Il est consultant depuis 2023 au sein d’A4MT (Action pour la transformation des marchés), où il entend ainsi prolonger son expertise à travers le programme « Nos Villes à 50°C » dont l’objet est d’embarquer tous les acteurs du bâtiment dans l’adaptation aux vagues de chaleurs. À ses yeux, « le débat idéologique autour de la climatisation n’a plus lieu d’être ».
Vous étiez à Béthune avec votre casquette A4MT et cette précision a son importance…
Nous sommes un cabinet de consultants, dont la particularité est de ne mener que des actions collectives. L’objectif est de mobiliser toutes les énergies sur des sujets aussi complexes que ceux de la chaleur et de la ville à 50 degrés. Sans action collective, vous risquez d’avoir des réponses très bonnes ponctuellement mais éparses et surtout redondantes. Ce qui fait bouger les lignes, c’est quand un ensemble de maîtrises d’ouvrage travaillent ensemble, quand elles partagent leurs solutions, quand elles expérimentent en commun, pour en faire profiter à tous. Il y a une vraie plus-value si l’on ouvre le champ largement. Si un tel a résolu un problème, il ne sert à rien qu’un autre se creuse la tête pour parvenir in fine au même résultat. C’est le propre de la mise en commun des compétences. Au quotidien, l’adage « tout seul on va plus vite, ensemble, on va plus loin » est vrai ; on fait aussi avancer plus vite les projets. En plus, A4MT est un endroit un peu neutre, sans chapelle, sans parti-pris. C’est ce qui se passe dans « Nos Villes à 50°C » avec la ville de Paris, la Caisse des Dépôts Habitat, Immobilière 3F et de nombreux acteurs qui trouvent dans ce programme une partie des réponses à l’adaptation.
Est-ce qu’aujourd’hui, toutes les constructions neuves et les réhabilitations se font en prenant en compte ce critère de la ville à 50 degrés ?
Si l’on parle strictement d’adaptation aux canicules, non. Mais tous les acteurs commencent à comprendre qu’il y a un vrai enjeu sur le sujet. On est aux balbutiements de la prise de conscience. Sur la question de la décarbonation et des impacts sur la planète, on peut dire que les pratiques sont bien posées sur les rails, il est vrai qu’on en parle depuis bien longtemps. Comme on a bien avancé, on est plus dans la question d’éviter un retour en arrière en ce moment avec ce contexte politique peu propice.
Est-ce que les effets d’une remise en cause de la nécessité d’une action publique sur le réchauffement climatique se font sentir ?
Oui, dans le bâtiment. Certains par exemple considèrent que la réglementation environnementale fait grimper le coût de la construction. Mon travail consiste à démontrer ce qu’il en est vraiment, au-delà du simple discours ou de l’intuition. J’apporte les preuves et les chiffres et je démontre ainsi que c’est faux. En 2028, on saura construire RE 2028 avec un surcoût maximum de 2 % seulement. Pourtant, on n’est pas à l’abri d’un retour en arrière sur la RE 2020 et donc d’une construction moins qualitative qu’aujourd’hui. Sur l’adaptation c’est un peu différent car c’est un sujet nouveau et il n’y a pas beaucoup d’actions publiques.
On a le sentiment que le 50 degrés, on n’y est pas vraiment, que l’on dramatise la situation…
Oui et non. Le 50 degrés va exister. On pourra vivre à 50 degrés lors d’une canicule en 2050 à Paris. On a déjà eu 46 degrés dans le sud de la France. Dans le cadre d’une canicule, bien entendu. Cela peut vouloir dire deux heures à 50 degrés sur une année. Les canicules augmentent à la fois en intensité et en fréquence. Dans les années 50, nous avions une canicule par décennie. Là c’est plutôt deux canicules par été. Les gens commencent quand même à se dire que ce n’est pas normal. Mais l’effet pervers c’est que dès qu’il fait un peu plus froid, les gens se disent que finalement, il ne fait pas si chaud. C’est faux, c’est juste que l’on perd un peu la notion du froid. Autre élément, il y a désormais plus de morts par canicule que par accidents de la route. L’année dernière, 3 700 personnes sont mortes du fait des vagues de chaleur, contre 2 700 sur les routes. L’enjeu de la canicule devient presque plus important que de savoir comment se chauffer l’hiver, notamment dans le sud de la France. On arrive même aujourd’hui où il est plus cher dans le sud de se climatiser que de se chauffer.
