Menu

L'analyse des spécialistes

D’une économie linéaire à circulaire : l’évolution du dispositif pour les acheteurs publics

Acheteur public

En septembre 2019, la feuille de route économie circulaire (FREC)* a été publiée avec 50 mesures ayant pour objectif de passer d'une économie linéaire à une économie circulaire. La mesure 44 vise à faire de la commande publique et du dispositif « administration exemplaire » des leviers afin de déployer l’économie circulaire.

Afin de passer d’une logique d’objectifs à des obligations, l’article 58 de la loi du 10 février 2020 de lutte contre le gaspillage et pour une économie circulaire (dite loi AGEC) impose que certains produits acquis par l’État et les collectivités territoriales soient issus de l’économie circulaire (occasion, reconditionné et/ou intégrant des matières recyclés) à compter du 1er janvier 2021.

Afin de préciser cette obligation légale, le décret du 9 mars 2021 a listé les catégories de produits ainsi que les proportions minimales à atteindre chaque année dans le cadre des achats de fournitures réalisés. Au regard de la difficulté à appréhender les obligations résultant de ce décret, le ministère de la Transition écologique a été contrait de publier une notice explicative.

18 mois après l’entrée en vigueur de cette nouvelle obligation, le Commissariat général au développement durable (CGDD) a lancé une enquête dédiée à l’évaluation de l’application de l’article 58 de la loi AGEC auprès des acheteurs publics, d’une part, et un questionnaire ayant pour objet de faire un état des lieux de l’offre de produits circulaires auprès des entreprises, d’autre part.

Enfin, conformément à l’article 4 du décret du 9 mars 2021, un bilan de la mise en œuvre des dispositions de l’article 58 et une analyse de l’opportunité d’une évolution de la liste des produits ou des catégories de produits devait être transmis au Parlement et rendu public au plus tard fin 2022.

1. Le bilan de l’article 58 de la loi AGEC et de son décret d’application

30 mois après l’entrée en vigueur du dispositif, le rapport d’évaluation de l’article 58 de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (publié en juillet 2023) dresse un premier bilan de ce dispositif et propose une série de recommandations pour en améliorer son application.

Réalisé par le CGDD, ce rapport propose 14 recommandations afin de faire évoluer le dispositif dont certaines sont opérationnelles :

  • Étudier l’inclusion des fournitures acquises dans le cadre de marchés de travaux et de service ;
  • Inclure une comptabilisation des biens acquis via un don sur la plateforme https://dons.encheres-domaine.gouv.fr/ dans l’atteinte des objectifs fixés en application de l’article 58 de la loi AGEC ;
  • Modifier la présentation du tableau figurant en annexe du décret afin de le rendre plus lisible par les acheteurs et ainsi faciliter la compréhension du dispositif ;
  • Étudier l’incorporation de nouvelles catégories de produits ainsi que les objectifs afférents lors de l’élaboration du nouveau décret ;
  • Fixer des obligations pluriannuelles en cohérence avec l’ensemble des obligations fixées aux acheteurs publics en respectant un principe de mieux-disante environnementale ;
  • Substituer une dénomination générique aux codes CPV sur le plan règlementaire, et ne faire référence à ceux-ci qu’en complément (guides, etc.).

Au-delà de ces quelques recommandations, il est intéressant de souligner que, pour la plupart des segments d’achat visés par le décret du 9 mars 2021 (ex. : appareils ménagers, vaisselles, mobilier urbain, mobilier de bureau…), les acheteurs publics considèrent que l’offre existe (mais avec un volume insuffisant) ou que l’offre est inexistante (ou non connue pour les produits proposés). Ainsi, malgré l’obligation d’acquérir des produits issus de l’économie circulaire, il y a très probablement un déséquilibre entre l’offre et la demande pour ce type de produits.

Dans la foulée de la publication du rapport, le ministère de la Transition écologique a mis en ligne une consultation publique jusqu’en septembre 2023 ayant pour but de recueillir l’avis des acheteurs publics et des entreprises sur le projet de décret et de deux arrêtés faisant évoluer le dispositif.

À la suite à cette consultation publique, un nouveau dispositif entrera en vigueur à compter du 1er juillet 2024.

