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CAA de NANCY, 2ème chambre - formation à 3, 19/11/2015, 14NC00462, Inédit au recueil Lebon

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Président : Mme la Pdte. SICHLER

Rapporteur : Mme Laurie GUIDI

Commissaire du gouvernement : M. GOUJON-FISCHER

Avocat : LAGRANGE PHILIPPOT CLEMENT ZILLIG VAUTRIN SCP


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La communauté de communes du bassin de Landres a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner M. E...à lui verser une somme de 296 026,88 euros hors taxes au titre de sa responsabilité contractuelle pour manquement à son devoir de conseil lors des opérations de réception des travaux de construction d'une maison d'accueil de personnes âgées dépendantes à Joudreville ainsi qu'une somme de 10 653,30 euros en remboursement de frais d'expertise.

Par un jugement n° 1100147 du 28 janvier 2014, le tribunal administratif de Nancy a condamné M. E...à verser une somme de 306 680,18 euros à la communauté de communes du bassin de Landres.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 mars 2014 et le 11 septembre 2015, M. E..., représenté par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 28 janvier 2014 ;

2°) de rejeter la demande de la communauté de communes du bassin de Landres ;

3°) subsidiairement, de réduire le montant des dommages et intérêts dus à la communauté de communes du bassin de Landres à une somme de 4 775 euros et de condamner la société Feller Industrie à le garantir de toute condamnation mise à sa charge ;

3°) de mettre à la charge de la communauté de commune du bassin de Landres une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- des réserves ont été formulées dans le procès-verbal de réception du lot n° 18 du marché de construction d'une maison d'accueil des personnes âgées à Joudreville, relatif aux ascenseurs ; ces réserves ont été levées ;
- les ascenseurs étaient en état de fonctionner lorsqu'ils ont été livrés et leur remplacement après huit années de fonctionnement ne peut être mis à la charge du maître d'oeuvre en raison d'un manquement à son devoir de conseil au moment de la réception ;
- le coût des réfections des dysfonctionnements affectant les ascenseurs est estimé à 4 775 euros seulement par le rapport d'expertise, alors que la condamnation à un montant de 306 680 euros prononcée par le tribunal est fondée sur le seul fait qu'une cabine a une hauteur de 2 cm inférieure à ce que prévoit le cahier des clauses techniques particulières ; la somme retenue par le tribunal est sans commune mesure avec le montant des travaux d'origine, même en tenant compte de la dépose des matériels ; il n'a pas été appelé en la cause dans les procédures contentieuses antérieurement engagées par le maître d'ouvrage et ne saurait prendre en charge les travaux d'amélioration des ouvrages alors que les normes concernant les ascenseurs ont évolué entre 2001 et 2008 ;
- la société Feller aurait dû mettre en place des cabines conformes aux prescriptions du lot n° 18 ;


Par des mémoires en défense, enregistrés le 29 août 2014 et le 16 septembre 2015, la société Feller Industries Lorraine représentée par Me D...conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. E...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; subsidiairement, elle demande à ne garantir M. E... des condamnations prononcées à son encontre que dans la limite de 4 775 euros.

Elle soutient que :
- les conclusions tendant à ce qu'elle soit condamnée à garantir M. E...des condamnations prononcées à son encontre doivent être rejetées, dès lors qu'elle n'est pas responsable du manquement du maître d'oeuvre à son devoir de conseil ;
- les autres moyens soulevés par M. E...ne sont pas fondés ; les désordres allégués étaient apparents au moment de la réception, ce qui exclut la mise en oeuvre de la responsabilité de la société Feller au titre de la garantie décennale.


Par des mémoires en défense, enregistrés le 26 février 2015 et le 29 septembre 2015, la communauté de communes du bassin de Landres représentée par Me F...conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. E...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- M. E...a manqué à son devoir de conseil et de surveillance au moment de la réception et sa responsabilité est engagée ;
- elle a droit au remboursement de tous les frais exposés pour le remplacement des cabines d'ascenseur qui n'étaient pas conformes aux prescriptions du cahier des clauses administratives particulières ; le remplacement des cabines d'ascenseur était nécessaire ;


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des marchés publics
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Guidi,
- les conclusions de M. Goujon-Fischer rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant la communauté de communes du bassin de Landres.


Sur la responsabilité de M.E... :

1. Considérant, en premier lieu, que la responsabilité des maîtres d'oeuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves ; qu'il importe peu, à cet égard, que les vices en cause aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d'oeuvre en avait eu connaissance en cours de chantier ;

