Après une enquête du Laboratoire de la République et de l’Institut Terram, administrée par l’IFOP auprès de 10 000 Français en avril 2025, les deux groupes de réflexion ont confié à Benjamin Morel, constitutionnaliste et maître de conférences à l’Université Paris Panthéon-Assas, la rédaction d’une étude intitulée : « Conseils municipaux : renouer avec l’engagement citoyen ». Celle-ci a été publiée fin août 2025, à un peu plus de 6 mois des élections municipales.
Jadis creusets civiques, les conseils municipaux peinent aujourd’hui à se renouveler. Toutefois, si la démocratie municipale connaît effectivement une érosion multiforme et montre des signes d’essoufflement, « un réservoir civique perdure », peut-on lire dans la synthèse de l’étude. De fait, près d’un quart des citoyens (24 %) se déclarent prêts à se présenter sur une liste en 2026, rapporte son auteur. Cette proportion s’avère stable depuis une vingtaine d’années. Cependant, seuls quelques-uns semblent prêts à passer de l’intention à la candidature effective. Les principaux freins évoqués sont le manque de temps (42 %), la lourdeur administrative (41 %), le sentiment d’incompétence (39 %), la difficulté à concilier engagement et vie familiale (38 %), le climat politique local tendu (36 %), le manque de reconnaissance de l’engagement municipal (33 %) et la crainte d’un impact négatif sur la carrière (19 %).
Le mandat local fait moins rêver
La crise de l’engagement n’est pas uniforme, explique Benjamin Morel. Dans les communes rurales, en particulier celles de moins de 1 000 habitants (plus de 60 % des communes françaises), les difficultés à renouveler les listes sont les plus aiguës. Les jeunes quittent massivement ces territoires, tandis que ceux qui restent hésitent à s’engager dans des fonctions exigeantes, peu rémunérées et chronophages. À l’inverse, dans les grandes villes, l’engagement s’apparente souvent à la défense de causes spécifiques, mais reste freiné par le manque de temps (52 % des habitants des métropoles) et la complexité institutionnelle, constate l’étude.
« Le modèle républicain de la commune comme premier échelon de la citoyenneté s’effrite », poursuit le constitutionnaliste. L’accès au mandat et, surtout, ses conditions d’exercice sont de plus en plus inégalitaires : surcharge administrative (principal obstacle cité par 41 % des répondants et 46 % des élus en poste), manque de relais institutionnels, faiblesse de l’indemnisation (particulièrement dans les petites communes), usure démocratique face à la défiance et à la violence croissante. Plus de 13 000 démissions d’élus ont été enregistrées en 2023, un chiffre en hausse continue, rappelle-t-il. Pour couronner le tout, dans les territoires les plus enclavés, les élus assument des fonctions de gestion, de médiation, d’assistance sociale, qui dépassent largement leur mandat initial.
L’étude recense des motifs d’espoir
Malgré ce tableau préoccupant, des motifs d’espoir subsistent, assure l’auteur de l’étude. Le premier moteur d’engagement demeure le désir d’être utile à la commune : près d’un Français sur deux cite le souhait de changer les choses de l’intérieur (47 %) et de contribuer concrètement à la vie locale (45 %). La possibilité de faire entendre la voix des oubliés (46 %), l’envie de faire contrepoids à des décisions jugées injustes (44 %), la volonté de représenter un collectif ou une génération (29 %) ou d’acquérir des compétences nouvelles (28 %) participent également de la dynamique d’engagement.
Le sentiment d’efficacité politique et la reconnaissance du mandat sont également des leviers puissants. Fort de ces constats, l’auteur de l’étude dessine trois scénarios futurs pour la démocratie locale.
- Le délitement progressif : tarissement du vivier civique, multiplication des listes uniques, abstention record et marginalisation du conseil municipal au profit de l’intercommunalité et de la technocratie.
- La rationalisation technocratique : transformation des conseils municipaux en chambres d’enregistrement, montée en puissance de la gestion professionnelle et de la démocratie numérique, mais éloignement du pouvoir et perte du lien de proximité.
- La refondation civique : revalorisation statutaire et symbolique du mandat, soutien aux listes citoyennes, simplification administrative, diversification des formes d’engagement, et ancrage d’une démocratie participative vivante et inclusive.
À l’issue de son étude, Benjamin Morel trace « cinq axes pour revivifier la démocratie municipale ».
- Valoriser le mandat municipal : reconnaissance sociale, intégration du mandat dans les parcours professionnels, meilleure visibilité médiatique, campagnes d’information, bonification dans les concours de la fonction publique.
- Réduire les barrières d’entrée : simplifier les démarches, développer la formation et l’accompagnement des candidats, renforcer les dispositifs de mentorat et de soutien logistique.
- Encourager la participation sous toutes ses formes : soutien aux listes citoyennes, innovation démocratique (jurys citoyens, budgets participatifs…), implication des jeunes et des publics éloignés de la vie politique.
- Recréer l’écosystème civique local : densification du tissu associatif, liens intergénérationnels, coopération entre collectivités, universités et acteurs de la société civile.
- Rééquilibrer les pouvoirs locaux : renforcer l’autonomie et la clarté des responsabilités, garantir des ressources suffisantes, promouvoir la proximité et la responsabilité démocratique.