2. Le nouveau dispositif relatif à l’acquisition de produits issus de l’économie circulaire

Le décret n° 2024-134 du 21 février 2024 relatif à  l’obligation d’acquisition par la commande publique de biens issus du réemploi ou de la réutilisation ou intégrant des matières recyclées vient abroger le décret du 9 mars 2021 à compter du 1er juillet 2024 et fait évoluer le dispositif sur différents points :

  • Le décret vise toujours les marchés de fournitures et désormais, les marchés de travaux et de services lorsqu’ils portent également sur des fournitures ;
  • Possibilité de répondre aux objectifs au moyen de dons de certains produits via la plateforme de dons des mobiliers des administrations (l’arrêté du 29 février 2024 vient préciser ce nouveau dispositif) ;
  • Suppression de la référence aux code CPV dans l’annexe du décret et référence uniquement à des produits (l’arrêté du 29 février 2024 liste les produits concernés) ;
  • Ajout de nouvelles catégories de produits (ex. équipement de collecte des échets et articles et équipements sportifs) en cohérence avec la création des nouvelles responsabilités élargie du producteur (REP) par la loi AGEC et suppression d’autres catégories (ex. : vaisselle et sacs d’emballage) ;
  • Proportions minimales évolutives entre 2024 et 2030 par catégories de produits issus du réemploi ou de la réutilisation et intégrant des matières recyclées.

Comme pour le décret du 9 mars 2021, le CGDD publiera très certainement une notice explicative afin, notamment, d’expliciter les modifications et de préciser le dispositif transitoire s’agissant de la mesure des dépenses annuelles des produits issus de l’économie circulaire pour l’année 2024.

3. La mesure des dépenses annuelles liées aux produits issus de l’économie circulaire

La simplicité ne rimant pas (jamais) avec commande publique, le décret vient préciser à l’article 6 que les modalités de déclaration des dépenses effectuées pour 2024 seront adaptées (publication d’un arrêté à venir) de façon à tenir compte des modifications opérées par ce dernier sachant qu’elles entrent en vigueur au 1er juillet 2024.

Cette évolution règlementaire (avec une entrée en vigueur en cours d’année) n’est pas sans impact pour les collectivités territoriales. Par exemple, le SPASER de la ville de Lyon fixe « dès 2022, les objectifs de montant total annuel dépensé par famille d’achat issus du réemploi ou intégrant des matières recyclées 5 points au-dessus des seuils fixés par la loi AGEC et ses décrets d’application ». Ainsi, les acheteurs publics seront contraints de jongler avec deux comptabilités pour rendre compte aux élus et aux citoyens des résultats au titre de l’année 2024.

Pour les dépenses réalisées au titre de l’année 2025, le décret précise qu’elles devront être publiées sur la plateforme ouverte des données publiques françaises (https://www.data.gouv.fr/fr/).
Ainsi, le portail d’open data data.gouv.fr devient petit à petit le point unique de publication des (nombreuses) données liées à la commande publique.

Conclusions

La circulaire n° 6425 du PM du 21 novembre 2023 relative à l’engagement pour la transformation écologique de l’État a fixé aux administrations centrales et déconcentrées ainsi qu’aux établissements publics et opérateurs sous leur tutelle que « dès 2023 : 100 % de taux de respect de cette obligation [article 58 de la loi AGEC] » (action 7.4). Au-delà du respect des proportions minimales fixées, il convient de relever que l’acquisition des produits issus de l’économie circulaire permet à une organisation de réduire son empreinte carbone sans limiter ses performances économiques. En effet, les achats de biens et de services représentent entre 50-90 % des émissions du scope 3 selon le Global Climative Iniatives et, selon le Carbon Disclosure Project, les émissions du scope 3 représentent généralement entre 60-80 % des émissions totales d’une entité publique ou d’une entreprise.

Dès lors, dans le cadre de la définition des besoins, l’acheteur public devrait s’interroger systématiquement sur la possibilité d’aller chercher tout ou partie de produits d’occasion, reconditionné et/ou intégrant des matières recyclés (dans des proportions non négligeables), acquisitions qui contribueront à l’atteinte des objectifs fixés dans les schémas de promotion des achats responsables (SPASER).

Baptiste Vassor, Juriste, expert achat

* 50 mesures pour une économie 100 % circulaire, feuille de route économie circulaire (FREC)

Auteur :

Baptiste Vassor

Juriste, expert achat

Posté le 02/05/24 par Baptiste Vassor