Portraits d'acteurs

Aissia Kerkoub-Türk

Aissia Kerkoub-Türk

Directrice générale adjointe en charge du Secrétariat général de la Ville de Lyon

«  Mon métier consiste à repérer les synergies possibles entre des individus, entre des collectifs et entre des projets, les faciliter, voire les provoquer pour mettre l'administration lyonnaise en mouvement vers un modèle qui lui donnera toutes les forces pour porter et vivre les transitions. »

Quelles sont vos fonctions actuelles et les grandes étapes de votre parcours professionnel ?

Aissia Kerkoub-Türk : Je suis Directrice générale adjointe (DGA) en charge du Secrétariat général de la Ville de Lyon depuis septembre 2021. Le Secrétariat général est à la fois une délégation à l'ancrage institutionnel « classique » avec des missions régaliennes telles que les Assemblées ou encore la Protection des données, et une DGA dédiée à la transformation de l'action publique : la transition de l'administration, condition nécessaire des transitions écologique, démocratique et sociale portées par la municipalité.

C'est, en effet, le Secrétariat général qui porte une ambition de transformation globale des modes de conception et de mise en œuvre de l'action publique municipale. Cette ambition s'incarne au sein de notre Projet d'administration, « Fier-s de notre service public », mais aussi dans l'évaluation participative des politiques publiques, la prospective, l'accompagnement des Directions dans leurs projets de transformation ainsi qu'un projet de Laboratoire d'initiatives publiques.

Avant cela, j'étais DGA en charge de la Cohésion sociale et de l'Animation du territoire à la Ville d'Annemasse. J'ai passé 6 ans à manager des politiques publiques opérationnelles (éducation, enfance, jeunesse, sports, culture, événementiel, tranquillité publique, économie et commerces, communication, politique de la ville, vie associative, politiques sociales et personnes âgées, démocratie participative, relations internationales) sur ce territoire si particulier et passionnant aux frontières de la Suisse.

Encore avant, j'ai exercé à Saint-Étienne, Ville et Métropole, d'abord comme chargée de mission auprès du Directeur général des services de la Ville puis sur des fonctions mutualisées de Directrice de l'évaluation, de la performance et de la prospective. J'ai vécu sur ce territoire la résilience sans entendre ce terme prononcé, ou beaucoup moins qu'aujourd'hui où il devient galvaudé.

Cela fait ainsi 15 ans que j'ai intégré la Fonction publique territoriale, comme élève administratrice territoriale à l'INET, après avoir été diplômée de Sciences Po Grenoble.

Si vous deviez décrire votre métier actuel en 3 mots, quels seraient-ils ?

Aissia Kerkoub-Türk : Je dirais synergies, convictions et redirection.

Synergies car mon métier consiste à repérer les synergies possibles entre des individus, entre des collectifs et entre des projets, les faciliter, voire les provoquer pour mettre l'administration lyonnaise en mouvement vers un modèle qui lui donnera toutes les forces pour porter et vivre les transitions.

Convictions, car je ne pourrais pas résister aux difficultés auxquelles nous pouvons être confrontés dans ces fonctions, ni supporter quelques grands moments de solitude, si je ne croyais pas profondément aux messages que je porte. Je ne pourrais pas fédérer des collectifs autour du projet d'administration si je n'étais pas moi-même parfaitement alignée avec les valeurs qu'il diffuse : d'une part, la certitude que les organisations coopératives sont plus fortes et plus résistantes aux chocs que les organisations où la culture de la compétition est prédominante. Et d'autre part, la conviction profonde que les agents se comportent de la façon dont on les regarde : si vous croyez dans le savoir-faire des agents et que vous le leur démontrez au quotidien, la majorité d'entre eux donnera le meilleur.

Et enfin, redirection, car j'œuvre à ma petite échelle à mettre en œuvre une nouvelle trajectoire dans nos façons de travailler et de penser le service public qui s'illustre par des modes de conduite de projets non linéaires, des schémas décisionnels échappant aux organigrammes ou encore les logiques de test et d'acceptation de l'imperfection.

Quelles sont les qualités essentielles inhérentes à vos fonctions ?

Aissia Kerkoub-Türk : Je dirais tout d'abord le courage et la capacité à décider, les deux allant ensemble pour moi. C'est aussi avoir le courage de gérer les conflits, celui d'oser prendre des risques mais aussi de savoir défendre ses convictions et ses valeurs. J'ajouterais la clairvoyance. Je ne parle pas là de don surnaturel mais bien d'une qualité que l'on peut développer, plus ou moins vite selon d'où l'on part, celle qui consiste à être ancré dans la réalité présente tout en étant en capacité d'anticiper le futur. Des outils peuvent nous y aider : analyse de données et prospective par exemple. Le temps et l'expérience aident aussi beaucoup. L'écoute (et l'humilité qui va avec), l'art de questionner les autres, savoir s'entourer, croiser les regards, la curiosité contribuent aussi à développer notre intuition et notre capacité à détecter les signaux faibles.