2. Considérant que la communauté de communes du bassin de Landres a fait construire une maison d'accueil de personnes âgées et dépendantes à Joudreville (Meurthe et Moselle) ; que la maîtrise d'oeuvre a été confiée à M.E..., architecte et le lot n°18 a été conclu pour l'installation de deux ascenseurs avec la société Feller Industries ; que les ascenseurs ont été réceptionnés le 15 novembre 2001 avec trois réserves " non exhaustives " concernant respectivement l'habillage des portes des cabines réalisées en inox lisse et non en " peau de buffle ", le plafond des cabines, qui était droit au lieu d'être bombé, et les cellules de protection des portes, limitées à un seul faisceau alors qu'elles devaient couvrir toute la hauteur des cabines ; qu'après avoir constaté d'autres malfaçons et non conformités aux pièces contractuelles ainsi que de nombreux dysfonctionnements des appareils, la communauté de communes du bassin de Landres a demandé au tribunal administratif de Nancy, le 17 mars 2004, la désignation d'un expert ; que le rapport d'expertise du 25 mai 2005 relève qu'outre les malfaçons qui avaient fait l'objet de réserves, les ascenseurs installés par la société Feller Industries présentaient également les malfaçons et non conformités suivantes : dimensions des cabines, non conformes, non seulement en hauteur pour les deux cabines (2118 mm au lieu de 2300 mm), mais aussi en largeur pour l'une d'entre elles (2 cm), contrôleur et canalisations électriques non multiplexés, prescriptions contractuelles non respectées concernant le panneau de commande, le revêtement du sol des cabines, la main courante, la finition et les couleurs, la télésurveillance par téléphone, l'absence d'indications en braille, les pictogrammes et l'éclairage de secours ; que l'ensemble de ces malfaçons et non conformités auraient aisément pu être décelées par le maître d'oeuvre ; que, dans ces conditions, la responsabilité de M.E..., qui a manqué à son devoir de conseil lors des opérations de réception, est engagée ;

Sur le préjudice :

3. Considérant qu'eu égard aux nombreuses non conformités aux prescriptions contractuelles ainsi qu'à la spécificité du public accueilli dans une maison d'accueil de personnes âgées dépendantes, et alors même que des travaux de maintenance d'un montant moins élevé auraient permis de mettre fin à certains dysfonctionnements des appareils, consécutifs à des fuites d'huile et à un non alignement des guides de charge résultant d'un mauvais entretien des installations, la communauté de communes du bassin de Landres est fondée à inclure dans son préjudice indemnisable le remplacement des ascenseurs auquel elle a procédé en 2008 par marché conclu avec la société Otis ainsi que, par voie de conséquence, les frais de maîtrise d'oeuvre encourus à l'occasion de l'installation des nouveaux ascenseurs, les frais de contrôle technique des installations et d'intervention du coordonnateur de sécurité et de protection de la santé, les frais liés à la publication des avis d'appel public à la concurrence pour la recherche d'un nouvel opérateur, ainsi que les frais de l'expertise ordonnée en référé, dont elle a assumé la charge ; que si M. E... fait valoir qu'il ne lui appartient pas de prendre en charge les travaux d'amélioration de l'ouvrage qui résultent nécessairement du remplacement des installations selon les normes désormais en vigueur, il n'apporte aucun élément à l'appui de ces affirmations ; que l'ensemble des frais de remplacement exposés par la communauté de communes du bassin de Landres est justifié par les pièces produites pour une somme d'un montant de 296 026,88 euros hors taxes ;

Sur les conclusions en garantie de M. E...dirigées contre la société Feller Industries :

4. Considérant que le préjudice subi par le maître d'ouvrage qui a été privé de la possibilité de refuser la réception des ouvrages non conformes aux prescriptions contractuelles ou d'assortir cette réception de réserves, du fait d'un manquement du maître d'oeuvre à son obligation de conseil, et dont ce dernier doit réparer les conséquences financières, n'est pas directement imputable aux manquements aux règles de l'art commis par les entreprises en cours de chantier ; que, par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de ses conclusions, M.E..., n'est pas fondé à demander que la société Feller Industries soit condamnée à le garantir des condamnations prononcées à son encontre ;

5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. E...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy l'a condamné à verser une somme de 306 680,18 euros, y compris les frais d'expertise, à la communauté de communes du bassin de Landres en réparation du préjudice résultant du manquement à son devoir de conseil lors des opérations de réception des ascenseurs de la maison de retraite pour personnes âgées et dépendantes de Joudreville et a rejeté sa demande tendant à ce que la société Feller Industrie soit condamnée à le garantir des condamnations prononcées à son encontre ;



Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. E...une somme de 1 500 euros à verser respectivement à la communauté de communes du bassin de Landres et à la société Feller Industries au titre des frais exposés par ces dernières et non compris dans les dépens ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la communauté de communes du bassin de Landres, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à verser à M. E...la somme que celui-ci demande sur le fondement des mêmes dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. E...est rejetée.

Article 2 : M. E...versera une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative respectivement à la communauté de communes du bassin de Landres et à la société Feller Industrie.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...E..., à la société Feller Industrie et à la communauté de communes du bassin de Landres.


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N° 14NC00462



Abstrats

39-06-01-04-04-01 Marchés et contrats administratifs. Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage. Responsabilité décennale. Responsabilité de l'architecte. Faits de nature à engager sa responsabilité.

Source : DILA, 08/12/2015, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Cour administrative d'appel

SIEGE : CAA Nancy

Date : 19/11/2015