La face cachée de l’autonomie
L’engagement de la responsabilité administrative du chef d’établissement se situe tout d’abord à la confluence de plusieurs évolutions institutionnelles et sociétales. Depuis un quart de siècle, le déplacement du centre de gravité de l’Éducation nationale vers l’établissement public local d’enseignement (EPLE) s’est accompagné d’une autonomie accrue dans les domaines administratif, pédagogique et financier. Définies par l’article R. 421-8 du
Code de l’éducation
, les missions du chef d’établissement ont été élargies et approfondies. Ainsi est-il à la fois le représentant de l’État et l’organe exécutif au sein de son établissement. Cette dyarchie fonctionnelle valorise sa fonction. En revanche, elle l’expose davantage à travers la formalisation et les implications juridiques des très nombreuses décisions qu’il est amené à prendre et qui peuvent donner lieu à des litiges.
Deux significations pour un même mot
Le terme de responsabilité comporte deux significations bien distinctes. Assumer une responsabilité, c’est en premier lieu exercer une fonction sociale envers autrui, remplir des attributions résultant de devoirs à l’égard des hommes et de la société. Ainsi le chef d’établissement a-t-il des devoirs à l’égard des élèves, des familles et de l’Institution qui l’emploie. Ces devoirs sont d’essence morale ; ils font appel à l’éthique professionnelle dont le corpus de règles écrites et non écrites constitue la déontologie. Mais en droit, la responsabilité consiste également à réparer une faute.
À retenir
De cette ambiguïté sémantique, on retiendra que le chef d’établissement exerce des responsabilités administratives résultant de ses attributions – celles codifiées par le référentiel de métier – et une responsabilité juridique directe ou indirecte qui peut le conduire à gravir les marches du palais de justice pour répondre à la justice civile et/ou à la justice pénale en cas de préjudice causé à un tiers.
Remarque
Dans les pays anglo-saxons, cette ambiguïté n’existe pas. Le vocabulaire comporte deux mots pour bien séparer le devoir de la faute : la responsabilité morale ou responsibility et la responsabilité juridique ou liability.
Autonomie et contrôle a posteriori
L’exercice de la responsabilité administrative se déploie aujourd’hui dans un contexte renouvelé par deux phénomènes connexes. Tout d’abord, l’autonomie pédagogique, administrative et financière de l’EPLE se traduit par la multiplication du champ décisionnel du chef d’établissement dans des domaines extrêmement diversifiés : accueil et sécurité des élèves dans les locaux scolaires ; contrôle de l’assiduité des élèves ; sanctions ; orientation ; organisation des enseignements et des examens ; organisation des sorties scolaires et des voyages ; contrôle hiérarchique sur les personnels employés par l’État et la collectivité de rattachement ; fonctionnement des services publics internes (accès au numérique, service des hébergements…) ; passation des marchés publics ; exercice des fonctions d’ordonnateur.
En second lieu, l’exercice de l’autonomie s’inscrit dans le cadre du contrôle a posteriori des décisions de l’EPLE formalisées par trois types d’actes :
- actes du chef d’établissement ;
- actes du conseil d’administration ;
- actes de la commission permanente dans le cadre de ses compétences déléguées.
Le contrôle de légalité est exercé par l’État (préfecture de région ou de département), par la collectivité territoriale de rattachement (région ou département) et par la tutelle académique (rectorat ou DSDEN). L’obligation de transmission et le contrôle des actes de l’EPLE engagent désormais la responsabilité administrative du chef d’établissement.
À retenir
La responsabilité administrative recouvre par conséquent l’ensemble des décisions et des actes du chef d’établissement. Elle se décline en deux familles de la responsabilité administrative :
- la responsabilité envers la tutelle hiérarchique ; il s’agit ici de la responsabilité hiérarchique ;
- la responsabilité civile à l’égard des personnels et des usagers de l’EPLE qui peuvent introduire un recours devant le juge administratif pour obtenir réparation d’un préjudice. La responsabilité civile peut déboucher sur l’engagement de la responsabilité pénale du chef d’établissement si le plaignant apporte la preuve que celui-ci a commis un manquement aux règles prudentielles compte tenu de la nature de sa mission, des compétences, du pouvoir et des moyens dont il dispose.
L’alourdissement des responsabilités du chef d’établissement s’insère dans un environnement juridique caractérisé par l’entrée du droit dans les enceintes scolaires, phénomène à présent bien connu sous le nom de « juridicisation ».