Portraits d'acteurs

Laurence Chenkier

Laurence Chenkier

Magistrate financière à la Chambre régionale des comptes Grand Est

« Je rêve d'une Haute fonction publique ouverte et exigeante, riche de son hybridation, de sa mixité, méritocratique et sensible aux potentiels plus qu'aux étiquettes. »

Quelles sont vos fonctions actuelles et quelles ont été les grandes étapes de votre parcours professionnel ?

Laurence Chenkier : Depuis septembre 2019, je suis magistrate financière à la Chambre régionale des comptes Grand Est après un parcours professionnel dans des structures et des fonctions marquées par le juridique, le financier et la passion pour l'efficacité du service public. Après une formation universitaire exigeante en droit et en finances publiques à Strasbourg III et à Paris II, j'ai eu une entrée dans la vie active sur des postes à dominante juridique (Assistante en faculté de droit à Paris II et collaboratrice de cabinets d'avocats), puis j'ai eu la chance de pouvoir occuper des postes dans la fonction publique territoriale très intéressants de direction générale dans des collectivités territoriales.

Que ce soit mon poste de début de carrière territoriale à Rueil-Malmaison dans les Hauts-de-Seine comme directrice du foncier et du patrimoine, où j'ai pu m'initier aux procédures d'urbanisme et d'aménagement dans une grosse collectivité à forte amplitude financière, mon poste très polyvalent de directrice générale des services (DGS) à Saint-Didier - au Mont d'or dans le Rhône (6 700 hab.), commune périurbaine au sein d'une intercommunalité forte où j'embrassais toutes les disciplines avec une grande sobriété de moyens, ou celui de directrice de l'administration et des finances (DAF) du SDMIS (Service départemental et métropolitain d'incendie et de secours) où je pilotais trois pôles supports stratégiques d'un établissement opérationnel H 24 et 365 jours par an sur la métropole de Lyon et le département du Rhône, tous m'ont appris combien l'attention portée au management et aux usagers était essentielle à l'action publique.

Après ces étapes franciliennes et rhodaniennes dans les collectivités territoriales et un établissement public, j'ai eu envie de vivre une nouvelle aventure dans un métier de contrôle, dans un autre versant de la fonction publique, ce qui m'a amenée à revenir sur mes premiers pas en Grand Est.

Aujourd'hui, je mène des contrôles sur les comptes et la gestion d'acteurs publics. Ce changement de positionnement est passionnant et je me sens investie d'une responsabilité importante pour laquelle j'ai prêté serment lors de mon installation comme magistrate. Je découvre et partage un nouveau métier avec des collègues de tous les âges, issus de mondes professionnels très divers (État central, État déconcentré, hôpital, collectivités territoriales, juridiction administrative, armée, Université…) et cette hybridation fait des Chambres régionales des comptes un superbe laboratoire pour la Haute fonction publique de demain.

Si vous deviez décrire votre métier actuel en 3 mots, quels seraient-ils ?

Laurence Chenkier : Le métier de magistrat de Chambre régionale des comptes a trois caractéristiques : l'indépendance, la collégialité et la contradiction.

  • L'indépendance:

Le magistrat exerce ses activités en toute indépendance du pouvoir institutionnel et politique, ses contrôles et ses conclusions sont effectués en toute liberté d'appréciation. Cette indépendance, par rapport au pouvoir « extérieur » est tempérée, en interne, par un deuxième fondement du métier : la collégialité.

  • La collégialité :

C'est un collectif d'au moins trois magistrats qui délibère sur toutes les phases des rapports d'observations. Le magistrat instructeur n'a pas voie prépondérante lorsqu'il présente ses conclusions. La collégialité apprécie chaque paragraphe présenté, ce qui l'oblige à se frotter aux appréciations de ses pairs avant de formuler des observations aux contrôlés. Les conclusions du magistrat interviennent après plusieurs phases de contradiction où les entités contrôlées ont leur mot à dire et peuvent contester nos allégations.

  • La contradiction :

Elle implique que toutes les constatations, appréciations et recommandations ressortant d'un contrôle soient systématiquement soumises aux responsables des organismes contrôlés. Leurs réactions « à chaud », avant la prise de position définitive de la Chambre, nous incitent à l'humilité et à revoir notre « copie » si les arguments emportent la conviction de la collégialité.

