Portraits d'acteurs

Vincent Lescaillez

Vincent Lescaillez

DGA en charge des Ressources humaines, de la transformation et de l'administration générale à Bordeaux Métropole

« Notre rôle est aussi de favoriser, de soutenir, et de fluidifier le dialogue managérial, qui reste la condition de notre efficacité collective. »

Quelles sont vos fonctions actuelles et les grandes étapes de votre parcours professionnel ?

Vincent Lescaillez : Je suis actuellement DGA en charge des Ressources humaines, de la transformation et de l'administration générale à Bordeaux Métropole. Une des singularités de ce poste est d'être mutualisé avec la Ville de Bordeaux.

Mon champ de compétences comporte principalement les Ressources humaines, mais aussi d'autres fonctions ressources, comme les affaires juridiques, les archives, l'immobilier, la logistique ou le parc matériel roulant. J'ai également la responsabilité de fonctions qui concourent à l'animation et à la transformation de nos administrations (Métropole et Ville de Bordeaux), à travers la communication interne, la relations usagers, l'accompagnement au changement ou le conseil en organisation.

Précédemment j'ai exercé des fonctions en commune, à Roubaix dans le Nord, où j'ai occupé les fonctions de DGA en charge des Ressources, au sens large, et de la proximité (réseau des mairies de quartier, politique de la ville et vie associative). Ce fut une expérience passionnante, et aussi très exigeante, sur un territoire où les attentes à l'égard du service public sont considérables, mais qui regorge aussi d'opportunités.

Avant cette expérience, j'avais débuté ma carrière en tant que DRH, d'abord à la Communauté d'Agglomération de Cergy-Pontoise, puis au Département du Pas-de-Calais. Un métier que j'ai appris, aimé, subi parfois, mais pour lequel j'aurais toujours un particulier attachement, que je fais vivre au travers de mes responsabilités associatives avec l'ADRHGCT.

Mon parcours de formation est assez classique pour le « territorial » que je suis, avec une formation initiale littéraire, prolongée par une scolarité à Sciences Po puis à l'INET, dont je suis sorti en 2007.

Si vous deviez décrire votre métier actuel en 3 mots, quels seraient-ils ?

Vincent Lescaillez : Je dirais en premier lieu le dialogue. Parce que mon métier suppose d'abord de l'écoute, qui est une dimension essentielle de l'approche RH. Et ensuite parce qu'il caractérise de nombreux aspects de mon métier. On pense bien sûr au dialogue social, qui reste une caractéristique très forte d'un poste comme celui-ci, avec une dimension interpersonnelle très marquée. Mais aussi au dialogue avec les directions opérationnelles, avec qui se construit la fonction RH, une fonction par essence partagée. Enfin notre rôle est aussi de favoriser, de soutenir, et de fluidifier le dialogue managérial, qui reste la condition de notre efficacité collective.

Solution. C'est le deuxième mot que je choisirais, tant notre fonction nous expose à de nombreux problèmes, de tous ordres, auxquels il faut apporter la bonne, ou souvent la moins mauvaise réponse. Gare toutefois à bien positionner chacun dans son champ de responsabilité, pour que la fonction RH reste une fonction support et pas une fonction de déport, comme le dit souvent mon adjointe, Magalie Sabbah.

Pour le troisième mot, je dirais interface, pour tenter de qualifier mon rôle de traduction entre les orientations politiques exprimées par nos élus, les décisions prises par la direction générale et leur mise en œuvre opérationnelle. C'est parfois difficile « d'embarquer » ses équipes dans cette mise en œuvre. Soit parce que la décision est impopulaire, soit parce qu'elle comporte une certaine dose de risques juridiques, soit encore parce qu'elle vient bousculer des habitudes.

Quelles sont les qualités essentielles inhérentes à vos fonctions ?

Vincent Lescaillez : La tempérance. Dans une société marquée par l'immédiateté, le spectaculaire et la polarisation des opinions, un DGA, qui plus est en charge des RH, doit selon moi représenter un pôle de stabilité. Il doit participer à la désescalade des conflits, mieux encore, à la prévention de leur apparition. Je me donne souvent comme objectif de représenter un positionnement neutre, pour faire émerger la solution la plus équilibrée, et la plus susceptible d'être acceptée par toutes les parties.

La sincérité. Une bonne partie du métier consiste à dire des choses que les gens n'ont pas envie entendre, ou de leur imposer des contraintes. Savoir dire ces choses est une qualité essentielle de mon métier, que je distingue de la franchise ou de l'honnêteté, en ce que la sincérité marque plus fortement la notion de respect pour son interlocuteur. La sincérité suppose d'avoir une attention à la manière dont le discours sera reçu par son interlocuteur, et plus fondamentalement encore une considération pour son être professionnel.

