Les représentations et les émotions des professionnels
Accueillir des enfants à besoins spécifiques, dans la perception des professionnels, ne va pas de soi. Ainsi, plusieurs auteurs font le constat que cet accueil dépend souvent de la bonne volonté d’une personne plutôt que d’une conception basée sur une mission dévolue aux établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE), pourtant stipulée ainsi dans le
décret n° 2000-762 du 1er août 2000
: « Ils [les établissements] concourent à l’intégration sociale de ceux de ces enfants ayant un handicap ou atteints d’une maladie chronique. »
Une des raisons principales aux réticences de ces accueils est un élément quasi tabou : la peur et les émotions des professionnels. En effet, le handicap se voit, il peut occasionner des déformations physiques, amener des enfants à avoir des réactions incompréhensibles notamment dans le cas de troubles envahissants du développement (TED). Les enfants atteints de maladie chronique peuvent également être atteints dans leur corps.
Les auteurs disent que ces situations génèrent un sentiment de culpabilité, notamment Herrou et Korff-Sausse : « Nous sommes tous coupables, les parents de l’avoir mis au monde, les éducateurs ou les soignants d’être incapables de le guérir ou le réparer, la société de ne pas réussir à lui procurer une place digne de ce nom. Voilà pourquoi le handicap provoque un rejet qui peut revêtir les formes les plus diverses. Agressivité, mais aussi indifférence. Refus, mais aussi fausse sollicitude. Mépris, mais aussi pitié. Ignorance mais aussi surprotection. »
Dans un EAJE, prendre en compte ces éléments est nécessaire. En effet, nous sommes tous confrontés à ces émotions : dégoût, rejet, apitoiement, protection, hyper-protection ; à ces peurs. Des éléments de notre vie personnelle peuvent se rajouter.
Des questions se posent : que comprend l’enfant ? Que perçoit-il ? Ce questionnement qui nous renvoie à ce qui fait notre humanité, à notre perception de la norme, à « comment faire pour entrer en communication » est « normal ».
Les directions et les gestionnaires d’EAJE doivent penser à ces éléments, afin que chaque membre de l’équipe puisse s’exprimer, être entendu, exposer ses craintes, ses peurs. Dans ce travail de longue haleine, ces réactions, ces émotions pourront être mises à jour pour ensuite amener, peut-être, à une ouverture, à une volonté portée par l’équipe d’accueillir « la différence », notamment les enfants à besoins spécifiques.
L’expression d’un manque de formation
Penser l’amont de l’accueil en équipe est une priorité pour les EAJE. En effet, le frein principal pour l’accueil d’enfants à besoins spécifiques est la peur de cet enfant inconnu. Cette peur se traduit en demande de formation spécifique sur le handicap. Ainsi, beaucoup de professionnels pensent qu’ils ne sont pas formés pour accueillir ces enfants. Pourtant, cette formation n’est pas forcément nécessaire : en effet, il existe une trop grande variété de handicaps et de maladies pour en faire le tour. Des différences interindividuelles existent. Par exemple, deux enfants reconnus comme autistes sont différents dans ce qu’ils donnent à voir. C’est pourquoi, une formation sur le handicap ne peut pas prendre en compte cette diversité.
En revanche, travailler en amont sur les représentations des professionnels, sur les peurs, mais aussi sur ce que chaque professionnel peut exprimer de ses possibilités ou/et impossibilités est premier. En effet, certaines pathologies renvoient le professionnel à la peur de faire mal, voire à faire mal. C’est souvent le cas d’enfants accueillis et se nourrissant par gastrostomie par exemple.
Ainsi, la formation est ici pertinente pour :
- recueillir les représentations des professionnels, notamment lors de réunions d’équipe, avec une personne extérieure ;
- offrir à chaque professionnel, quels que soient son diplôme et son statut, une formation sur le développement du jeune enfant, sur le travail de l’observation ;
- rassurer les professionnels à partir de leur outil professionnel : capacité à décoder le langage non verbal par l’observation, capacité à partir de ce que donne à voir l’enfant de s’ajuster (et non à partir de la connaissance du handicap, par exemple) dans son développement réel (psychopédagogie) ;
- accompagner de manière personnalisée les professionnels de l’établissement pour l’accueil de tel enfant à besoins spécifiques. Dans ce cas, les partenariats avec les établissements du médico-social vont permettre d’informer sur l’accueil spécifique d’un enfant, de façon simple et adaptée, les professionnels (cf. Nouer des partenariats avec les établissements médico-sociaux).