Loi Duplomb : un besoin d’institutionnaliser l’expertise citoyenne

Publiée le 25 juillet 2025 à 14h40 - par

Dans un contexte de crise démocratique marqué par une perte de confiance dans les institutions, une représentativité affaiblie et une abstention croissante, la participation citoyenne apparaît comme une réponse salvatrice. L'exemple de la loi Duplomb, et du succès inédit de la pétition permettant aux citoyens de faire entendre leur voix, confirme et renforce la nécessité de créer un nouveau référentiel de l'action publique où toutes les lois devraient être préalablement discutées par les citoyens dans les territoires.
Loi Duplomb : un besoin d'institutionnaliser l'expertise citoyenne
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En France, la légitimité institutionnelle de la participation citoyenne repose sur des fondements juridiques anciens et diversifiés. Elle est affirmée dès 1789 dans l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel « la loi est l’expression de la volonté générale » et « tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation ».

Un cadre juridique flou et peu contraignant

Cette reconnaissance s’est renforcée à travers plusieurs réformes constitutionnelles et législatives : la révision constitutionnelle de 2003 (article 72-1 de la Constitution sur la démocratie locale), celle de 2008 instaurant le référendum d’initiative partagée (RIP), ou encore la loi constitutionnelle de 2005 intégrant la Charte de l’environnement, en particulier son article 7 qui donne une valeur constitutionnelle au droit de participation dans les enjeux environnementaux.
Cependant, malgré ces avancées, le cadre juridique de la participation citoyenne demeure flou, hétérogène et peu contraignant. Il n’assure pas une prise en compte effective et systématique des contributions citoyennes.
La clarification du droit de la participation par la reconnaissance des différentes formes de démocratie ainsi qu’une inscription constitutionnelle sur du plus long terme, explicite même du principe de démocratie participative apparaissent alors comme des leviers nécessaires pour redonner sens à l’engagement citoyen.

Des dispositifs encore souvent limités

Dans cette perspective, la participation citoyenne revient au cœur du débat démocratique français, dans un contexte de défiance généralisée envers les institutions publiques. Face à l’abstention croissante et à l’érosion de la légitimité représentative, elle est présentée comme un remède aux crises sociales, environnementales et politiques. Si les citoyens disposent aujourd’hui d’outils variés – référendums, consultations, plateformes numériques, mini-publics, conseils citoyens -, encore faut-il que leur expertise ait un réel poids dans les processus de décision publique.
En attendant, les dispositifs législatifs actuellement en vigueur posent déjà certaines obligations immédiates mais non contraignantes. Ils incluent notamment des clauses précises concernant l’information, la consultation ou la co-construction avec les citoyens dans différents champs d’action publique. Néanmoins, la mise en œuvre de ces dispositifs reste souvent limitée.

Associer les citoyens en amont

Dans ce contexte, c’est dire si la surprise fut grande lorsque la loi Duplomb, adoptée en ce mois de juillet, mit en évidence l’importance pour le législateur de dialoguer avec les citoyens en amont du vote. Cette loi vise, entre autres, à faciliter les élevages intensifs et à réintroduire un pesticide l’acétamipride ce qui, a provoqué une mobilisation sans précédent auprès des citoyens : près de deux millions de personnes avaient signé cette pétition le 24 juillet, déclenchant un débat à l’Assemblée nationale. Le seuil franchi de 500 000 votants, prévu par le règlement parlementaire, consacre l’existence d’un levier citoyen inédit, capable de remettre une loi à l’agenda politique. Ainsi, la mobilisation sans précédent de citoyens bouscule le débat politique et souligne l’urgence de construire un nouveau référentiel de l’action publique, dans lequel toute loi devrait être discutée en amont avec les citoyens au sein des territoires.
Cette exigence prend tout son sens au regard des enjeux sociaux soulevés par la planification écologique des ressources lancée en 2022 par le gouvernement français, qui affirmait alors sa volonté d’associer les citoyens à cette démarche.

Un droit de faire entendre la parole

Mais si le débat a lieu, il ne remet pas en cause la loi elle-même. Par conséquent, la participation citoyenne doit désormais franchir un seuil : passer d’un idéal mobilisateur à une réalité contraignante. Il ne s’agit plus seulement de « donner la parole », mais de reconnaître, juridiquement et politiquement, le droit de la faire entendre. La loi Duplomb, en secouant le débat national, montre à quel point ce droit est prêt à émerger.
Encore faut-il lui donner une véritable assise constitutionnelle ? Le résultat de cette pétition citoyenne justifie une position favorable à une légitimation institutionnelle plus forte de la participation citoyenne. Il devient essentiel d’inscrire cette dernière dans un cadre juridique stable, clair, compréhensible et reconnu, afin de garantir une effectivité réelle de ce droit.

Angélique Chassy, professeure associée en économie à l’EM Normandie (École de management), enseignante-chercheuse spécialiste des questions citoyennes

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