L'imagination. C'est peut-être selon moi la qualité essentielle en matière de RH ! C'est d'ailleurs le corollaire de la fonction de recherche de solutions que j'évoquais plus haut. Quand un problème remonte au niveau du ou de la DRH, c'est que la solution n'a pas pu être trouvée par les voies classiques. Cela suppose de faire un pas de côté, de regarder les choses sous un autre angle, pour apporter une réponse différente. Et puis surtout, c'est très stimulant intellectuellement.

Qu'est-ce qui vous fait lever chaque matin ?

Vincent Lescaillez : L'envie d'être utile, le besoin d'apprendre, et l'intention de me laisser émerveiller par le monde et par ses habitants. À la fin de la journée, j'ai toujours appris quelque chose, j'ai parfois été utile, mais l'émerveillement n'est pas toujours au rendez-vous. Ce qui ne m'empêche pas de garder espoir pour le lendemain !

Quel est le projet qui vous a le plus marqué ou dont vous parleriez avec fierté ?

Vincent Lescaillez : La mise en place depuis le 1er janvier 2024, pour la première fois pour un employeur territorial, d'une protection sociale complémentaire universelle. C'est-à-dire le fait de faire bénéficier d'office, dès son premier jour d'embauche, tout agent de Bordeaux Métropole d'une couverture en termes de rémunération (garantie de maintien de salaire en cas incapacité ou d'invalidité) et de frais de santé (mutuelle). Ce projet m'a particulièrement enthousiasmé pas tant pour le fait d'être précurseurs (même si ça ne gâche rien !) mais parce qu'il est pour moi emblématique de ce que permet la fonction RH dans la FPT :

  • Une réelle autonomie de décision de l'employeur que nous sommes : alors que le cadre réglementaire de la protection sociale obligatoire n'est pas encore fixé au niveau national, nous avons, dans le silence des textes, bâti une solution originale qui correspond à la fois à nos ambitions et à nos possibilités.
  • Une solution issue d'un consensus entre les partenaires sociaux, devenue réalité juridique grâce à la signature d'un accord unanime avec les OS, créateur de droit.
  • Une réelle conquête sociale pour nos agents, comme on en vit peu à l'échelle d'une carrière. L'absence ou la faiblesse de la PSC dans les collectivités territoriales est encore un des désavantages comparatifs majeurs de la fonction publique par rapport à des employeurs privés. À cela il faut ajouter que la PSC ne protège pas uniquement nos agents, mais aussi leurs familles, et que cela constitue pour nous une responsabilité élargie.
  • Une opportunité, en partageant notre expérience, de renforcer notre attractivité en tant qu'employeur, et plus largement, celle de la FPT. Et au-delà de l'attractivité, un réel atout en matière de fidélisation de nos agents.

Avez-vous un rêve que vous souhaiteriez concrétiser ?

Vincent Lescaillez : Un rêve qui semble à portée de main, mais qui pourtant nous échappe toujours : une dématérialisation totale de la GRH ! Je parlais de désavantage comparatif de la FP par rapport au privé (même si ce terme englobe des réalités très différentes), « l'expérience agent » de ce point de vue me semble encore très en retrait par rapport à ce que proposent nos homologues du privé. Notre gestion RH reste encore trop archaïque, marquée par la culture du papier, prisonnière de choix imposés par des éditeurs de logiciels, et par nos modes de gestion. Malgré le dévouement des équipes qui ont la lourde charge, quotidiennement, en DRH comme dans les DSI, de maintenir les SIRH en conditions opérationnelles, nous butons encore sur certaines difficultés techniques, mais aussi statutaires, qui nous empêchent d'aller au bout de ce processus, qui ferait enfin entrer (avec quelques années de retard...), la GRH publique dans le XXIe siècle. Le terme de « simplification » s'est invité dans l'intitulé du ministère de la Fonction publique. Chiche !

Quelles sont les rencontres qui vous ont le plus marqué dans votre carrière ?

Vincent Lescaillez : La première que je citerais est Agnès Montalvillo, qui était DRH de la Communauté d'Agglomération de Cergy-Pontoise (CACP) et qui m'avait accueilli en fin de scolarité de l'INET pour y faire mon stage de professionnalisation. Je n'envisageais pas à ce moment de ma scolarité prendre mon premier poste en RH, ni en région parisienne. Mais elle m'a montré très rapidement en quoi la DRH est une place privilégiée dans une organisation, et en quoi le métier de DRH était à la fois très technique et laissait beaucoup de place à l'initiative, et que l'on pouvait bâtir une véritable politique RH à l'échelle d'une collectivité. Elle m'a surtout accordé tout de suite une grande confiance, et quand elle m'a proposé de devenir son adjoint à l'issue de mon stage, je n'ai pas hésité, même si cela ne cochait aucun de mes critères de recherche initiaux !

