“Le défi climatique et énergétique impose aux acteurs des territoires une mobilisation spécifique endogène”

Publiée le 22 février 2023 à 9h50 - par

Entretien avec Stéphane Le Foll, Maire du Mans, Président de Le Mans Métropole, ancien ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire.
Entretien avec Stéphane Le Foll, Maire du Mans, Président de Le Mans Métropole, ancien ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire

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La « résilience » s’impose désormais comme un principe d’action pour les territoires. Quel contenu donnez-vous à l’expression ?

La résilience peut se définir comme l’aptitude du territoire à affronter des crises tout en continuant à se projeter dans l’avenir. La pandémie nous a fait prendre conscience, en tant que collectivité, de nos capacités à gérer la crise en se montrant plus agiles et plus réactifs que l’État sur un grand nombre de sujets. Cette crise, et plus encore les grands défis à relever, nous montrent que l’État seul ne pourra pas les résoudre. Le défi climatique et énergétique notamment impose aux acteurs des territoires une mobilisation spécifique, endogène afin de démultiplier l’action européenne et nationale pour stimuler les investissements. Élus et territoires ont un rôle primordial : connecter et impliquer les citoyens et acteurs économiques.

Au titre de cette résilience, Le Mans Métropole multiplie les actions contre le changement climatique. Pensez-vous possible d’allier écologie et économie dans les années à venir ? Si oui comment ?

Il est non seulement possible mais nécessaire d’allier écologie et économie et de ne pas les dissocier des autres enjeux actuels telles que les questions sociales ou démocratiques. Je porte depuis que je préside la métropole et que je suis à la gestion de la ville le projet d’une ville et d’une métropole durables. Il faut entendre cette durabilité au sens du rapport Brundtland qui dès 1987 fonde deux principes : la croissance et le développement au présent ne doivent pas se faire au détriment de ceux des générations futures. Le développement durable c’est donc trois piliers : le social, l’économie et l’environnement. Ainsi pour réussir la transition écologique qui préserve la qualité de vie des habitants, il est indispensable d’adopter une approche systémique qui prenne en compte l’économie, l’innovation pour garantir le changement de modèle énergétique tout en assurant des services et la production de biens créateurs d’emplois, porteurs de sens et d’une dynamique sociale sans laquelle rien n’est possible.

Les grandes politiques de transition comportent donc toutes un volet économique : à Le Mans Métropole, cela se voit particulièrement dans les politiques menées autour de l’énergie et des mobilités avec le développement d’une filière hydrogène pour décarboner les transports publics, créer des emplois nouveaux, inciter à la mise en place de nouvelles formations dans l’enseignement supérieur et promouvoir la recherche et le transfert technologique sur le territoire. Nous avons également lancé un plan très ambitieux de rénovation énergétique des logements sociaux et des bâtiments publics notamment. Cela crée de l’emploi pour de nombreuses entreprises tout en augmentant le pouvoir d’achat pour les ménages qui vont voir leur facture énergétique fortement diminuer. Cela a un effet bénéfique sur le climat au niveau global mais également sur le commerce au niveau local. Le rôle de la collectivité est d’orchestrer et d’accompagner ces développements pour s’assurer qu’ils répondent bien aux besoins du territoire tout en préservant la qualité de vie (ville à taille humaine, qualité et diversité des espaces naturels, mobilités douces, etc.).

Le Mans Métropole travaille en partenariat avec Le Mans Université pour créer un écosystème qui mette l’innovation au service de la lutte contre le changement climatique. Quels sont les retombées concrètes attendues de ce partenariat en termes de développement économique ? Quel intérêt présente-t-il pour les entreprises du territoire ?

En effet, Le Mans Métropole est en train de structurer un Laboratoire d’Innovation Territorial sur le thème de la neutralité carbone. Celui-ci rassemblera un triptyque composé de chercheurs, de représentants d’entreprises et d’acteurs publics dans un espace de réflexion et de stratégie d’innovation. La recherche et l’expérimentation seront les deux piliers de ce laboratoire pour créer une forme de « circuit-court » de savoirs utiles pour le territoire : mieux comprendre, expérimenter, évaluer, diffuser ; tout cela en lien avec les acteurs économiques qui pourront, selon les projets et leurs profils, être co-financeurs ou bénéficiaires de certaines innovations.

