Le contexte politique et économique actuel éclipse une transformation en cours dans les finances locales qui peut s’avérer majeure dans l’avenir et mérite quelques éclaircissements. En effet, depuis 2024, une obligation nouvelle pèse sur les collectivités locales de plus de 3 500 habitants, celle de produire dans leur compte administratif ou compte financier unique, une annexe permettant une mesure comptable de certaines dépenses jugées favorables ou défavorables aux objectifs de transition écologique de la France.
La loi de finances pour 2024 a initié cette obligation1 et un décret du 16 juillet 20242 a précisé les conditions de sa mise en œuvre officialisant ainsi la formalisation de ce qu’il est convenu d’appeler « les budgets verts » des collectivités, même si l’expression est très discutable sur le plan juridique.
Un pays précurseur sur la budgétisation verte
Cette nouvelle obligation s’inscrit dans un mouvement assez ancien. Les enjeux environnementaux ont été, en effet, progressivement incorporés dans le droit positif. Depuis la conférence de Rio en 1992 reconnaissant la protection de l’environnement comme un principe essentiel du développement durable3 et l’incorporation dans la Constitution de la Charte de l’environnement en 2005, plusieurs textes (lois Grenelle I en 2009, Grenelle II en 2010, loi pour la Croissance verte en 2015) puis les accords de Paris en 2015, ont fait entrer la France dans une stratégie globale de réduction des gaz à effet de serre. L’Union européenne, avec le Green Deal initié à partir de 2020, incite également la France à renforcer son action dans le domaine.
Sur le plan budgétaire et comptable, la France fut l’un des premiers pays à avoir mis en place une budgétisation verte pour le budget de l’État et la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) depuis 2001 vise le secteur privé qui doit également, depuis la directive CSRD de 2022 progressivement recenser, les préoccupations environnementales par le biais d’un reporting extra financier4.
Six axes à prendre en compte
L’obligation de disposer d’annexes vertes dans les comptes des collectivités locales s’inscrit dans un processus progressif qui concerne aussi bien la mise en place de l’obligation que sa portée. Sur le premier point, le décret du 16 juillet 2024 prévoit, pour la première année d’application du dispositif, que seuls certains comptes et donc certaines dépenses soient concernées par l’obligation de recenser leur contribution aux objectifs de transition écologique.
Depuis 2025, cette contribution doit être recensée pour l’ensemble des dépenses réelles d’investissement. De même, s’agissant des axes à prendre en compte en lien avec la classification européenne dite « taxonomie européenne », le calendrier s’étale entre 2024 et 2027. L’axe 1 « atténuation du changement climatique » est pris en compte dès l’exercice 2024. À partir de 2025, s’ajoute l’axe 6 « préservation de la biodiversité et protection des espaces naturels, agricoles et sylvicoles ».
Enfin, les axes que sont l’axe 2 « adaptation au changement climatique et prévention des risques naturels », l’axe 3 « gestion des ressources en eau, l’axe 4 « transition vers une économie circulaire, gestion des déchets, prévention des risques technologiques » et l’axe 5 « prévention et contrôle des pollutions de l’air et des sols » doivent être pris en compte à partir de 2027.
De plus, et de façon plus originale, le décret prévoit une conditionnalité de la mise en œuvre totale de l’obligation en 2027 associé à la mise à disposition des collectivités des ressources méthodologiques nécessaires à cette classification5.
Méthodologies « I4CE » ou « ODD »
En ce sens, l’originalité de ce « droit vert » vient du fait que la méthodologie qui sous-tend sa mise en œuvre est laissée à l’initiative des collectivités qui, pour nombre d’entre elles, se réfèrent à la méthodologie dite « I4CE » du nom du think tank initié il y a dix ans par la Caisse des dépôts et visant à aider les collectivités à mettre en œuvre une démarche d’analyse comptable de leurs dépenses en faveur de la transition . Mais certaines collectivités utilisent d’autres méthodes comme celles permises par les « ODD »6 de l’ONU qui élargissent le prisme d’analyse tout en entraînant d’autres difficultés.
Le droit ainsi établi peut donc être considéré comme doublement « vert », tout autant dans son contenu que dans sa forme, pas vraiment mûre. En effet, l’enjeu de ce nouveau cadre juridique est incertain. Préfigure-t-il une future incitation aux collectivités vertueuses en matière de transition ou à l’inverse une contrainte supplémentaire à celles qui ne le seraient pas ?
Un moteur des politiques publiques
L’État utilise régulièrement la technique de la carotte et du bâton auprès des collectivités locales, mais en l’espèce, un mouvement plus profond semble s’esquisser. La mesure de la transition peut devenir un outil précieux qui coïncide, pour les jeunes générations avec une volonté de plus en plus forte de mettre en avant ces questions.
L’émergence rapide d’un cadre méthodologique commun qui permettrait des comparaisons pertinentes et éviterait les tentations de greenwashing est l’enjeu majeur de ce « droit vert » financier. Cela afin qu’il atteigne sa maturité et permette à la transition écologique de devenir pour les collectivités locales un moteur des politiques publiques et non une contrainte supplémentaire à supporter.
Alain Pariente, professeur de droit public, Institut Léon Duguit, Université de Bordeaux
1. Article 191 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, JO, 30 décembre 2023.
2. Décret du 16 juillet 2024 pris en application de l’article 191 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, JO, 17 juillet 2024.
3. « Principe 4 : Pour parvenir à un développement durable, la protection de l’environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément », Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, juin 1992.
4. Même si la Commission européenne a proposé au printemps 2025 d’assouplir les délais pour la mise en œuvre de ces obligations.