Portraits d'acteurs

Valérie Chatel, Consultante Évolution RH

Valérie Chatel

Consultante Évolution RH

« Je suis entrée dans la fonction publique territoriale un peu par hasard mais j’ai tout de suite été passionnée par la richesse des acteurs des territoires et par l’intérêt des projets et des transformations à conduire. »

Quelles sont vos fonctions actuelles et quelles ont été les grandes étapes de votre parcours professionnel ?

Valérie Chatel : Je suis, depuis peu, consultante et formatrice après un parcours dans tous les niveaux de collectivités territoriales et un bref passage dans une Agence régionale de santé : j’y ai occupé des fonctions très diverses surtout marquées par les ressources humaines dans le nord et en Rhône Alpes et la direction générale de la région Bourgogne-Franche Comté.

À 20 ans je n’avais pas de projet professionnel très défini, je suis entrée dans la fonction publique territoriale un peu par hasard mais j’ai tout de suite été passionnée par la richesse des acteurs des territoires et par l’intérêt des projets et des transformations à conduire. J’ai occupé des fonctions et des missions dans des secteurs différents mais toujours avec une forte part de management et de relations humaines. J’ai travaillé d’abord pour la ville de Lille, par la suite pour la petite ville de la Madeleine qui m’a permis d’apprendre tous les aspects de ce qui deviendra mon métier, la gestion des ressources humaines. Puis j’ai participé à l’évolution de l’intercommunalité au sein de la métropole de Lille ou j’ai conduit les transferts de compétences entre les communes et la communauté Urbaine. En intégrant ensuite le département du Nord j’ai découvert une collectivité de très grande taille et des métiers différents, l’action sociale en particulier et le soutien aux territoires ruraux. Lorsque j’ai intégré ensuite la région Rhône-Alpes, j’ai apprécié l’action stratégique dans des métiers nouveaux comme le transport, la formation professionnelle, l’aménagement du territoire dans un contexte de transformation et de contrainte financière. J’observe que les collectivités ont toujours été dans le changement, cela nécessite une énergie importante et un grand sens du management : la fusion des régions Bourgogne et Franche Comté a été pour moi une période extrêmement enrichissante où j'ai pu confronter mes valeurs à mes actions.

Après ce parcours aussi riche qu’intense j’avais très envie de quitter - au moins provisoirement - le secteur public : il est important aussi pour nous fonctionnaires de comprendre le territoire en tant qu’acteur de la vie économique. Je suis particulièrement intéressée par les formes nouvelles de travail, par l’économie sociale et solidaire et par le développement de réseaux et j’ai beaucoup de plaisir à découvrir l’énergie et l’esprit de coopération des acteurs présents sur le territoire que j’habite, à Montpellier.

Je vis mon rôle de consultante à la fois comme une belle occasion de partager mon expérience et comme une opportunité pour la réinventer : mes missions m’amènent à travailler presque exclusivement en réseau et à distance mais cela ne nuit pas à la construction de mes projets. Au contraire, je rencontre aujourd’hui des entrepreneurs dans des secteurs très différents. Je découvre, grâce à la coopérative d’entreprises dont je suis membre, des manières de travailler très ouvertes et très transversales. Et je retrouve aussi le temps d’étudier plus à fond les sujets qui m’intéressent : l’évolution du travail, la formation des élus et des agents des collectivités, les transformations des organisations, le dialogue social.

Si vous deviez décrire votre métier actuel en 3 mots, quels seraient-ils ?

Valérie Chatel : Mon nouveau métier m’ouvre des horizons nouveaux. Alors que jusqu’à présent mon activité principale était le management, aujourd’hui j’exerce des fonctions de conseil qui se caractérisent par :

