Portraits d'acteurs

Marie-Claude Sivagnanam

Marie-Claude Sivagnanam

Directrice générale des services de la Communauté d’agglomération de Cergy Pontoise

« Nous avons la chance d’exercer un métier dont les résultats sont tangibles, c’est une grande source de motivation. »

Quelles sont vos fonctions actuelles et quelles ont été les grandes étapes de votre parcours professionnel ?

Marie-Claude Sivagnanam : Je suis directrice générale des services à la Communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise (95) depuis octobre 2020, collectivité qui rassemble 700 agents au service d’un territoire composé de 13 communes et rassemblant 215 000 habitants. Auparavant, j’ai occupé différents postes en direction générale (Ville de Cergy, CA de Cergy-Pontoise, Département du Val d’Oise, CA Arc de Seine) depuis ma formation initiale d’administratrice territoriale à l’INET. J’avais découvert le monde territorial très tôt, au lycée, en travaillant en job d'été auprès d'une secrétaire de mairie dans le petit village d'Alsace dont je suis originaire. Après une prépa en lettres et sciences sociales, j’ai redécouvert le goût pour l’action publique locale grâce à Sciences Po Paris, au travers de cours, d’expériences professionnelles et de rencontres.

Si vous deviez décrire votre métier actuel en 3 mots, quels seraient-ils ?

Marie-Claude Sivagnanam :

  • Diriger : le cœur du métier de DGS, c’est de diriger les équipes pour permettre de mettre en œuvre le projet politique de la collectivité, en lien avec les élus et l’ensemble des parties prenantes.
  • Animer : mobiliser ses collaborateurs, donner du sens, développer une atmosphère de confiance et de convivialité.
  • Réguler : poser un cadre, favoriser une élaboration et un portage collectifs de ce cadre, avoir le courage managérial de le faire respecter, être garant des valeurs du collectif.

Quelles sont les qualités essentielles inhérentes à vos fonctions ?

Marie-Claude Sivagnanam : Le métier de DGS est exigeant, ce qui implique de toujours être en apprentissage pour se développer, car les qualités requises sont nombreuses et évoluent. Elles sont reprises dans la Charte de déontologie et d’éthique que le Syndicat National des DG (SNDGCT) vient d’actualiser, et à laquelle j’adhère totalement.

Si je devais sélectionner les plus importantes, je choisirais d’abord le sens de l’écoute et de l’observation, car la direction générale nécessite de s’intéresser à tout ce qui se passe au sein de la collectivité comme à l’extérieur.

Ensuite l’adaptabilité, pour être en capacité d’accompagner au mieux nos élues et élus dans l’exercice de leurs fonctions comme pour animer l’équipe des agents qui nous sont confiés.

Également, le « devoir de direction », comme le dit la charte, car même si l’exercice n’est pas toujours simple, il faut savoir décider dans notre champ de délégation, également apporter tous les éléments d’aide à la décision aux élues et élus pour les aider à prendre les bonnes décisions, et expliciter, partager le sens de ce que l’on fait.

Et comme tout n’est pas dans la rationalité et que nous avons des éléments parfois limités, il faut savoir faire preuve d’intuition. Enfin, le droit à l’erreur, la remise en question, être à l’aise avec le fait de se tromper, car si l’on accepte soi-même son imperfection, on l’accepte plus de son équipe, dans un esprit de développement individuel et collectif. C'est ce qui encourage les équipes à oser : voir son manager assumer son erreur et la partager permet de casser le côté "manager sachant" et "équipe exécutante". C’est cela l’intelligence collective : accepter la vulnérabilité de chacun, limiter les erreurs par le travail en collectif qui s’appuie sur la complémentarité des approches et des personnalités, et progresser ensemble. Il est aussi important de savoir demander de l’aide et des conseils au sein de sa collectivité comme à l’extérieur, notamment dans les réseaux professionnels ou par le coaching qui sont des appuis indispensables pour tout dirigeant.

Qu’est-ce qui vous fait lever chaque matin ?

Marie-Claude Sivagnanam : L’envie d’agir et d’être utile. Nous avons la chance d’exercer un métier dont les résultats sont tangibles, c’est une grande source de motivation. L’autre source de motivation, c’est toutes les personnes avec lesquelles je suis amenée à travailler, je prends un réel plaisir à partager du temps et à construire avec elles.

Quel est le projet qui vous a le plus marquée et dont vous êtes la plus fière ?

Marie-Claude Sivagnanam : J’ai trouvé beaucoup d’épanouissement professionnel dans la conduite de projets d’envergure, notamment de transformation des organisations dont j’ai eu la responsabilité, afin de les rendre plus efficaces et de faciliter la mise en œuvre des actions et projets, ou encore de refonte de politiques publiques. Mais pour être honnête, l’action dont je suis la plus fière, c’est d’avoir mis en place un pot des retraités, pour les mettre à l’honneur individuellement, avec une attention pour chacune et chacun, lors d’un moment collectif présidé par le maire. On pense souvent à améliorer l’accueil de nos agents, on parle beaucoup de reconnaissance au travail, mais on oublie souvent de remercier comme il se doit nos agents qui partent à la retraite, un moment si important de la vie. On le fait pour des postes haut placés, mais on oublie tous les autres agents qui ont donné tant pour leur collectivité, et souvent pour des petits salaires, mais avec cœur. Je l’ai mis en place en pensant au départ à la retraite de mes parents, car ils ont beaucoup donné pour le service public, sans attendre quoi que ce soit en retour. Faire ce geste désintéressé me semble être une belle manière de remercier l’engagement des agents publics.

