Temps de travail des internes : des promesses ministérielles à la grève annoncée

Publié le 25 novembre 2014 à 0h00 - par

Bien que la réglementation détermine des demi-journées à réaliser, les internes comme tous les médecins vivent des heures de travail.

Fin octobre 2013, lors de l’université de rentrée de l’Intersyndicat national des internes (ISNI) à Paris, la ministre de la Santé Marisol Touraine déclarait : « Ce n’est plus acceptable… La durée moyenne de travail hebdomadaire d’un interne est de 65 à 70 heures… Votre temps de travail doit évidemment inclure les deux demi-journées de formation universitaire, ainsi que la garde… Si des modifications doivent être proposées, elles suivront un principe simple : votre temps de travail doit s’organiser autour de votre formation. »

Le 17 octobre 2014, la même organisation syndicale appelle les internes à la grève pour ces mêmes revendications…

Le statut des internes

L’interne est un praticien en formation spécialisée, jouissant du double statut d’étudiant en troisième cycle des études médicales (de la 7e à la 11e année) et d’agent public, salarié du Centre hospitalier universitaire dont il dépend. Cette période de professionnalisation dure de trois à cinq ans selon la spécialité choisie par un concours en 6e année de médecine.

Son activité s’exerce à temps plein dans les services hospitaliers et extra-hospitaliers, en participant à la permanence des soins hospitaliers (PDSH). Il est l’un des piliers de l’hôpital public et, souvent, le premier représentant du corps médical que rencontre le patient lors de sa prise en charge. 15 000 internes sont répartis sur l’ensemble des hôpitaux du territoire, dans 28 subdivisions correspondantes aux facultés de médecine, de pharmacie et d’odontologie. 62 spécialités existent, de la chirurgie cardiaque à la médecine du travail, de la médecine générale à la cancérologie…

L’interne consacre la totalité de son temps à ses activités médicales et à sa formation. Il exerce des fonctions de prévention, de diagnostic et de soins, par délégation et sous la responsabilité du praticien dont il relève. Étudiant et praticien salarié, le statut de l’interne ne repose pas sur un « contrat » au sens du code du travail mais sur une mission à remplir, en contrepartie d’une formation donnée par des médecins seniors.

La définition du temps de travail des internes

Les obligations de service des internes sont fixées à 11 demi-journées par semaine – la durée horaire d’une demi-journée n’étant pas fixée – comprenant :

  • 9 demi-journées par semaine d’exercice effectif de fonction dans la structure d’accueil (lundi au samedi matin inclus) sans que la durée de travail ne puisse excéder 48 heures par période de 7 jours, cette durée étant calculée en moyenne sur une période de 4 mois ;
  • 2 demi-journées par semaine consacrées à sa formation universitaire qui peuvent être regroupées selon les nécessités de l’enseignement suivi et cumulées dans la limite de 12 jours sur 1 semestre.

L’interne participe au service de gardes « normal » – une garde de nuit par semaine et une garde de dimanche ou de jour férié par mois. Il participe également au service d’astreintes. L’interne peut assurer des gardes supplémentaires dans les activités pour lesquelles la continuité médicale est nécessaire et en cas de nécessité impérieuse de service. Ces gardes ne sont pas comptabilisées dans les obligations de service hebdomadaires.

L’interne bénéficie d’un repos de sécurité à l’issue de chaque garde de nuit (soit 24 heures consécutives de travail), d’une durée de 11 heures,  immédiatement consécutive à la garde. Ce repos de sécurité n’est pas décompté dans les obligations de service hospitalières et universitaires. Aucune activité professionnelle ou d’enseignement ne peut être réalisée dans ce temps de repos.

Les internes n’ont pas de RTT et ont droit à 30 jours ouvrés de congés annuels par an, soit 5 semaines.

La réalité du terrain

Pierre angulaire de l’activité médicale hospitalière, l’interne effectue un nombre d’heures hebdomadaires avoisinant les 60 ou 70 heures, 90 heures dans certains services d’urgence ou de chirurgie. Les repos de sécurité, souvent, ne peuvent pas être accordés et il arrive que certains internes travaillent pendant 21 jours sans jours de repos dans le cas où ils sont amenés à travailler 2 week-ends consécutifs. Dans de trop nombreux hôpitaux, les astreintes ne sont pas rémunérées, ni récupérées pour les internes. L’amplitude de travail est dénoncée avec force depuis 2002 par les organisations syndicales représentatives de ce secteur médical.

Souvent l’interne doit faire face seul à des situations auxquelles il n’est pas préparé, car il n’y a pas de médecin senior présent, notamment la nuit. Le stress lié aux responsabilités – niveau de stress supérieur à 8 sur 10 selon une étude scientifique – et la surcharge de travail impliquent que la moitié des internes en médecine générale se disent menacés par le burn-out.

La question des salaires est également posée : 1 750 € en 9e année pour 10 heures de travail par jour minimum, soit un taux horaire de 7,9 €, à bac + 9. Une garde de 119 euros pour 14 heures de garde représente 8,50 € bruts/heure.

L’intervention de la Commission européenne

Dans un avis rendu en mars 2014, la Commission européenne a estimé que la durée de travail des internes français ne respectait pas la législation européenne imposant une semaine de 48 heures maximum de travail.

La directive indique que les périodes de gardes supplémentaires et les heures de cours doivent être considérées comme du temps de travail. La Commission européenne a donc enjoint le gouvernement à présenter des mesures afin de remédier à la situation, sous peine de poursuites devant la Cour de justice de l’UE.

Les propositions gouvernementales

Une dizaine de rencontres ont eu lieu entre les syndicats ISNI et ISNAR-IMG (Intersyndicale Nationale Autonome Représentative des Internes de Médecine Générale). Le ministère de la Santé propose de réduire de 11 à 10 demi-journées par semaine les obligations de service des internes, dont 2 demi-journées de formations avec 1 demi-journée universitaire (cours, congrès, séminaires…) et 1 demi-journée utilisée par l’interne pour son travail personnel (thèse, portfolio, revue de la littérature…). La demi-journée de formation serait comptabilisée dans le temps de travail qui ne saurait excéder 48 heures par semaine. Si ceci est accepté par le syndicat ISNAR-IMG, l ‘ISNI considère que c’est inapplicable et dangereux pour les internes : la propostion qui vise à retirer une demi-journée de formation des obligations de service hebdomadaires étant considérée comme « un tour de passe-passe ».

L’ISNI réclame depuis de longs mois que la semaine de travail soit fixée du lundi matin au vendredi soir, que le travail du samedi matin soit rémunéré comme une garde, que les astreintes soient payées et que les repos de sécurité soient respectés.

Cette revendication de la garde du samedi matin suscite une « profonde inquiétude » de la part de la Fédération hospitalière de France, des conférences de directeurs d’hôpitaux, des présidents de commission médicale d’établissement qui l’ont écrit à la ministre de la Santé et qui craignent de voir cette revendication reprise par les praticiens hospitaliers. Ainsi, un cadre statutaire initial mal jaugé, un manque d’effectifs de médecins, la rigueur budgétaire actuelle, une augmentation de la densité médicale dans les hôpitaux amènent à des conditions de travail des internes extrêmement pénibles.

Sous la pression budgétaire, la vérité politique affirmée en octobre 2013 n’étant plus la vérité en octobre 2014, comment dès lors ne pas comprendre les crispations actuelles ?

DT.


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