Il y a une double approche, avec le neuf et l’ancien, et des besoins en rénovation qui paraissent énormes…
Sur le neuf, c’est en effet assez cadré, le durcissement depuis la sortie de la RE 2020 qui est déjà contraignante concernant la zone méditerranéenne. Et puis le neuf, ce n’est pas la partie la plus compliquée. Sur la rénovation, en revanche, il n’y a rien sur l’inconfort d’été. Le décret tertiaire par exemple ne traite que des consommations énergétiques. Ce qui peut se comprendre dans le sens où techniquement, ce n’est pas simple. Par exemple, pour rafraîchir un immeuble, il est préférable de le rendre traversant. Les immeubles haussmanniens sont de fait déjà traversants, ce qui n’est pas le cas des logements construits dans les années 80. C’est donc la structure du bâtiment qu’il faudrait revoir, ce qui n’est pas évident. Après, il y a le cas classique du bâtiment mal isolé ; l’hiver, il se refroidit vit ; l’été, il se réchauffe tout aussi vite. Le non isolé sous les toits, c’est la double peine. Tout cela existe beaucoup moins dans le neuf.
Il va donc falloir mieux se refroidir que mieux se chauffer…
La France, contrairement à l’Espagne et à l’Italie, s’est construite autour du chauffage d’hiver. La France doit désormais changer de manière de voir les choses. On passe des passoires thermiques aux bouilloires thermiques. Cette adaptation est forcément lente dans le monde du bâtiment. Et globalement, nous ne sommes pas bons en France dans la rénovation, nous n’en faisons pas assez. Quand les Français se sont décidés à mener des chantiers de rénovation en sollicitant des aides publiques, les ressources ont vite été épuisées. Le gouvernement a décidé de tout arrêter, plutôt que d’accélérer.
Existe-t-il des solutions pour s’en sortir ?
On a monté ce groupe de réflexion (Nos villes à 50 degrés) dans cette optique-là. On sait faire dans le détail mais la question est de savoir comment aller plus vite, combien ça coûte, comment embarquer tout le monde et lever les freins qui existent. On manque aussi de professionnels pour répondre à la demande. Les solutions, les Espagnols les ont mises en œuvre depuis longtemps. Elles sont nombreuses et vont du très low-tech, aux protections solaires en passant par la climatisation. En 2025, on est dans un monde où l’on ne peut plus dire qu’il est hors de question que je climatise mon logement. On disait avant aux gens, vous avez une chaudière gaz, ce n’est pas bon pour la planète, passez à la pompe à chaleur. Mais les gens ne voyaient pas forcément un grand intérêt à aller dans ce sens du fait que les effets sur la facture énergétique n’étaient pas si flagrants que ça dans de nombreux cas. Le discours que l’on peut tenir aujourd’hui est dans la réversibilité de la pompe à chaleur. Les foyers peuvent donc franchir le gué, avec un bonus pour la planète mais surtout un meilleur confort chaud-froid dans leur bâtiment.
Le clivage idéologique sur la climatisation est donc dépassé ?
Oui parce que le 50 degrés, ce n’est pas une blague et quand vous avez 65 ans, que vous êtes un peu malade ou que vous n’avez pas dormi pendant trois jours, votre santé est menacée et le fait de savoir s’il faut ou non recourir à la clim ne doit pas se poser. On bascule dans un monde où la chaleur va provoquer plus de morts. Je ne vois pas pourquoi les gens pourraient se chauffer et pas refroidir leur logement ! Après, il faut le faire intelligemment, bien entendu, avec certaines contraintes et obligations. Climatiser un bâtiment mal isolé, c’est très souvent idiot. C’est pour cette raison qu’une rénovation doit s’envisager toujours de façon globale et pas par petits bouts. Et pourtant, pour diverses raisons, c’est souvent l’approche qui est utilisé. C’est là ou les politiques publics doivent agir pour inciter beaucoup plus massivement aux rénovations globales qui n’ont que des effets positifs, facture, confort, qualité de d’air et de vie. C’est un enjeux de santé publique.
Stéphane Menu
