Inégalités de santé : la Cour des comptes tire la sonnette d’alarme

Publié le 15 mai 2024 à 15h00 - par

Hausse des inégalités de santé dans la répartition géographique des professionnels comme entre patients. Le constat dressé par les magistrats financiers n’est pas nouveau mais s’aggrave. Ils pointent les politiques mises en place par l’État, jugées « dispersées et peu ciblées ». La Cour plaide pour « une stratégie globale » et appelle à « mieux cibler les leviers d’action » dans les territoires, dont celui de la régulation de l’installation des médecins. Mais cela ne risque-t-il pas de rester une fois de plus un vœu pieux ?

Inégalités de santé : la Cour des comptes tire la sonnette d'alarme
© Par HJBC - stock.adobe.com

« Les Français ont de plus en plus de mal à accéder aux soins de premier recours, au point que l’on qualifie une partie importante du territoire national de “désert médical” ». Le constat dressé par la Cour des comptes, dans son rapport publié le 13 mai 2024, confirme la gravité de la situation. Il n’est pas le premier à tirer la sonnette d’alarme. On peut notamment citer le second baromètre santé-social, présenté par l’AMF et la Mutualité française, en novembre dernier lors du Congrès des maires, qui s’alarmait des 87 % de Français vivant dans un désert médical et des 6,7 millions de personnes sans médecin traitant.

De même, le dernier atlas annuel, publié en juin 2023 par le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom), alertait sur les inégalités territoriales en matière de présence médicale qui « persistent et se creusent » depuis 2010.

Un accroissement des inégalités

Consacré à l’organisation des soins de premier recours (généralistes, certains spécialistes, infirmiers, kinés, pharmaciens, dentistes, psychologues…), le rapport de la Cour des comptes constate un accroissement des inégalités d’accès malgré toutes les mesures prises depuis près de 40 ans. Ces inégalités s’aggravent notamment dans la répartition géographique des professionnels.
Le taux de patients sans médecin traitant peut représenter jusqu’au quart des patients (soit deux fois plus que la moyenne) et le taux de passages aux urgences sans gravité particulière atteindre 40 % dans certains territoires, comme dans les Ardennes, par exemple, selon l’observatoire des urgences de Grand Est. À ces chiffres inquiétants s’ajoute le risque de relations dégradées entre les professionnels de santé et les patients avec notamment la multiplication de consultations limitées à un seul « motif ».

Des aides trop peu ciblées

Sur les différents plans et mesures mis en place depuis la fin des années 1990, la Cour des comptes porte un jugement sévère en évoquant des actions « dispersées ». Plus récemment, concernant les lois de janvier 2016 et de juillet 2019, puis la stratégie nationale de santé 2017-2022, les magistrats financiers pointent une « stratégie demeurée peu traduite en objectifs opérationnels évaluables ». Ils soulignent un décalage important entre « l’ambition des mesures annoncées et le sentiment d’abandon que peuvent connaître les habitants des territoires les plus fragilisés ».
Qu’il s’agisse des aides directes aux professionnels de santé (installation ou maintien en zones fragiles), ou de celles visant à développer l’exercice coordonné entre professionnels ou à économiser le temps médical, la Cour met en doute la pertinence de ces différents outils d’autant que « les aides proposées sont peu ciblées ». Son diagnostic sur cette politique insuffisamment ciblée est implacable : « une stratégie hésitante », « des indicateurs qui ne permettent pas de mesurer des résultats concrets », « des impacts non évalués », « une absence de ciblage des territoires les plus en difficultés ».

« Une logique de résultats »

Pour obtenir dans les territoires des pratiques plus efficaces et plus efficientes, les magistrats financiers donnent plusieurs exemples s’appuyant en particulier sur les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Il cite ainsi celle de Châteaubriant (Loire-Atlantique) montrant « l’intérêt d’actions proches du terrain et adaptées aux réalités locales » : les aides accordées par les collectivités en complément des dispositifs nationaux y ont contribué à « une dynamique mais encore fragile ou insuffisante ». Autre illustration : les interventions menées par l’ARS et la CPAM dans l’Aveyron constituent « des réussites indiscutables », soulignent-ils, notamment dans le périmètre de la CPTS de l’Aubrac, mais relèvent aussi « la persistance ou même l’aggravation de situation de carences, dans plusieurs bassins de vie ».
Pour ne pas oublier des territoires entiers, la Cour plaide pour « une stratégie globale » pour mobiliser « de manière ajustée les leviers disponibles, en fonction des alertes identifiées dans chaque territoire ». Sur le modèle de ce qu’a engagé l’Aveyron, elle préconise de définir, au niveau des départements, des projets territoriaux d’organisation des soins de premier recours, déclinés ensuite par CPTS (ou bassins de vie, en leur absence). Une démarche qu’elle suggère de généraliser avec « une logique de résultats », à partir d’une batterie d’indicateurs « d’alerte ».

Obligation d’exercice partiel en zones sous-denses

Défendant une politique plus ciblée, les magistrats recommandent que les aides existantes soient plus sélectives et ciblées sur les territoires ou les patients les plus vulnérables. Dans les territoires les plus carencés, ils prônent le déploiement de centres de santé hospitaliers ou de cabinets médicaux secondaires, soutenus par des aides à la construction et l’aménagement et « à terme » par une obligation d’exercice partiel en zones sous-denses. Pour faire passer la pilule aux généralistes et spécialistes concernés, ils proposent, en contrepartie, de leur permettre de s’installer dans des zones les mieux dotées.
Autre carotte en direction des professionnels de santé : étendre aux médecins exerçant dans des centres de santé hospitaliers la possibilité de percevoir une rémunération en partie indexée sur leur activité. Dans les zones manquant de professionnels de santé, la Cour des comptes préconise de confier aux hôpitaux une mission d’intérêt général nouvelle, consistant à déployer des centres de santé polyvalents.
Plus classique, elle propose également de développer la coopération entre professionnels de santé et de conditionner l’aide apportée aux structures d’exercice coordonné à la signature de protocoles. Cette série de recommandations, intéressantes et pas toutes nouvelles, seront-elles entendues ? En tout cas, il y a plus que jamais urgence.

Philippe Pottiée-Sperry


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