Le chercheur propose une nouvelle organisation territoriale avec une gouvernance fortifiée. Cela passerait par des collectivités intermédiaires avec plus de pouvoirs normatifs mais aussi des communes de plein exercice uniquement au-delà de 1 000 habitants et des intercommunalités support à l’échelle des bassins de vie.
Comment se présentent les municipales de mars 2026 ?
Il existe une vraie nouveauté, initiée par le législateur, avec le scrutin de liste paritaire qui va s’appliquer dans toutes les communes. Il n’y aura plus de différences entre elles. Sachant que celles de moins de 1 000 habitants représentent près des trois quarts des communes françaises, ce changement apparaît donc très important et constitue un réel progrès. Cela pourrait conduire de nouvelles personnes à se présenter, même s’il demeure des inconnues compte tenu des contraintes du scrutin de liste et de la parité qui risquent d’être plus compliquées dans les toutes petites communes.
Concernant les intercommunalités, leur place dans la campagne ne sera pas inexistante mais en filigrane. Les candidats vont construire leurs programmes essentiellement sur des compétences intercommunales, mais sans le dire et sans l’expliciter ! Nous serons dans l’ambiguïté, ce qui va générer ensuite de la frustration lorsqu’ils seront interpellés en tant que maires par leur population, sauf pour ceux également présidents de l’EPCI.
Quel sera l’impact d’un scrutin se tenant à un an de l’élection présidentielle ?
Cet élément pourrait nationaliser le scrutin. Avec une série de questions à la clé comme la progression ou pas du RN, la possibilité d’alliances à gauche ou entre la droite et l’extrême droite… Le mode de scrutin municipal pourrait jouer un rôle de laboratoire sur ce qui se passera avant le premier tour de la présidentielle et dans l’entre-deux tours. S’il existe toujours une dimension nationale dans un scrutin municipal, elle devrait donc être là plus forte.
Par rapport aux résultats de 2020, il existe de nombreuses inconnues sur les enseignements politiques à tirer à l’issue du scrutin, avec des alliances qui pourraient être à géométrie variable. Parallèlement à une assez forte politisation et nationalisation du scrutin, les bilans locaux vont également compter. Le phénomène de la prime au sortant demeure avec un légitimisme de l’électorat vis-à-vis d’un maire et de sa majorité ayant fait du bon boulot.
Pensez-vous que la participation sera meilleure qu’en 2020, même si sa faiblesse s’expliquait beaucoup par la crise sanitaire ?
Elle devrait vraiment repartir à la hausse. En 2020, elle fut tellement faible qu’on s’est même posé à un moment la question de la légitimité des maires. Retrouvera-t-on pour autant le niveau de 2014 ? Je n’en suis pas sûr. Peut-être que la forte politisation et la pré-campagne présidentielle vont constituer un booster. En tout cas, tous ces enjeux devraient intéresser l’électorat et le motiver à participer.
Le mode de scrutin municipal privilégie quand même une certaine stabilité. Un scrutin proportionnel, avec une prime majoritaire à 50 %, reste compliqué pour des populismes de droite ou de gauche qui ne sont pas forcément en capacité de faire des alliances.
Face à une certaine crise de l’engagement, craignez-vous une pénurie de candidats pour constituer les listes aux municipales ?
Je ne pense pas. Cette inquiétude revient à chaque campagne municipale. Mais la vraie question est d’avoir trop d’élus locaux en France avec nos près de 35 000 communes. Nous avons beaucoup trop de conseillers municipaux dans un climat d’indifférence démocratique, voire de fatigue démocratique, avec aussi un statut de l’élu pas très valorisé, en particulier dans les petites communes. De plus, être élu dans un conseil municipal sans véritable levier de décision limite beaucoup l’intérêt du mandat.
Il faut un système plus clair en réduisant le nombre d’élus pour chaque strate de commune. Par exemple, l’autorité du Grand Londres a 25 élus contre 208 dans la métropole du Grand Paris ! Cela devrait se faire à tous les niveaux pour avoir des élus plus professionnels, mieux rémunérés, plus responsables et bénéficiant d’un vrai statut d’élu avec des vrais droits et de vrais devoirs. La proposition de loi en cours de discussion ne va pas dans ce sens et ne constitue qu’un pansement sur une jambe de bois.
