Une qualification complexe
Le mobilier urbain souffre de l’absence d’une véritable définition officielle. Ce type d’équipements destinés aux collectivités locales a été inventé par Jean-Claude Decaux, créateur de l’Abribus dès 1964.
Un contrat de mobilier urbain peut suggérer plusieurs situations. Deux d’entre elles semblent être les plus fréquentes :
- Le contrat de mobilier urbain peut stipuler que la collectivité bénéficie des équipements moyennant la prise en charge des frais d’installation, d’entretien et de fonctionnement, en contrepartie de quoi la société prestataire se rémunère sur les recettes publicitaires liées au mobilier.
- Le contrat peut également prévoir une mise à disposition gratuite des équipements en contrepartie d’une autorisation d’affichage.
Dans les deux cas et en général :
- Le mobilier demeure la propriété de la société prestataire.
- La collectivité locale offre l’occupation privative de son domaine public, puisque aucune redevance d’occupation n’est due au titre dudit contrat.
- La société s’oblige à laisser à la disposition de la collectivité des emplacements publicitaires pour la diffusion des informations locales (plan du quartier, informations électorales…).
La qualification de ces contrats atypiques s’avère donc compliquée. Durant près de vingt ans, deux thèses se sont opposées :
- Les partisans de la thèse de la qualification du contrat de mobilier urbain en une délégation de service public (DSP) intègrent la question du mode de rémunération de cocontractant de l’administration. Dans le cadre de ce contrat, le prestataire cocontractant est rémunéré par les recettes publicitaires du mobilier. Il ne s’agit donc pas d’un prix versé par la collectivité cocontractante. Dès lors, le contrat ne peut s’analyser en un marché public, mais en une délégation de service public.
- Pour d’autres, les contrats de mobilier urbain devraient s’analyser comme des conventions d’occupation du domaine public.
Ainsi, selon le Conseil d’État, le contrat de mobilier urbain est fréquemment une convention d’occupation du domaine public, et non un marché public ou une DSP. Par conséquent, l’absence de publicité et de mise en concurrence ne saurait rendre irrégulière la convention (voir Foire aux questions).
En l’espèce, une convention avait été conclue le 18 octobre 2005 entre la ville de Paris et la société JCDecaux pour l’installation et l’exploitation de mâts et de colonnes porte-affiches (colonnes Morris). Cette convention prévoyait une affectation culturelle de ces mobiliers par le biais d’affichages de programmes de théâtres, de cirques et de films d’art.
Saisi par une société évincée, le tribunal administratif de Paris a annulé la délibération du Conseil de Paris autorisant son maire à signer la convention avec la société JCDecaux. Cette dernière devait être regardée comme une DSP, pour laquelle la ville n’avait pas respecté la procédure de publicité et de mise en concurrence prévue aux articles L. 1411‑1 et suivants du
Code général des collectivités territoriales
(CGCT), ont estimé les juges de première instance.
Saisie du pourvoi de la ville de Paris, la Haute juridiction administrative considère que la convention n’a pas été conclue pour répondre aux besoins de la ville en matière de travaux, fournitures ou services, en référence à l’article 1er du
Code des marchés publics
(CMP), qui définit le marché public. Elle a été à l’inverse conclue pour répondre à un intérêt général s’attachant à la promotion des activités culturelles de la ville, dans le respect de dispositions légales qui prévoient que les colonnes et mâts porte-affiches sont exclusivement destinés à recevoir l’annonce de spectacles ou de manifestations culturelles, économiques, sociales ou sportives (
loi no 79-1150 du 29 décembre 1979
). Aucune prestation n’a donc été réalisée par la société.
De plus, indique le Conseil d’État, même si ce motif suffit à écarter la qualification de marché public, la convention « ne peut être regardée comme comportant un prix payé par la ville à son cocontractant ». Il s’agit bien d’une redevance d’occupation du domaine public proportionnelle au chiffre d’affaires de la société au titre de l’exploitation publicitaire. Aucun abandon de redevance domaniale ni de recettes publicitaires n’a été consenti par la ville au profit de la société.