Je compléterais par l'adaptabilité : la capacité à se mouvoir dans un environnement aux cultures professionnelles diverses, à œuvrer pour le service public en construisant avec une multiplicité d'interlocuteurs internes et externes, à savoir se réinventer pour répondre aux évolutions sociétales et environnementales.

Je citerais aussi la détermination, nos routes étant semées d'embûches, mais jamais l'obstination : sur ces fonctions, il est important de savoir choisir ses combats et de savoir s'arrêter au bon moment, au risque de s'épuiser. À ce titre, la capacité quotidienne à lâcher-prise est essentielle.

Je terminerais par la communication, qui se décline à la fois dans la capacité à savoir expliquer simplement des choses complexes mais aussi à entraîner l'adhésion et à convaincre pour fédérer des collectifs autour de projets d'envergure et nécessitant de s'engager avec intensité.

Qu'est-ce qui vous fait lever chaque matin ?

Aissia Kerkoub-Türk : J'ai choisi le service public avant les collectivités territoriales. Le jeu des concours a fait que le secteur public local a été ma terre d'adoption et je remercie le sort.

J'ai une appétence particulière pour l'échelon communal. J'y suis depuis 15 ans et je suis toujours autant enthousiasmée de contribuer à la conception et à l'évolution des politiques publiques de proximité que portent les Villes. J'ai la chance de rarement me poser la question du sens de mon métier et de mes missions.

Les collectivités territoriales sont aussi un formidable environnement de développement professionnel. Le champ d'action est large, le principe d'adaptabilité du service public nous oblige à nous réinterroger, le croisement des regards de nombreux agents œuvrant dans des dizaines de champs d'activité est une grande source d'apprentissage et d'inventivité. Et il est toujours valorisant de se dire que l'on travaille au service d'un programme de mandat que les électeurs ont choisi.

Sinon, de manière plus terre à terre, c'est ma fille d'un an qui me réveille chaque matin !

Quel est le projet qui vous a le plus marquée et dont vous êtes la plus fière ?

Aissia Kerkoub-Türk : Ce n'est pas d'un projet mais de deux démarches portant les mêmes valeurs que je pourrais parler avec fierté : celle du Projet d'administration de la Ville de Lyon « Fier-s de notre service public » et celle de la Ville d'Annemasse, « Collectivité libérante » menée avec Philippe Lejeune lorsqu'il était DGS.

Ces deux projets, certes avec leur propre contexte et leur histoire singulière à chacun, reposent sur la conviction que ce qui donne sa force à l'administration c'est sa capacité à libérer les initiatives de ses agents, à créer des cadres sécurisants pour que les agents qui sont sur le terrain se sentent libres de mettre en place leurs solutions et à multiplier les espaces où les regards se croisent pour élargir sans cesse le champ des possibles et renforcer la culture de la coopération.

La richesse humaine est une source inépuisable de performance. Les collectivités territoriales sont d'abord des entreprises de main d'œuvre. Les logiques d'optimisation de la gestion ont une limite mathématique. Le pouvoir du collectif lui n'a aucune limite.

Avez-vous un rêve que vous souhaiteriez concrétiser ?

Aissia Kerkoub-Türk : Que ce monde ralentisse. Le confinement durant la dernière crise sanitaire nous a fait vivre une forme de décélération et j'ai le sentiment que l'on a vite oublié les bienfaits qu'un changement profond de nos rythmes pouvait avoir, sur l'être humain comme sur la planète.

Quelles sont les rencontres qui vous ont le plus marquée dans votre carrière ?

Aissia Kerkoub-Türk : Les rencontres que nous avons l'occasion de faire dans ce métier sont nombreuses et pour ma part, la majorité d'entre elles a été une source d'enrichissement ou d'apprentissage.

Je voudrais mettre en lumière quelques-unes d'entre elles. La première, Jean-Gabriel Madinier, lorsqu'il était DGS de la Ville de Saint-Étienne. J'ai eu la chance, à la fois de travailler dans un contexte de crise, notamment financière, qui pousse à se dépasser et surtout avec un DGS qui m'a démontré la réalité des leviers d'action qu'ont les Villes. Jean-Gabriel fait partie de ces managers qui insufflent une forme de sérénité rassurante et propice à l'engagement et au dépassement de soi, une vraie force tranquille.

C'est à la même période que j'ai eu la chance de travailler avec Cédric Grail, alors DGA Ressources. La finesse d'analyse, la vision et la capacité d'action : une combinaison extrêmement puissante qui m'a appris énormément.

