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Conseil d'État, Section du Contentieux, 27/04/2011, 335370, Publié au recueil Lebon

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Rapporteur : M. Romain Victor

Commissaire du gouvernement : M. Geffray Edouard


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la requête, enregistrée le 7 janvier 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Donald A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 11 mars 2009 par lequel le Président de la République a accepté sa démission du corps des administrateurs civils ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique de le priver du bénéfice de son traitement et de ses primes pour la période du 1er novembre 2008 au 31 mars 2009 ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique de le réintégrer dans le corps des administrateurs civils à compter du 1er novembre 2008 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

Vu le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 ;

Vu le décret n° 2008-368 du 17 avril 2008 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Romain Victor, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Edouard Geffray, rapporteur public ;




Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A, administrateur civil hors classe, a été affecté à l'administration centrale du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et du ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique à compter du 15 août 2008, à l'issue de son détachement dans le corps des conseillers économiques ; qu'ayant souscrit à la proposition qui lui était faite de bénéficier du versement d'une indemnité de départ volontaire d'un montant de 89 046 euros bruts sous réserve qu'il rédige une demande de démission marquant sa volonté expresse de quitter l'administration à compter du 1er novembre 2008, M. A a présenté sa démission du corps des administrateurs civils par un courrier adressé au Premier ministre, remis le 17 octobre 2008 au directeur des personnels du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi ; que, par un décret du 11 mars 2009, publié au Journal officiel de la République française le 12 mars 2009, le Président de la République a accepté sa démission ; que M. A demande l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, du décret par lequel sa démission a été acceptée et, d'autre part, de la décision du ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, révélée par le bulletin de paye qui lui a été remis au titre du mois d'avril 2009, de le priver du bénéfice de son traitement et de ses primes pour la période du 1er novembre 2008 au 31 mars 2009 ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation du décret du 11 mars 2009 :

Considérant que M. A a intérêt à demander l'annulation du décret attaqué ; qu'ainsi la fin de non-recevoir opposée par l'administration à ses conclusions dirigées contre cet acte doit être écartée ;

Considérant qu'aux termes de l'article 24 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : La cessation définitive de fonctions qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire résulte : / (...) 2° De la démission régulièrement acceptée (...) et qu'aux termes de l'article 58 du décret du 16 septembre 1985 : La démission ne peut résulter que d'une demande écrite de l'intéressé marquant sa volonté expresse de quitter son administration ou son service. Elle n'a d'effet qu'autant qu'elle est acceptée par l'autorité investie du pouvoir de nomination et prend effet à la date fixée par cette autorité. La décision de l'autorité compétente doit intervenir dans le délai de quatre mois à compter de la réception de la demande de démission ;

Considérant, d'une part, que, eu égard à la portée d'une démission et à l'exigence, posée par la loi du 13 juillet 1983, qu'elle soit régulièrement acceptée, il résulte des dispositions précitées du décret du 16 septembre 1985 que, si l'autorité investie du pouvoir de nomination dispose d'un délai de quatre mois pour notifier une décision expresse d'acceptation ou de refus, sans que puisse naître, à l'intérieur de ce délai, une décision implicite de rejet, elle se trouve dessaisie de l'offre de démission à l'expiration de ce délai, dont le respect constitue une garantie pour le fonctionnaire, et ne peut alors se prononcer légalement que si elle est à nouveau saisie dans les conditions prévues par l'article 58 du décret précité ;

Considérant, d'autre part, que, dans l'hypothèse où l'autorité compétente ne s'est pas prononcée dans le délai de quatre mois, elle doit être regardée comme ayant refusé de statuer sur l'offre de démission du fonctionnaire ; que celui-ci est recevable à contester devant le juge de l'excès de pouvoir cette décision de refus de statuer ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A a régulièrement présenté sa démission du corps des administrateurs civils, ainsi qu'il a été dit, par une lettre du 17 octobre 2008 ; que l'administration disposait d'un délai de quatre mois, à compter de cette date, pour lui notifier une décision d'acceptation ou de refus ; que le décret par lequel le Président de la République a accepté cette démission, qui est intervenu le 11 mars 2009, soit après l'expiration du délai de quatre mois prévu par les dispositions précitées du décret du 16 septembre 1985, est, pour ce seul motif, illégal ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. A est fondé à en demander l'annulation ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision des ministres chargés de l'économie et du budget de priver M. A de son traitement et de ses primes pour la période du 1er novembre 2008 au 31 mars 2009 :

En ce qui concerne la recevabilité des conclusions :

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article R. 432-1 du code de justice administrative : La requête et les mémoires des parties doivent, à peine d'irrecevabilité, être présentés par un avocat au Conseil d'Etat et qu'aux termes de l'article R. 432-2 du même code : Toutefois, les dispositions de l'article R. 432-1 ne sont pas applicables : / 1° Aux recours pour excès de pouvoir contre les actes des diverses autorités administratives (...) ;