Le Conseil d’État a ensuite jugé que la convention n’était pas une DSP. La ville de Paris n’a pas entendu créer un service public de l’information culturelle mais seulement permettre une promotion de la vie culturelle de Paris. Il s’agirait ainsi d’une convention d’occupation du domaine public ayant pour seul objet l’occupation d’une dépendance domaniale, bien que l’occupant soit un opérateur sur un marché concurrentiel. Dans le cadre d’une convention d’occupation du domaine public, il n’existe aucune obligation de mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence, même si l’autorité gestionnaire du domaine a la possibilité de le faire « afin de susciter des offres concurrentes » (
CE, 15 mai 2013, ville de Paris, req. no 364593
; voir aussi le communiqué de presse de la mairie de Paris du 16 mai 2013).
Le juge a apporté un bémol cependant à cette interprétation.
Dans son arrêt du 25 mai 2018, sté Philippe Védiaud Publicité, req. n° 416825, le Conseil d’État apporte d’utiles précisions sur le critère du risque réel d’exploitation qui permet de déterminer si un contrat de mobilier urbain doit être qualifié de marché public ou de concession de service.
Jusqu’ici, le juge avait écarté la qualification de délégation de service public pour les contrats en matière de mobilier urbain. La rémunération de l’opérateur par les seules recettes publicitaires tirées de l’exploitation des mobiliers urbains constitue un risque d’exploitation qualifié de non négligeable. L’opérateur est exposé aux aléas de toute nature qui peuvent affecter le volume et la valeur de la demande d’espaces par les annonceurs publicitaires sans que la commune ne recouvre totalement ou partiellement les pertes qui pourraient résulter de cette baisse.
Pour emporter la qualification de concession, le droit d’exploiter dévolu par le contrat de mobilier urbain doit donc comporter un risque d’exploitation de nature économique.
Un contrat qui a pour objet l’installation, l’exploitation, la maintenance et l’entretien de mobiliers urbains qui prévoit que le titulaire du contrat assure ces prestations à titre gratuit en contrepartie de la perception des recettes publicitaires tirées de la vente d’espaces à des annonceurs publicitaires est une concession de service dès lors qu’il ne comporte aucune stipulation prévoyant le versement d’un prix à son titulaire couvrant les investissements ou éliminant tout risque réel d’exploitation.
Des précautions techniques à intégrer dans la prestation
Au vu des jurisprudences précitées, il apparaît prudent et nécessaire de soumettre au
Code de la commande publique
toutes les recettes suscitées par l’action de la collectivité territoriale en contrepartie d’une prestation ou d’une fourniture.
La mise en concurrence des prestataires potentiels de la régie publicitaire est essentielle, tout comme la distinction des prestations de régie publicitaire et de fourniture des supports – édition ou équipement – permet de se mettre en conformité avec le
Code de la commande publique
.
Toutefois, la gratuité de la prestation du régisseur publicitaire ne favorise pas l’exigence de la collectivité à décrire précisément la prestation souhaitée. Il s’avère pourtant recommandé de décrire avec minutie celle-ci. Par exemple, pour un équipement, il faut se poser les questions suivantes :
- La prestation liée à l’utilisation de l’équipement est-elle incluse : électricité pour des panneaux éclairés par exemple ?
- Faut-il lier l’implantation des plans communaux avec l’emplacement des aires de stationnement ?
- Qu’en est-il de la prise en charge de l’entretien : fréquence, nature et délais d’exécution ?
- Une partie sera-t-elle réservée à la collectivité au sein des espaces publicitaires ?
Prévoir ces prestations permet de déclencher des sanctions en cas de manquement de l’une ou l’autre des parties.
A noter
Un marché de fournitures de mobilier urbain qui prévoirait, comme critère de jugement des offres sur le prix, une compensation par l’exposition sur le mobilier urbain de message publicitaire des candidats encourrait la critique de prévoir un critère financier sans lien direct avec l’objet du marché et serait discriminatoire (
rép. min., QE no 14928, JOAN du 19 mars 2013
).