Avez-vous un rêve que vous souhaiteriez concrétiser ?

Marie-Claude Sivagnanam : Mon rêve serait que davantage de femmes osent occuper des postes à responsabilité. Je suis bien placée pour savoir que ce n’est pas facile, ni de les briguer, car il faut dépasser des freins personnels comme collectifs, ni de continuer à les occuper. Les statistiques, malheureusement peu connues, sont pourtant éloquentes, elles m’ont permis de prendre conscience que je fais partie d’une très faible proportion de femmes DGS, dans une fonction publique pourtant très féminisée, avec un vivier de femmes compétentes. C’est pour cela que je me suis investie pour la création de l’association Dirigeantes et Territoires dont j’ai été nommée vice-présidente, et je suis très fière et heureuse de participer à ce beau projet porteur de davantage de parité.

Quelles sont les rencontres qui vous ont le plus marquée dans votre carrière ?

Marie-Claude Sivagnanam : Celles qui m’ont le plus aidé à me forger une vision de mon métier, ce sont celles des dirigeants dont j’ai beaucoup observé la façon de travailler. J’ai construit mes convictions managériales en prenant ce qui résonnait positivement en moi et en excluant ce qui ne me semblait pas bon.

J’ai aussi croisé la route de personnes qui ont cru en moi, qui m’ont aidé à prendre confiance en moi et à me développer. Je leur dois énormément, qu’il s’agisse de proches, de collaborateurs/trices, de dirigeants/tes, notamment dans les réseaux professionnels, d’élus/es, de membres de cabinets de recrutement ou encore de coachs.

Quelle est votre citation préférée et pourquoi ?

Marie-Claude Sivagnanam : « Errare humanum est, perseverare diabolicum ». L’erreur est humaine, persister dans son erreur est diabolique, ou dans une version plus récente de John Powell : « la seule véritable erreur est celle dont on ne retire aucun enseignement », ce qui fait écho pour moi au livre de Charles Pépin "Les vertus de l’échec".

Pourquoi cette citation ? D’abord par clin d’œil familial à la langue latine qui recèle des trésors de sagesse, ensuite parce que sur le fond, cette citation nous rappelle notre nature humaine à la fois imparfaite mais dotée d’une formidable capacité à apprendre et à progresser, pour autant qu’on accepte de sortir de sa zone de confort et de ses certitudes.

Quels sont les deux changements les plus importants qui ont impacté votre carrière ? (sociétaux, institutionnels, humains…)

Marie-Claude Sivagnanam : Le développement de l’intercommunalité me passionne, avec toute la complexité inhérente à un projet collectif porté par des collectivités qui ont une identité très forte, à savoir les communes.

J’ai pu en comprendre tout l’intérêt par ce que ce changement institutionnel a apporté très concrètement dans le village dont je suis originaire. L’intercommunalité a joué un réel rôle de sauvegarde du service public. Tout fermait progressivement, et en s’unissant, les communes ont pu non seulement éviter des fermetures et une désertification des services publics, mais ont même développé de nouveaux projets à fort impact. Dans le même temps, à l’instar de l’Europe, une tension forte existe entre les apports de ce nouvel échelon et les critiques qu’il suscite. Le challenge de fédérer des énergies qui peuvent à certains moments s’opposer est de taille, mais tellement nécessaire dans un pays structuré administrativement comme le nôtre. J’ai eu l’occasion de travailler dans une agglomération qui venait de se créer, qui était un peu en mode « start up », de même que dans un ex-Syndicat d’Agglomération Nouvelle, avec une histoire forte, et il est étonnant de voir ce qui peut accélérer ou freiner le mouvement intercommunal, avec une part conséquente à la fois du facteur humain et du facteur financier.

Le deuxième changement marquant, c’est bien entendu la crise sanitaire que nous vivons. Avoir exercé comme DGS de commune au moment où la crise a éclaté, en pleine campagne des municipales et alors que je rentrais juste de congé maternité, restera comme un moment très intense de ma carrière. Il a fallu notamment accompagner toute une organisation dans la révolution du travail à distance, complètement antithétique avec le travail en commune, habituellement caractérisé par la présence, la proximité et le terrain. Il a fallu aussi trouver comment être proches des habitants autrement, et comment accompagner toutes les étapes complexes de cette crise, avec des moments de brouillard complet où nous devions malgré tout allumer quelques phares pour donner une direction à tous, en essayant d’anticiper les directions futures.

À ce titre, les réseaux professionnels locaux, de dirigeants territoriaux, d’associations d’élus, comme nationaux, ont joué un rôle majeur pour nous permettre d’avancer, et ces liens de coopération sont un acquis de la crise que nous pourrons mobiliser pour d’autres challenges.

Par ailleurs, avoir dû travailler en distanciel nous a donné des outils nouveaux qui nous seront utiles dans d’autres circonstances. Cela a aussi permis de voir à quel point l’humain est essentiel pour bien travailler et bien accompagner les évolutions de nos organisations. Le « tout à distance » atteint clairement ses limites. J’ai hâte de retrouver une vie d’équipe avec l’ensemble des agents de ma collectivité comme avec tous les acteurs du territoire. Cela me manque cruellement et me confirme que c’est une partie essentielle de notre travail de dirigeant.

 

Propos recueillis par Hugues Perinel

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