  • Autonomie et même liberté dans le choix de mes sujets de travail et de mes interlocuteurs, dans les lieux où je travaille mais aussi dans la liberté de pensée, qui est nécessaire pour être efficace comme conseil aux organisations et aux personnes.
  • Inventivité pour développer des activités nouvelles : aujourd’hui je souhaite développer par exemple des formations communes élus-administration, mais aussi des formations sur le dialogue social associant des syndicats et l’administration, ou bien des formations sur la transformation du travail avec le télétravail, le nomadisme, l’intelligence artificielle. J’ai également une expérience en matière d’organisation et j’ai des projets d’accompagnement des administrations sur ce champs. Mon objectif n’est pas seulement de partager des connaissances, de transmettre mon expertise mais aussi de construire une réflexion sur l’évolution des collectivités.
  • Observation et parfois alerte, qui sont plus que jamais nécessaires pour garder le contact avec le monde territorial tout en bénéficiant de la distance du consultant. J’observe en particulier la difficulté d’exercer des fonctions d’encadrement aujourd’hui en raison des contradictions des commandes politiques et sociales. Je suis assez inquiète de la charge mentale qui pèse en particulier sur les jeunes cadres. Les employeurs ont la responsabilité de garantir la qualité des conditions de travail mais les cadres sont par nature placés dans des lieux où la complexité est telle qu’ils sont rapidement confrontés à des tensions, des impasses, des injonctions paradoxales qui finissent par être destructrices. Certains métiers sont tout particulièrement exposés, le social, la communication, les ressources humaines mais plus globalement tous les métiers de direction générale et beaucoup de métiers en relation avec le public. Je souhaite proposer des méthodes pour anticiper cette dégradation de leurs conditions de travail.


J’observe aussi l’inexpérience collective à développer un dialogue social bien négocié et en phase avec les préoccupations des salariés, je suis toujours étonnée de la coupure entre jeunes cadres et équipes dirigeantes. Je pense qu’il y a là aussi un champ à explorer pour rapprocher le management et les agents de terrain.

J’espère que les nouvelles équipes élues et administratives sont ouvertes à ce questionnement et au partage de réflexion pour construire un management plus serein.

Quelles sont les qualités essentielles inhérentes à vos fonctions ?

Valérie Chatel : Il faut à la fois de l’expérience et un regard transversal sur les sujets que l’on traite car un consultant n’apporte jamais une réponse unilatérale, il doit comprendre la complexité des organisations. Mais il me semble curieusement que, même dans des fonctions très indépendantes, il faut avant tout qu’un consultant ait un vrai esprit d’équipe, à la fois pour bien travailler avec ses clients et pour être capable de mobiliser, parmi les collègues notamment, les réseaux professionnels et les expertises.

Qu’est-ce qui vous fait lever chaque matin ?

Valérie Chatel : Les rencontres : depuis le début de mon parcours, j’ai rencontré des personnes passionnantes et suivi des projets innovants. C’est ce qui fait le dynamisme des collectivités de pouvoir s’alimenter de l’actualité pour déployer des projets et apporter des idées nouvelles.

Quel est le projet qui vous a le plus marquée et dont vous êtes le plus fière ?

Valérie Chatel : Je suis particulièrement mobilisée par les projets de transformation de l’administration : j’ai eu la chance d’en conduire plusieurs, notamment dans le domaine des ressources humaines. Mais le projet le plus passionnant pour moi aura été la fusion des régions en Bourgogne-Franche Comté et auparavant en Auvergne-Rhône-Alpes. Par delà le changement institutionnel dont le bilan n’est pas encore fait, la fusion a été une occasion unique de remettre à plat toute l’organisation, de se poser la question de la posture de l’administration, de restructurer aussi tous les satellites des régions tout en menant une réflexion stratégique importante liée aux nouvelles compétences des régions. Sur le plan du management cela aura été également une expérience unique qui a nécessité de travailler aussi bien sur l’organisation hiérarchique et la mobilisation des cadres que sur le contact direct avec les agents tout en assurant un dialogue social productif et une réflexion sur les régimes indemnitaires. Un changement aussi important génère forcément des inquiétudes et parfois même des tensions lourdes mais il révèle aussi les capacités d’innovation des équipes. Piloter un projet si important donne de l’énergie.

Avez-vous un rêve que vous souhaiteriez concrétiser ?

Valérie Chatel : J’en ai plusieurs comme toujours. D’abord, réussir dans ma nouvelle entreprise et valoriser mon expérience et mon expertise. Ensuite, trouver le temps d’écrire, et enfin comme tout le monde retrouver la liberté d’aller et venir après la crise sanitaire car il m’est essentiel d’aller à la rencontre des territoires pour lesquels je travaille.

Quelles sont les rencontres qui vous ont le plus marquée dans votre carrière ?