Que peut-on faire dans une commune de 800 habitants ? Le maire se transforme en assistante sociale mais sans les moyens de répondre aux besoins de sa population. Il faut être raisonnable ! Il ne s’agit pas de supprimer les communes – les gens y sont attachés – mais de placer le bon niveau de décision par rapport à une élection démocratique. Pour le moment, nous restons au milieu du gué, ce qui génère de la frustration du côté des élus comme des électeurs contribuables.
Que proposez-vous de réformer ?
Il faudrait une forte réduction du nombre de communes de plein exercice. Nous sommes le seul grand pays européen à ne l’avoir pas fait. L’Allemagne compte 12 000 communes, l’Italie et l’Espagne environ 8 000.
Je propose de fixer un seuil minimal de 1 000 habitants pour être une commune de plein exercice. Cela voudrait dire que 75 % de nos communes actuelles deviendraient des communes déléguées, rattachées à des communes de plein exercice. Cela simplifierait déjà beaucoup de choses, notamment en termes de péréquation fiscale, de capacités à générer des services publics plus forts, de mobilité ou de lutte contre les déserts médicaux. Ce sont ces sujets-là qui intéressent la population. De toutes petites communes ne peuvent pas répondre à ces problématiques.
Aujourd’hui, quelle est la place de l’intercommunalité ?
L’essentiel des décisions politiques, en particulier sur l’investissement public, se prend au niveau intercommunal où il n’y a pas véritablement de débat démocratique à cause d’une absence de politisation et de controverse. Certains s’en accommodent très bien mais cela reflète un malaise démocratique. Cet échelon fonctionnel, qui marche bien mais doublonne avec d’autres administrations, coûte cher et met en difficulté les maires qui sont progressivement dépossédés de leurs compétences du fait de la complexité des enjeux et du besoin d’ingénierie pour conduire des politiques publiques. Je rappelle le constat de la Cour des comptes : sur nombre de compétences, communes et intercommunalités continuent de doublonner alors que ce sont elles qui pèsent le plus dans les dépenses publiques locales. Les communes nouvelles représentent une bonne dynamique mais qui reste insuffisante.
Il faut donc une profonde remise à plat face à une certaine ambiguïté et hypocrisie de bon nombre d’élus qui ont trop facilement tendance à dénoncer l’intercommunalité comme l’État.
Quel devrait être leur rôle ?
Il devrait s’agir d’intercommunalités support, avec un périmètre élargi et des communes plus fortes. Je pense à des EPCI à l’échelle des bassins de vie dans lesquelles les communes pèseraient davantage. Étant favorable à une subsidiarité ascendante, il faut savoir, avec des communes moins nombreuses et plus puissantes, les compétences que l’on peut exercer. Les autres le seront par les EPCI qui constituent la bonne échelle de coopération territoriale pour répondre aux grands enjeux comme par exemple l’adaptation climatique.
Malheureusement, la vision ascendante constitue l’inverse du modèle français avec toujours le législateur qui réforme du haut vers le bas !
Que pensez-vous du discours plaidant pour plus de simplification ?
Simplifier, oui, mais pour quoi faire ? Face aux enjeux forts de la réindustrialisation ou de la transition climatique, plus que de simplification, c’est de puissance qu’il nous faut, c’est-à-dire des vraies capacités de levier du niveau local jusqu’au niveau national et évidemment européen. Le problème actuel est d’avoir une parcellisation des pouvoirs et pas toujours un échelon démocratique qui soit un échelon d’action publique.
Nous avons besoin d’une vraie réforme systémique en s’appuyant sur une nouvelle organisation territoriale et une nouvelle logique de gouvernance territoriale, sans doute simplifiée mais surtout fortifiée. Il faut plus d’autorité organisatrice que d’autorité simplificatrice. Cela passerait par des collectivités intermédiaires avec plus de pouvoirs normatifs, un peu sur le modèle lyonnais pour les métropoles ou les collectivités à statut particulier. Concernant le bloc local, il faudrait des communes élargies, de plein exercice, où l’on pourrait avoir une autre forme de mutualisation avec les intercommunalités.
Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry