« Le pharmacien, spécialiste du médicament et copilote du prescripteur »

Publié le 4 juillet 2011 à 0h00 - par

Présidente du Conseil national de l’Ordre des Pharmaciens depuis 2009 et du Groupement Pharmaceutique de l’Union Européenne pour 2012, Isabelle Adenot s’exprime sur ses engagements.

De la Nièvre à Paris, Isabelle Adenot a débuté son parcours ordinal en 1987, en tant que membre du Conseil régional de l’Ordre des Pharmaciens de Bourgogne qu’elle a présidé de 1999 à 2007. En 2003, elle est la première femme élue à la tête du Conseil Central A (titulaires d’officines). Après avoir rejoint le Conseil national dès 2007, elle est à nouveau la première femme élue à la présidence du Conseil national de l’Ordre des Pharmaciens (CNOP), en juin 2009. Depuis ce 21 juin, elle est encore la première appelée à présider le Groupement Pharmaceutique de l’Union Européenne (GPUE), en 2012. Cette élection offre l’occasion de faire le point sur ses engagements et ses propositions pour la profession.

Weka.fr Actualités : Les affaires du Médiator®, après le Di-antalvic®, l’Isoméride®, le Distilbène®, le Vioxx®, remettent-elles le pharmacien au cœur des dispositifs en matière de santé ?

Isabelle Adenot : Oui, parce que ces affaires rappellent que le médicament a un bénéfice mais aussi un risque. Il y a toujours cette balance où il est nécessaire que le bénéfice soit toujours supérieur au risque, sauf dans certains cas très rares où il n’y a plus d’autre solution, où il faut tout tenter, même en prenant des risques.
Le médicament n’est pas un produit comme les autres. C’est pour cela qu’il faut des pharmaciens indépendants qui exercent leurs compétences dans l’intérêt du patient et de la santé publique. Et évidemment, ces professionnels doivent être formés. Ils ont, au minimum, six années d’étude, sans compter les spécialisations.

Weka.fr Actualités : Cette profession semble particulièrement structurée en France et en Europe…

Isabelle Adenot : En Europe, nous avons une particularité : la chaîne du médicament. Chaque établissement, en France, est soumis à autorisation par l’Afssaps ou l’autorité régionale. Nous sommes les seuls à avoir un pharmacien responsable à chaque stade de la filière, encadré par le Code de la santé publique et responsable pénalement, civilement et disciplinairement. Le pharmacien industriel a ainsi le pouvoir de libérer ou le devoir de rappeler des lots. Il est une sorte de gardien sanitaire du laboratoire. De même, chez le grossiste répartiteur, se trouve un autre pharmacien responsable avec les mêmes missions et cela jusqu’au pharmacien de l’hôpital ou de l’officine. Les pharmaciens se passent ainsi le médicament de l’un à l’autre. Ailleurs, la chaîne est souvent rompue, ce qui permet le développement de la contrefaçon.

Weka.fr Actualités : Dans ce contexte, l’Ordre a participé récemment aux Assises du médicament, de février à mai derniers. Quelles y ont été vos propositions ?

Isabelle Adenot : Nos interventions ont tourné autour de plusieurs axes.
Tout d’abord, pour nous, il n’est pas nécessaire de créer de révolution totale mais plutôt de générer une évolution. Notre système nécessite, entre autres, que l’ensemble des acteurs se parle davantage.
Nous insistons, ensuite, sur la nécessaire indépendance du pharmacien industriel responsable, notamment en ce qui concerne la surveillance de la publicité, de l’information, de l’organisation de la pharmacovigilance
Du côté du signalement des effets indésirables des médicaments, nous attirons encore l’attention sur la trop grande complexité du système d’alerte des vigilances. Il faudrait également favoriser les formations – initiale et continue – ainsi qu’améliorer les moyens techniques pour accélérer les déclarations des nouveaux effets constatés.
Il faudrait, aussi, un beaucoup plus large accès aux données de santé – des données anonymes bien sûr ! – dont celles du dossier pharmaceutique. Ainsi nous pourrions mieux voir ce qui bouge, les épidémies qui arrivent. Évidemment, seules les autorités pourraient interroger ces données pour des questions de vigilance sanitaire.
Les prescriptions de médicament en dehors des autorisations de mise sur le marché devraient être de l’ordre de l’exceptionnel et davantage sécurisées. Le prescripteur devrait être impliqué ainsi que le pharmacien, un peu comme cela fonctionne dans les établissements de santé sur les autorisations temporaires d’utilisation (ATU).
Il faudrait mettre en œuvre le développement professionnel continu (DPC) auquel l’industrie pharmaceutique pourrait contribuer sur un plan financier mais jamais dans l’exclusivité et toujours en totale transparence.
Il faudrait, enfin, que les déclarations publiques d’intérêt soient uniques et transparentes.