Considérant que M. A soutient que, par la décision attaquée, les ministres chargés de l'économie et du budget ont illégalement décidé qu'il n'avait droit ni à son traitement ni à ses primes pour la période du 1er novembre 2008 au 31 mars 2009 ; que ses conclusions dirigées contre cette décision doivent être regardées comme des conclusions d'excès de pouvoir ; que les ministres chargés de l'économie et du budget ne sont dès lors pas fondés à soutenir que la requête de M. A serait irrecevable, au motif qu'elle n'a pas été présentée par un avocat au Conseil d'Etat ;

En ce qui concerne la légalité de la décision attaquée :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le décret du 11 mars 2009 portant acceptation de la démission de M. A, qui ne mentionne lui-même aucune date, a pris effet le 1er avril 2009 ; que, toutefois, les ministres chargés de l'économie et du budget ont décidé que l'intéressé n'avait droit ni à son traitement ni à ses primes pour la période du 1er novembre 2008 au 31 mars 2009, au motif de l'absence de service fait ;

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 précitée qu'un fonctionnaire n'a droit à sa rémunération qu'après service fait ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. A ne s'est vu proposer aucune affectation à compter de son offre de démission le 17 octobre 2008, ni d'ailleurs entre le 15 août 2008, date de sa réintégration dans le corps des administrateurs civils, et le 17 octobre 2008, sans que cette circonstance ne lui soit imputable ; qu'ainsi, l'administration ne saurait lui opposer l'absence de service fait ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. A est fondé à demander l'annulation de la décision attaquée ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant que l'annulation du décret attaqué implique nécessairement que M. A soit réintégré dans le corps des administrateurs civils à la date à laquelle ce décret a pris effet, soit à compter du 1er avril 2009 ; qu'il y a lieu, pour le Conseil d'Etat, d'ordonner cette réintégration dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision ; que l'exécution de la présente décision implique par ailleurs nécessairement que l'administration tienne compte, pour régulariser la situation financière de M. A pour la période du 1er novembre 2008 au 31 mars 2009, de l'annulation de la décision attaquée des ministres chargés de l'économie et du budget ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et en l'absence de justifications particulières par le requérant des frais exposés à l'occasion de la présente instance, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 200 euros à M. A ;



D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le décret du Président de la République du 11 mars 2009 acceptant la démission de M. A et la décision du ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique de priver M. A du bénéfice de son traitement et de ses primes pour la période du 1er novembre 2008 au 31 mars 2009 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de réintégrer M. A dans le corps des administrateurs civils à la date du 1er avril 2009, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, et aux ministres chargés de l'économie et du budget de tenir compte, pour régulariser la situation financière de l'intéressé pour la période du 1er novembre 2008 au 31 mars 2009, de l'annulation de leur décision mentionnée ci-dessus.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à M. A la somme de 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Donald A, au Premier ministre, au ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.

Abstrats

36-10-08 FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS. CESSATION DE FONCTIONS. DÉMISSION. - DÉPASSEMENT PAR L'ADMINISTRATION DU DÉLAI QUI LUI EST IMPARTI POUR ACCEPTER LA DÉMISSION D'UN FONCTIONNAIRE - 1) CONSÉQUENCES - A) DESSAISISSEMENT DE L'ADMINISTRATION - B) IRRÉGULARITÉ DE LA DÉCISION D'ACCEPTATION PRISE APRÈS L'EXPIRATION DE CE DÉLAI [RJ1] - 2) VOIE DE RECOURS - POSSIBILITÉ POUR LE FONCTIONNAIRE DE DEMANDER AU JUGE DE L'EXCÈS DE POUVOIR L'ANNULATION DU REFUS DE STATUER SUR SA DEMANDE - EXISTENCE.

Résumé

36-10-08 1) Eu égard à la portée d'une démission et à l'exigence, posée par la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, qu'elle soit régulièrement acceptée, le délai de quatre mois prévu par l'article 58 du décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 imparti à l'administration pour notifier une décision expresse d'acceptation ou de refus présente un caractère impératif. a) Si l'administration ne s'est pas prononcée dans ce délai, elle se trouve dessaisie de l'offre de démission, sans que puisse naître, à l'intérieur de ce délai, une décision implicite de rejet. b) La décision prise par l'administration au-delà du délai qui lui est imparti pour se prononcer sur une offre de démission est illégale pour ce motif.,,2) Dans l'hypothèse où l'autorité compétente ne s'est pas prononcée dans le délai qui lui était imparti sur l'offre de démission, elle doit être regardée comme ayant refusé de statuer sur cette offre. Le fonctionnaire est recevable à contester cette décision devant le juge de l'excès de pouvoir.

Source : DILA, 17/01/2012, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Conseil d'État

Date : 27/04/2011