Nous souhaitons que les solutions proposées émanent des acteurs mobilisés. Il pourra aussi bien s’agir d’expérimentations pour répondre à des problèmes d’actualité des entreprises ou des collectivités (diminution de la consommation d’énergie, transport des salariés) qu’à des questions de recherche, plus ouvertes et de long-terme (quelles solutions de mobilités acceptables pour la population ? Comment favoriser une augmentation de la population tout en limitant les émissions de gaz à effet de serre ? pour exemples). Nous avons d’ores et déjà commencé avec le financement de trois doctorats qui viennent de démarrer à Le Mans Université.

Les retombées attendues sont donc de plusieurs ordres et portent en priorité sur la neutralité carbone. En termes de développement économique, l’objectif est de réussir la mobilisation des acteurs pour les accompagner dans la transition écologique et leur permettre de rester compétitifs et innovants dans un contexte difficile pour grand nombre d’entre eux. Pour les entreprises, cela peut représenter de nouveaux marchés, de nouvelles perspectives à moyen terme, des solutions concrètes, et l’intégration à un réseau privilégié.

Le changement climatique n’est pas la seule menace qui pèse sur les territoires. Ceux-ci sont aujourd’hui confrontés à une hausse des prix, notamment de l’énergie. Qu’est-ce qu’une métropole comme la vôtre peut faire pour aider les commerçants dans ce contexte ?

Avec la crise actuelle, la question de l’énergie et de son coût est au cœur de notre développement et de la compétitivité de notre territoire. Pour atteindre cet objectif de compétitivité énergétique, la ville et la métropole vont s’appuyer sur deux grandes politiques.

La première politique est le développement des réseaux de chaleur, avec une extension de l’ancien réseau et la création d’un nouveau réseau pour desservir l’Université et l’Hôpital du Mans. Avec une base chaleur compétitive issue de l’unité de valorisation des déchets et des chaufferies d’appoint biomasse pour un prix stabilisé et indépendant des fluctuations du marché couplé à une cogénération productrice d’électricité, cette énergie est disponible et efficace économiquement, écologiquement.

La deuxième orientation consiste à développer la production d’énergies renouvelables locales pour assurer de l’autoconsommation et des connexions de réseau afin à terme de gérer les excédents production/consommation. C’est le sens du plan solaire, de la géothermie saisonnière, de la production de biogaz avec deux méthaniseurs et des projets innovants de pyro-gazéification dont un mixte méthane-hydrogène à base de chanvre, voire de bois B et issu de la récupération de la chaleur fatale de certaines entreprises à destination de l’agriculture.

Ces mesures sont détaillées dans le plan « Mégapôle », qui fixe tous les objectifs à moyen et à long termes pour la métropole et l’ensemble du territoire élargi au Pays du Mans, au niveau duquel est défini le Plan Climat air énergie et où seront mis en œuvre une société d’économie mixte d’investissement énergétique, une coopérative carbone et un service de conseil énergétique pour les communes et les particuliers.

Et pour aider les habitants/consommateurs ?

Les aides tangibles aux habitants passent par un plan de protection face aux hausses de prix en faisant le choix de ne pas augmenter les impôts, d’assurer un pacte pour le pouvoir d’achat en maintenant les prix de l’eau et de l’assainissement, de la taxe sur les ordures ménagères et des tarifs des transports collectifs.

De même qu’en poursuivant l’isolation des logements sociaux, des plus précaires et ceux des particuliers de manière générale pour réduire les factures énergétiques, les politiques publiques contribuent concrètement à améliorer le pouvoir d’achat des locataires.

Voyez-vous quelque chose à ajouter ?

La métropole et en « arrière-plan » le pays du Mans portent un projet global et structurent un « écosystème énergétique territorial » au service d’un « territoire durable ». Cette démarche intègre pleinement la recherche, la formation universitaire et les transferts de technologie, mais aussi la culture sans laquelle toute cette dynamique technologique manquerait son objectif, celui de l’attractivité et du bien-être de nos populations.

Propos recueillis par Fabien Bottini, Consultant, Professeur à Le Mans Université, Membre de l’IUF

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