Weka.fr Actualités : Pour supprimer la mainmise des firmes pharmaceutiques sur les prescripteurs, faut-il supprimer les visiteurs médicaux comme le préconise l’IGAS ?

Isabelle Adenot : L’Ordre ne pense pas qu’il faut supprimer les visiteurs médicaux mais il est cependant nécessaire de les encadrer plus et mieux. Le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, a d’ailleurs tranché en ce sens. Oui, cette profession devrait pouvoir continuer d’exister à condition de mieux distinguer, sur le fond, ce qui relève de la publicité de ce qui a un caractère d’information. Je le répète, le médicament n’est pas un produit comme les autres, ce qui implique des règles pour ceux qui le fabriquent, ceux qui le prescrivent, ceux qui le délivrent et la publicité n’est pas libre.

Weka.fr Actualités : Où en êtes-vous concernant la mise en place du dossier pharmaceutique ?

Isabelle Adenot : Ce projet s’inscrit tout à fait dans le sens d’un meilleur usage des médicaments. La profession toute seule a décidé de se doter de son propre outil, qu’elle paye elle-même, qu’elle organise et déploie. Cela démontre la volonté des pharmaciens d’aller dans le sens de l’intérêt général. Aujourd’hui, plus de 20 000 officines l’ont déjà mis en place, soit près de neuf sur dix. 14 millions de Français disposent d’un dossier et il s’en crée 25 000 nouveaux chaque jour.
Cela permet notamment de mieux lutter contre l‘iatrogénie – les contre-indications thérapeutiques. Avec ce dossier, le pharmacien a connaissance actuellement une fois sur quatre des médicaments dispensés ailleurs, ce qui montre bien à quel point nous étions aveugles, dans le brouillard auparavant.
Nous allons désormais déployer ce dossier pharmaceutique dans les établissements de santé, après une première expérimentation dans l’Est et le Sud de la France avec la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). Nous allons poursuivre cette expérimentation sous réserve d’une nouvelle autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), pour casser le cloisonnement entre ville et hôpital.

Weka.fr Actualités : Quelle est votre position sur les missions des pharmaciens d’officine correspondants auxquelles s’oppose le Conseil national de l’ordre des médecins ?

Isabelle Adenot : La loi « Hôpital, patients, santé et territoires » met en avant la coordination nécessaire entre les différents professionnels de santé. Cette meilleure coordination sera de toute façon rendue obligatoire par la démographie des acteurs qui vont être de moins en moins nombreux dans les années à venir. C’est donc aller dans le sens de l’Histoire. Cela se fait de plus en plus ailleurs dans le monde et même en Europe. Il faudra s’appuyer les uns sur les autres pour que le système fonctionne de façon optimale.

Weka.fr Actualités : Quelles seront vos priorités alors que vous allez prendre la présidence du Groupement Pharmaceutique de l’Union Européenne (GPUE) ?

Isabelle Adenot : L’Ordre national des pharmaciens existe parce qu’il faut de la régulation dans le monde de la santé. La loi du plus fort ne peut être valable. Dans mon quotidien ordinal, je dois assurer que l’institution garantisse au public que les pharmaciens sont des vrais pharmaciens. Nous devons veiller à leur compétence et viser toujours plus de sécurité dans l’acte des pharmaciens. Le but, c’est la protection du public.
Lors de mon mandat pour une durée d’une année en 2012 au GPUE, je me fixe deux priorités allant dans ce sens. La première est de promouvoir le rôle du professionnel pour la sécurité du patient : pharmacovigilance, vigilance sanitaire… La seconde sera de dresser l’inventaire, au niveau européen, des nouveaux services développés dans les officines car désormais les pharmaciens en ont bien souvent mis en œuvre au-delà de la simple délivrance des médicaments.

Propos recueillis par Alan Kerhel


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