Valérie Chatel : Pierre Mauroy à la fois pour la dimension de sa personnalité et son parcours mais aussi pour ce qu’il représentait : un homme de conviction, fidèle en amitié, parfois utopiste. Il soutenait des projets parfois incongrus parce qu’il les « visualisait » comme le tunnel sous la Manche, le TGV Nord Europe et plus tard le musée d’art brut de la Métropole de Lille. C’était un très fin politique qui jouait gaiement lors des assemblées avec les élus de l’opposition pour les convaincre mais qui était aussi capable de compromis car il cherchait à satisfaire tous les partenaires d’un territoire.

J’ai connu d’autres grands élus mais j’ai bien sur également été très marquée par la personnalité de Marie Guite Dufay, présidente de la région Bourgogne-Franche Comté. Elle met toujours en œuvre ses principes et ses convictions même quand tout son entourage cherche à la faire dévier : par exemple en matière de respect de ses opposants politiques, d’écoute des territoires, de développement durable. C’est une qualité rare qui lui donne une belle exemplarité.

Mais je pense que je me suis aussi construite sur mes erreurs ou sur mes maladresses : je voue une certaine reconnaissance à, Aline, une dame que j’ai dû convoquer en raison de son absentéisme aussi important qu’inexpliqué. Après m’avoir écoutée, elle m’a répondu « j’ai un cancer mais je ne veux pas le dire à mes collègues ». Depuis cette date, je ne juge jamais avant d’avoir tout compris d’une situation et je me méfie particulièrement des jugements rapides portés par l’entourage sur les personnes qui paraissent défaillantes.

Quelle est votre citation préférée et pourquoi ?

Valérie Chatel : « La seule chose promise à l’échec est celle qu’on ne tente pas ». C’est une phrase de Paul Émile Victor dont j’admire l’esprit d’exploration mais c’est tout simplement une version plus élégante du proverbe préféré de mes filles, « qui ne tente rien n’a rien ».

Je suis très intéressée par les débats d’idées et par la recherche d’innovation mais je ne me satisfais pas de la seule observation ou de la critique statique. Il me semble que si l’on veut vraiment un monde meilleur, pour soi comme pour la société, il faut mettre ses idées à l’épreuve de la réalité. Il faut donc agir, avoir le courage de tenter, d’expérimenter, de susciter la créativité. Il ne faut pas avoir peur de provoquer des débats, de se bousculer. Cela nous expose parfois à des échecs mais si on ne prend pas de risques on ne rencontre pas non plus de réussites et finalement ce sont souvent les réussites qui restent.

Quels sont les deux changements les plus importants qui ont impacté votre carrière ? (sociétaux, institutionnels, humains…)

Valérie Chatel : Je suis une fille de la décentralisation, j’ai le sentiment d’avoir participé dans la première partie de ma carrière à un moment de changement institutionnel rare qui a permis de faire évoluer la démocratie et de rééquilibrer - en partie - les lieux de pouvoirs. Cela a eu un impact direct sur ma carrière car j’ai pu non seulement participer à des projets intéressants, comme le développement de la Métropole de Lille, et rencontrer des personnes d’action et de conviction, des élus, des collèges, des réseaux professionnels, mais j’ai surtout bénéficié de la période de construction de la fonction publique territoriale qui m’a permis de passer des concours de haut niveau et de changer de poste chaque fois que je l’ai souhaité.

Une carrière de cadre dirigeant de collectivité est faite aussi de changements politiques et j'en ai connu plusieurs qui m'ont amenée à changer de poste. Mais aujourd’hui c’est plutôt le changement technique et social lié au développement du numérique qui impacte ma manière de travailler et donc ma carrière. J’ai découvert avec la fusion des régions que le travail nomade et le management à distance ne concernent pas seulement les entreprises privées mondialisées mais aussi les administrations. Bien sûr cela s’est maintenant confirmé pour tout le monde avec la crise sanitaire : nous comprenons tous aujourd’hui que le numérique n’est pas seulement un outil, c’est un accès à la connaissance, une capacité d’échanges démultipliés qu’il faut apprivoiser pour en faire la meilleure utilisation. Cela a un impact sur notre manière de travailler au quotidien mais aussi sur nos projets professionnels : cela apporte de la liberté et des pistes de réponse aux problèmes de la charge mentale, et surtout de la confiance et de l’autonomie au travail.

Je pense qu’il ne faut pas non plus sous-estimer le tournant que constitue la crise sanitaire : c'est un changement dont les conséquences sont encore à découvrir.

Propos recueillis par Hugues Perinel

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