La seconde rencontre est plus atypique. Il s'agit d'un entrepreneur de pompes funèbres d'Argenteuil. Il se trouve qu'un agent de la CACP encore en activité venait de décéder subitement. Nous avions à cette occasion découvert que cet agent très discret habitait depuis son arrivée en France dans un foyer de travailleurs, et que sa famille était restée en Algérie. Il n'avait aucun parent en France. Au regard de ces circonstances, la CACP, en tant qu'employeur, a pris la décision de prendre à sa charge le rapatriement du corps de l'agent défunt. Et c'est à moi, en ma qualité de DRH, qu'est revenu le soin de m'occuper de cette tâche pour le moins délicate. Je me souviens donc m'être rendu un samedi matin chez un entrepreneur de pompes funèbres musulman qui m'a expliqué, avec beaucoup de prévenance, comment il fallait procéder dans le respect d'une coutume qui n'était pas la mienne. Ce jour-là, j'ai compris que les responsabilités qu'implique le métier de DRH pouvaient aller très loin.

Quelle est votre citation préférée et pourquoi ?

Vincent Lescaillez : « Il faut toujours connaître les limites du possible. Pas pour s'arrêter, mais pour tenter l'impossible dans les meilleures conditions. » C'est de Romain Gary. Au-delà du côté bravache voire romantique de cette citation, je trouve qu'elle illustre très bien la subtilité du positionnement des hauts fonctionnaires auprès des décideurs publics : notre rôle est bien d'éclairer la décision, d'environner le risque, pour que nos décideurs soient « en situation » de décider. C'est aussi une belle image de ce qu'est rôle de manager dans de grandes organisations : montrer à nos équipes de nouveaux horizons, leur donner envie de les explorer, les rassurer sur le chemin à suivre pour y parvenir. Et de temps en temps, les faire se retourner sur le chemin parcouru.

Quelle est votre routine quotidienne pour prendre soin de vous ?

Vincent Lescaillez : J'ai la chance de travailler dans une tour de 19 étages qui domine l'agglomération. On dit que c'est le plus bel endroit de Bordeaux, car c'est le seul endroit depuis lequel on ne voit pas cette tour, emblématique de l'urbanisme injustement décrié des années 70. C'est surtout pour moi un point de vue privilégié sur la ville, sur son fleuve, les ponts qui l'enjambent, les coteaux de la rive droite. Donc chaque jour je prends le temps de contempler le spectacle qui défile sous mes yeux, et je ne manque jamais l'occasion de photographier une aube ou un crépuscule spectaculaires.

Quels sont les deux changements les plus importants qui ont impacté votre carrière ?

Vincent Lescaillez : À part le Covid, vous voulez-dire ? Je m'attarderais sur deux évènements.

Le premier peut paraître loin de préoccupations territoriales, c'est le Brexit (2016). Il s'agit pour moi d'une vraie rupture dans l'histoire européenne, à deux titres. D'abord parce qu'il a montré au grand jour comment une société avancée, berceau de la démocratie parlementaire, pouvait être déstabilisée par un mélange de populisme décomplexé, de manipulation de la vérité sur les réseaux sociaux et de polarisation extrême du débat public. Ensuite parce que cela a prouvé qu'une construction aussi complexe, patiente, et faite d'interdépendances que l'UE n'avait rien de naturel, en tout cas n'était en rien irréversible. Les « solidarités de fait » patiemment tissées entre des nations jadis ennemies, malgré leur enchevêtrement et leur intensification depuis la genèse de la construction européenne, n'ont pas résisté à la vague populiste. Pour ceux qui y croyaient encore, c'était la preuve que, définitivement, il n'y a pas de sens de l'histoire. Et que toute création humaine, si sophistiquée soit-elle, est éphémère. La leçon vaut le coup d'être retenue, tant pour nos organisations que pour les politiques publiques que nous construisons sur les territoires, qui sont d'abord le fruit de coopérations.

L'autre événement marquant est le phénomène #metoo, et ses réactions en chaîne. Au-delà des drames individuels et collectifs que cela a révélés de la façon la plus crue, on voit bien que cela a lancé un mouvement général d'indignation contre toute forme de rapport de domination. Ce phénomène sociétal a des implications majeures sur les relations au travail. Heureusement, nous sommes rarement confrontés à des phénomènes aussi graves que ceux dénoncés par #metoo, mais les agents, hommes ou femmes, ont de moins en moins de réticence à signaler les abus de pouvoir, les excès en tout genre dont ils peuvent être victimes, quelle que soit leur place dans nos organisations. Cela nous donne une double responsabilité en tant que DRH : prendre au sérieux ces alertes, prendre le temps de les écouter et de les traiter avec professionnalisme, mais aussi accompagner des managers qui se sentent fragilisés dans leur légitimité, et qui restent malgré toute la colonne vertébrale de nos organisations.

 

Propos recueillis par Hugues Perinel

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