Quelles sont les qualités essentielles inhérentes à vos fonctions ?

Laurence Chenkier : Outre l'expertise technique et un bon sens relationnel, il faut, à mon sens, être à la fois rigoureuse, organisée, très adaptable et imaginative. J'ajouterai qu'il faut être consciente que chaque contrôle est une nouvelle aventure où nous avons beaucoup à apporter en terme d'analyses et de préconisations mais également beaucoup à recevoir des professionnels que l'on rencontre.

Qu’est-ce qui vous fait lever chaque matin ?

Laurence Chenkier : L'envie d'apprendre quelque chose de nouveau et la faim de loup que j'éprouve au réveil !

Quel est le projet qui vous a le plus marquée et dont vous êtes le plus fière ?

Laurence Chenkier : J'ai été très fière d'apporter à l'impressionnante force de frappe du SDMIS (ex SDIS du Rhône avec 6 000 agents, près de 200 M € de budget, 100 casernes) un protocole de sécurisation au plan juridique qui lui a permis d'affronter bien avant d'autres SDIS ou collectivités locales, la recrudescence des mises en cause civiles et pénales du service public, l'émergence des agressions des sapeurs-pompiers en exercice ou l'accroissement des recours juridictionnels en matière RH notamment.

Mais à la vérité, plus modestement, je suis également fière d'avoir pu, à ma petite échelle, contribuer à donner leur chance à des agents, souvent au parcours atypique, en quête d'insertion ou d'ascenseur social.

Avez-vous un rêve que vous souhaiteriez concrétiser ?

Laurence Chenkier : À titre personnel, j'aimerais retourner à New York dont je suis éprise depuis ma jeunesse et revoir la Grèce sous toutes ses coutures. À titre professionnel, je rêve d'une Haute fonction publique ouverte et exigeante, riche de son hybridation, de sa mixité, méritocratique et sensible aux potentiels plus qu'aux étiquettes.

Quelles sont les rencontres qui vous ont le plus marquée dans votre carrière ?

Laurence Chenkier : Jacques Baumel, ancien Compagnon de la Résistance, maire de Rueil-Malmaison lors de mon début de carrière à la territoriale qui m'a impressionnée par l'audace des politiques publiques qu'il portait et l'indépendance d'esprit dont il faisait preuve.

Robert Mantot ancien DGS d'Issy-les –Moulineaux et de Rueil-Malmaison qui est une grande figure de la Territoriale et qui m'a mis le pied à l'étrier.

Le contrôleur général Serge Delaigue, chef de corps du SDMIS, qui m'a donné sa pleine confiance et des moyens d'agir, dont l'engagement physique et moral pour le service public et la capacité à rendre simple des dossiers complexes m'ont été fort inspirants.

Enfin, de nombreux collègues, croisés au gré de réunions ou manifestations professionnelles, ont pu me marquer et m'apporter une forme de fraternité/sororité.

Quelle est votre citation préférée et pourquoi ?

Laurence Chenkier : « Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m'enrichis » Antoine de Saint-Exupéry.

J'ai toujours eu, tant dans ma vie personnelle que professionnelle, la conviction que les différences sont le terreau de la vie et que l'entre soi est facteur de régression.

Quels sont les deux changements les plus importants qui ont impacté votre carrière ? (sociétaux, institutionnels, humains…)

Laurence Chenkier : Il y en a eu de nombreux mais deux me paraissent les plus importants : la « judiciarisation » de la société en général et de l'action publique en particulier a été un point d'évolution sociétal qui a pesé sur les comportements des décideurs publics. Cela a été un élément impactant pour les métiers de direction générale des collectivités territoriales notamment dans les directions support. Il a fallu appréhender la « décision » ou l'action de l'autorité non plus en se fondant sur un texte mais en appréciant le « risque » de contestation que cela pouvait générer.

La transformation numérique de l'administration nous a incités à transformer nos habitudes de travail et nos organisations, à gagner en autonomie et en sobriété. Le télétravail modifie les conceptions du travail, que nous avions hérité des Trente Glorieuses, et nous a fait nous remettre en question de façon accélérée.

 

Propos recueillis par Hugues Perinel

Voir tous les portraits