La troisième rencontre que je souhaiterais souligner est celle de Philippe Lejeune, lorsqu'il était DGS à Annemasse. J'ai eu la chance de vivre à ses côtés une véritable aventure humaine avec la « Collectivité libérante » (inspirée du concept d'entreprise libérée mais en l'adaptant à la réalité d'une collectivité territoriale et surtout en ne gardant que ce qui était aligné avec les valeurs que l'on souhaitait porter). Philippe a le talent de faire ressortir le meilleur de celles et ceux qui travaillent avec lui. Son acuité intellectuelle, sa capacité de prise de recul, ses grandes qualités d'écoute, son art de poser les bonnes questions font qu'il est souvent dans le juste dans ses analyses et visionnaire. J'ai appris auprès de lui comment le mode de management tenait une part de responsabilité dans le niveau d'engagement des agents. Il m'inspire toujours aujourd'hui.

Je terminerais par une rencontre collective marquante : celle de mon ancienne équipe à la Ville d'Annemasse, les cadres et agents du Pôle cohésion sociale et animation du territoire. On a soulevé des montagnes à la force d'un collectif engagé, solidaire, déterminé et ayant le service public chevillé au corps. La force du collectif est sans limites ! De belles rencontres donc et je continue d'en faire dans mes fonctions actuelles.

Quelle est votre citation préférée et pourquoi ?

Aissia Kerkoub-Türk : « Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose... Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer ».

Cette citation d'Antoine de Saint-Exupéry résume ma vision du management : c'est en créant les conditions de l'engagement et de l'envie que l'on peut construire de manière optimale l'action publique, pas en micro-manageant et en sur-contrôlant les équipes.

Quelle est votre routine quotidienne pour prendre soin de vous ?

Aissia Kerkoub-Türk : Je n'aime pas les routines mais il y en a une qui me ressource au quotidien : commencer ma journée avec mes filles et la terminer avec elles. Les enfants ont ce pouvoir exceptionnel de vous ancrer dans le présent et de ne vous laisser d'autre choix que de lâcher prise. Un vrai shot d'énergie pour bien commencer et bien terminer des journées lors desquelles la charge mentale est souvent à son apogée. Et j'ajouterais non pas une routine mais une discipline quotidienne : savoir m'arrêter, parce que le travail est infini et j'ai mis du temps à comprendre que si on n'apprend pas soi-même à ne pas jouer avec ses limites, personne ne sera là pour nous arrêter au bon moment.

Quels sont les deux changements les plus importants qui ont impacté votre carrière ?

Aissia Kerkoub-Türk : Je dirais la visibilité de la question de la place des femmes dans les emplois de dirigeantes territoriales et l'urgence écologique. Étant amenée à recruter, je m'étonne toujours de la façon dont les femmes abordent les entretiens de recrutement, l'exigence qu'elles ont vis-à-vis d'elles-mêmes, le fait de penser que si l'on ne coche pas toutes les cases du profil de poste, on n'a peu de chance d'être retenue. À l'inverse, je trouve les candidats souvent plus sûrs d'eux, à profil équivalent. Je deviens donc de plus en plus attentive à ces biais et je crois que c'est d'intérêt public que d'exiger une formation des recruteurs sur ces sujets.

Je mesure la chance que j'ai de travailler dans des environnements très bienveillants et notamment d'avoir eu des encadrants, hommes, attentifs à ces sujets. Dans mon parcours, j'ai autant bénéficié de la fraternité que de la sororité.

Le second changement impactant est la prise de conscience de la question écologique dans les services publics (encore plus forte à Lyon compte-tenu des ambitions du plan de mandat). La crise sanitaire et la vulnérabilité qu'elle révèle sur nos modes de vie a certainement été un accélérateur de cette prise de conscience. Ce qui semble aujourd'hui une évidence ne l'était pas il y a encore peu de temps.

Mais nous n'en sommes qu'au début. Notre service public s'est construit en dehors de toute considération écologique. Je crois que dans nos administrations, nous manquons de connaissances de base sur le sujet. Je pense important d'associer à une acculturation sur l'écologie, des espaces de construction collectives de solutions. À défaut, nous ne parviendrons qu'à susciter de l'angoisse et une forme de fatalisme face à l'ampleur de la tâche. Ce que l'on qualifie d'urgence climatique vient aussi interroger le temps de l'action publique. La nécessité d'agir vite vient ainsi pousser des modes de travail privilégiant des temporalités courtes et notamment d'autres formats de conduite de projets.

Je crois aussi que la question écologique est aussi sociale : le service public a un rôle à jouer pour que l'action publique en réponse aux enjeux écologiques ne vienne pas amplifier des inégalités ou en créer de nouvelles.

Elle est aussi démocratique. Ce n'est pas par la contrainte que l'on fera profondément évoluer les modes de vie. Cela veut dire que l'on doit inventer un nouveau rapport aux habitants, à une échelle plus ambitieuse que les démarches participatives que l'on a connues jusqu'à présent.

Propos recueillis par Hugues Perinel

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