Le Conseil constitutionnel a validé la constitutionnalité du dispositif législatif visant à harmoniser le mode de scrutin des élections municipales, pour renforcer la vitalité démocratique, la cohésion des communes et l’égalité entre les femmes et les hommes. La réforme étend le scrutin proportionnel avec prime majoritaire aux communes de moins de 1 000 habitants. Le Conseil constitutionnel a reconnu la légitimité des objectifs poursuivis et mis en avant les mesures d’adaptation prévues pour les petites communes, jugeant que le législateur avait opéré un équilibre acceptable entre les différents principes constitutionnels. Vincent Guy, maire de Chigny-les-Roses (Marne, 535 habitants), a confié à WEKA son sentiment sur l’application de ce nouveau mode de scrutin dans les petites communes dès les élections municipales de mars 2026.
En tant que maire d’un village, que pensez-vous de la réforme du mode de scrutin ?
Ce texte était une surprise, nous avons un peu le sentiment qu’il est sorti d’un chapeau… La première interrogation qu’il suscite, c’est : comment allons-nous faire pour fonctionner avec des listes, alors que l’esprit des élections, depuis des années, c’était un scrutin uninominal, et donc individuel. Le deuxième sujet à prendre en compte, c’est la parité, c’est-à-dire l’équilibre hommes-femmes. C’est un élément de bon sens qui sera facile à mettre en place dans mon petit village champenois, où cet équilibre n’est aujourd’hui clairement pas respecté. Mais j’ai réagi positivement car je n’aurai pas de souci pour constituer une liste paritaire à l’avenir. En outre, c’est assez bien de se « faire pousser dans le dos », cela peut avoir des vertus.
Quelle différence entre l’élu d’un village et celui d’une grande ville ?
Cela fait plus de trente ans que j’exerce le rôle de consultant pour les collectivités territoriales, et je constate que le rôle d’un élu dans un village est nettement différent de celui d’une grande ville ou d’une intercommunalité. Dans une petite commune, le maire « mouille sa chemise », ce n’est pas seulement un gestionnaire. Il a un rôle très pratique de services rendus à la population. Moi, par exemple, je plante des fleurs, je conduis le camion de la communication… D’où l’importance de rechercher la motivation chez les futurs élus. Dans notre village, il n’y aura pas de problème pour trouver un équilibre hommes-femmes de personnes motivées, mais ce ne sera pas le cas partout. Quoi qu’il en soit, c’est bien d’avoir un texte qui nous l’impose, sinon on se serait peut-être laissés aller à rechercher le critère de la motivation en premier. Car le premier critère recherché dans la perspective d’une élection municipale, c’était déjà d’avoir quinze personnes qui acceptent de participer au conseil municipal, indépendamment de leur situation, et qu’elles soient motivées.
Selon vous, le scrutin de liste ferait perdre un peu de légitimité individuelle aux élus ?
Le scrutin plurinominal donnait une légitimité individuelle à chaque personne figurant sur la liste. En revanche, je m’interroge sur l’équilibre entre cohésion et représentativité du scrutin de liste. En effet, comme je vous le disais, jusqu’à présent le critère numéro un dans le choix de la liste n’était pas forcément d’avoir de la cohésion de l’équipe, mais déjà de réussir à avoir le bon nombre de personnes — une quinzaine. C’est intéressant parce que cela donnait une représentativité du village et de sa population, avec ses différentes attentes. Mais en revanche, c’était un peu au détriment de la notion d’équipe, qui n’était pas forcément aussi forte qu’avec le scrutin de liste. Celui-ci fait perdre un peu de représentativité : on n’a plus la légitimité individuelle. Or, à l’échelle d’un village, l’enjeu, c’est la cohésion, les relations humaines. Une dimension quasi familiale s’exprime à travers la personnalité du maire. Dans le précédent système, on était parfois surpris par le nombre de voix que pouvait obtenir un conseiller municipal et qui représentait alors quelque chose de fort. Ça ne s’exprimera pas de la même façon dans le nouveau dispositif. Jusqu’à présent, les électeurs pouvaient rayer des noms sur le bulletin de vote (ou non), et on comptait le nombre de voix par personne. Demain, il ne sera pas possible de rayer des noms et toute la liste passera. Et il y aura la prime majoritaire : 50 % des sièges iront automatiquement à la liste qui est en tête, et l’autre moitié des sièges sera répartie à proportion des voix de chacune des listes. La matérialisation de la majorité et de l’opposition risque d’être plus importante, « cristallisée » en quelque sorte. En tout cas, c’est mon ressenti, on verra comment ça fonctionnera réellement.
Que pensez-vous de cette harmonisation des modes de scrutin ?
J’y vois quand même un risque. Certes, la notion de mutualisation et de regroupement de moyens a du sens, mais si on met trop à l’équerre au travers du mode de scrutin, on ne fait plus de distinction entre les petites communes et les plus grandes. Or, je ne suis pas sûr que l’harmonisation soit forcément une bonne idée pour les relations humaines à l’échelle d’un village. Si on regroupe, on perd… Et il ne faudrait pas que ce soit la première étape pour faire disparaître à terme l’échelon communal, sous le prétexte que dans les petites communes, on n’arriverait pas à faire des listes et à respecter la parité…
Propos recueillis par Martine Courgnaud – Del Ry
