Psychiatrie, un projet de loi sécuritaire, rétrograde et inapplicable !

Publié le 1 avril 2011 à 0h00 - par

Adopté dans la précipitation en première lecture, puis voté par les députés le 22 mars avant d’être envoyé au Sénat, le projet de loi sur la psychiatrie s’avère incohérent et inapplicable, suscitant une forte opposition parmi les professionnels et les usagers de la psychiatrie.

Cette réforme de l’hospitalisation sous contrainte s’inscrit dans un contexte politique particulier, face à une vive émotion de l’opinion publique après le meurtre d’un étudiant par un malade mental à Grenoble en 2008. Nicolas Sarkozy a promis une réforme de la psychiatrie affirmant que « tous les malades mentaux sont potentiellement dangereux, potentiellement criminels ». Aussi, cette réforme repose-t-elle sur un présupposé entièrement erroné sur le plan scientifique.

Ce que prévoit la loi

En théorie, le projet de loi poursuit trois objectifs : permettre une meilleure prise en charge des patients, assurer leur sécurité et celle des tiers lorsque les patients représentent un danger, garantir le respect des droits fondamentaux et des libertés des patients.

Par suite, le texte prévoit, entre autres :

  • la « substitution d’un régime de soins sans consentement [notamment en soins ambulatoires] au régime d’hospitalisation accompagné d’un protocole de soins » ;
  • l’ « institution d’une période d’observation et de soins initiale de 72 heures au commencement de la prise en charge d’un malade sans son consentement, avec production d’un certificat médical dans les 24 heures suivant son admission » ;
  • le « recours possible au juge des libertés et de la détention contre les mesures de soins sans consentement, de façon facultative par le malade et de façon obligatoire par le directeur de l’établissement ou le représentant de l’État » ;
  • l’ « obligation d’information du directeur d’établissement par le psychiatre lorsque le patient a fait l’objet d’une mesure de soins consécutive à une déclaration d’irresponsabilité pénale ou lorsqu’il a déjà séjourné en unité pour malades difficiles (UMD) » ;
  • la « décision du préfet pour la forme de la prise en charge du patient en fonction du certificat médical établi à l’issue de la période d’observation de 72 heures (prise en compte de l’avis du psychiatre et de l’impératif de l’ordre public) » ;
  • l’ « hospitalisation complète pour les patients déclarés pénalement irresponsables faisant ou ayant fait l’objet de soins psychiatriques ou ayant séjourné en UMD, décidée par le préfet après avis du collège de soignants » ;
  • la « possibilité d’une procédure d’hospitalisation d’urgence en cas de danger imminent » ;
  • l’ « obligation de production d’un certificat médical entre le sixième et huitième jour d’admission pour le maintien des soins sans consentement » ;
  • le « maintien ou levée de la mesure de soins au-delà d’un mois en fonction de la décision du préfet » ;
  • la « possibilité pour le préfet de prendre un arrêté provisoire d’hospitalisation d’office dans le cas d’une atteinte à la sûreté des personnes ou à l’ordre public, de demander une expertise psychiatrique à tout moment, de prendre un arrêté provisoire d’hospitalisation d’office dans le cas d’une atteinte à la sûreté des personnes ou à l’ordre public, de prendre une mesure d’admission en soins sans consentement après avis médical, en cas de risque pour la sûreté des personnes ou d’atteinte à l’ordre public ».

Une vive réaction des professionnels

Un groupe de professionnels et d’usagers de la psychiatrie dénommé « Collectif des trente-neuf contre la nuit sécuritaire » a lancé une pétition et récolté plus de 17 000 signatures pour dénoncer le « virage sécuritaire » d’un président qui « assimile la maladie mentale à une supposée dangerosité ».

Ce collectif critique le fait qu’avec ce projet de loi, l’autorité reste au préfet, disqualifiant les professionnels et les magistrats (leur recours par les patients étant facultatif). Il déplore que « les députés de la majorité, dans leur aveuglement politique et dans leur méconnaissance de la clinique psychiatrique la plus élémentaire, n'[aient] pas pris la mesure du plus grave… En effet, les personnes les plus perturbées sont aux prises avec des sentiments de persécution. Lorsqu’elles sauront qu’elles seront dénoncées par leur psychiatre au directeur de l’hôpital et au préfet en cas de refus de soins ou de retour forcé à l’hôpital, [elles tenteront de] tout faire pour s’échapper. C’est ainsi que des individus se sentant pourchassés risquent de basculer dans des passages à l’acte les plus graves ».

Au-delà des lois…

Dans un contexte plus large, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté vient de publier un rapport accablant sur la situation des hôpitaux psychiatriques. Depuis plus de dix ans, ces établissements se trouvent dans une situation catastrophique. Selon les conclusions de ce rapport, la psychiatrie demeure un monde caché « et dans ce monde-là, ce n’est pas tant la loi, quelle qu’elle soit, qui est en cause, mais la réalité des pratiques ».

Depuis deux ans, le « Collectif des trente-neuf contre la nuit sécuritaire » dénonce une situation alarmante avec une formation minimum des psychiatres réduite aux seuls traitements médicamenteux, pratiquement aucune formation pour les infirmières, le développement des mentalités voulant rapprocher l’hôpital de l’entreprise avec la rentabilité qui s’impose, une gestion bureaucratique accentuée par la loi HPST, une très grande pénurie et l’absence d’un budget spécifique pour la psychiatrie.

Dans ce cadre, il convient de ne pas oublier qu’il est urgent d’envisager que la psychiatrie doit être traitée d’une manière thérapeutique avec une réelle volonté politique et les moyens qui s’imposent, et non sous un aspect répressif qui ne peut qu’augmenter l’insécurité pour les patients et leur entourage, et va à l’encontre du respect des droits fondamentaux des patients, objectif pourtant cité dans le projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge voté le 22 mars 2011.

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