recrutement sur ces emplois aboutissant à « un blocage pour la conduite de l’action publique locale ». Il est même souligné que le cadre de l’intérim fixé par la loi est trop restreint : il est vrai que la jurisprudence a posé le principe d’une durée limitée de ce dernier – en tout logique – et d’une absence de rémunération propre au cumul, rendant la situation peu attractive et nécessairement temporaire.
L’autrice de ces lignes ne dispose pas de statistiques, si elles existent, qui permettraient d’objectiver cette tension, même si certains affirment que la proportion de contractuels actuellement en place dépasserait le tiers des communes. Mais la seule existence d’une proposition de loi en ce sens accrédite la réalité des difficultés de recrutement.
Les sénateurs entendent donc dénoncer que particulièrement dans la strate 2 000-40 000 habitants, soit dans près de 5 500 communes2, la contrainte de recruter des fonctionnaires serait à l’origine de cette situation, et que la solution résiderait dans la nomination de contractuels.
Quid des contractuels
Faisons un point réglementaire : aujourd’hui les emplois fonctionnels de directeurs généraux des services sont nécessairement occupés par des fonctionnaires de catégorie A, le plus souvent relevant du cadre d’emploi des attachés territoriaux.
En d’autres termes, le recrutement d’un contractuel sur l’emploi fonctionnel de DGS est strictement impossible, ce qui pousse d’ailleurs certaines collectivités (souvent les plus petites) à créer un emploi non fonctionnel de directeur général des services, dit « faisant fonctions », qui peut être pourvu par un contractuel si aucun titulaire ne se présente, mais qui ne dispose pas des mêmes prérogatives, notamment en termes de délégation de signature.
La cause de la baisse d’attractivité ?
Garant du bon fonctionnement de l’administration qu’il dirige en répondant aux projets que souhaite développer son élu, le DGS se retrouve aujourd’hui à devoir être un spécialiste des finances, du management, des affaires sociales, de la mobilité, le tout mâtiné de transition écologique et d’intelligence artificielle…
Or, dans les communes de moins 40 000 habitants l’ingénierie est nécessairement moindre que dans celles des strates supérieures, et, faute de spécialistes en nombre suffisant à ses côtés, le DGS est souvent en première ligne de toutes les problématiques. Et si l’ingénierie est moindre, en revanche, les responsabilités sont les mêmes : on sait aujourd’hui que le régime de responsabilité des gestionnaires publics les concerne, mais contrairement à tout autre agent public, ils ne peuvent bénéficier de la protection fonctionnelle.
Donc, en synthèse, plus d’expertise, toujours plus de responsabilités, mais moins de protection : on comprend les causes du désamour des fonctionnaires pour ces postes.
En ouvrant ces emplois aux contractuels, la proposition de loi fait miroiter aux élus que tous les postes seraient ainsi pourvus. Mais pourquoi les conditions d’exercice récusées aujourd’hui par les fonctionnaires seraient attractives pour les contractuels ? D’autant qu’en termes de statut, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un piège pour les contractuels.
Un piège pour les contractuels
Le projet de loi pose comme condition une ancienneté de cinq ans sur des fonctions d’encadrement au sein de la collectivité : or, l’octroi d’un contrat à durée indéterminée intervient à partir de six ans de contrat et le temps passé sur un emploi fonctionnel ne compte pas dans ces six ans, les deux étant même incompatibles.
Donc, non seulement le contractuel n’aura pas de contrat à durée indéterminée, mais encore va-t-il précariser encore plus sa situation, car si le maire veut s’en séparer – le motif de la perte de confiance pourra être retenu comme pour tout emploi fonctionnel – c’est bien son emploi, et son ancienneté, qu’il aura perdus.
Emplâtre sur une jambe de bois
En conclusion, l’ouverture aux contractuels des postes de DGS dans les communes de moins de 40 000 habitants semble davantage relever de l’emplâtre sur une jambe de bois que d’une solution efficace à un vrai problème.
Pour reprendre le thème du dernier congrès du SNDGCT : il vaut mieux parfois respirer, se poser, et en l’espèce réfléchir à l’attractivité de ce beau métier en commençant peut-être par légiférer sur l’existence même d’un cadre statutaire.
Lorène Carrère, avocate associée au cabinet Seban & Associés
2. Chiffres issus de l’AMF