Une chaire pour “trouver des solutions pratiques pour affronter le défi climatique”

Publiée le 28 juin 2022 à 12h45 - par

Entretien avec Fabien Bottini, Professeur des Universités, Membre sénior de l'Institut universitaire de France, Consultant et titulaire de la nouvelle chaire Neutralité Carbone 2040 de Le Mans Université.
Entretien avec Fabien Bottini, Professeur des Universités, Chaire « Innovation » de l'Institut Universitaire de France, Chaire « Neutralité Carbone 2040 » de Le Mans Université, Consultant

Le Mans Université a inauguré en juin dernier sa chaire Neutralité Carbone 2040. De quoi s’agit-il et en quoi intéresse-t-elle les territoires ?

Cette chaire constitue une première, puisqu’il s’agit à travers elle de mobiliser, dans une perspective pluridisciplinaire, les différents laboratoires de l’Université de façon à trouver des réponses aux défis auxquels l’urgence climatique confronte les territoires environnants.

Précisément, 4 axes de recherche ont été jugés prioritaires au démarrage de la chaire.

  • Le premier vise à construire les territoires de demain et y vivre.
  • Le deuxième à décarboner les mobilités, l’industrie et l’agriculture.
  • Le troisième à développer de nouvelles énergies.
  • Le dernier consiste à accompagner l’acceptabilité sociétale des réformes – parfois draconiennes – qui vont devoir être prises face aux évènements.

Autant de problématiques qui, on le voit, intéressent au premier plan les autorités publiques, puisqu’elles se sont engagées à participer activement à l’effort collectif pour atteindre cette neutralité carbone, conformément aux recommandations du GIEC. C’est la raison pour laquelle l’Université a vocation à bénéficier de leur soutien, au niveau national comme local.

Différentes autorités publiques soutiennent cette chaire dites-vous. Mais comment ce soutien se concrétise-t-il concrètement ?

Ce soutien se traduit d’un point de vue budgétaire mais aussi sous la forme d’aide aux actions partenariales pour créer un nouvel écosystème favorable à la transition écologique. S’agissant des aspects budgétaires, la chaire a vocation à terme à être abondée par une fondation que Le Mans Université est en train de créer et qui sera alimentée par le mécénat d’institutions publiques, d’opérateurs économiques ou de simples particuliers : c’est-à-dire de tous ceux qui ont envie de faire quelque chose d’utile en faveur du climat. En attendant, elle est financée au démarrage, outre par 20 000 euros de fonds propres de l’Université, à hauteur de 190 000 euros par l’État auxquels viennent s’ajouter 100 000 euros de Le Mans Métropole. Tandis que les fonds étatiques vont permettre à l’Université d’investir dans l’achat de matériel de pointe en lien avec la capture du CO2 ou la production d’hydrogène vert, le financement métropolitain permettra de soutenir des recherches doctorales sur des problématiques qui intéressent directement l’intercommunalité et ses communes membres, afin de trouver des solutions très concrètes à certains de leurs problèmes.

S’agissant de l’aide aux actions partenariales, il s’agit pour l’Université et la Métropole de s’appuyer l’une sur l’autre de façon à créer un écosystème favorable à la découverte et au développement de technologies de rupture grâce à l’innovation. Chacune de ces institutions est en effet en contact avec des organismes habitués à travailler de façon isolée dans leur domaine de compétences qu’il s’agit de mettre en relation, de façon à créer de nouvelles synergies devant conduire à l’apparition de ces solutions nouvelles.

Le droit est comme le sable : il s’insinue partout

L’écosystème que vise à créer la chaire est-il perçu comme un moyen de soutenir l’emploi face à la transition écologique dans les années à venir ?

Effectivement. On sait que la transition écologique va être à l’origine d’un phénomène d’ampleur de « destruction-créatrice d’emplois ». Ce phénomène a du reste déjà commencé mais est destiné à s’amplifier dans les années à venir. Dans ce contexte, la chaire contribuera à interpénétrer développement économique et développement durable, de façon à faire de l’économie le pilier de la protection de l’écologie et de cette dernière le moteur de l’économie.

Les recherches sur la production d’un hydrogène « vert » et la capture du CO2 illustrent bien le propos, puisqu’il s’agira à terme de commercialiser le fruit de leurs découvertes. Ce qui impliquera sans doute de mobiliser le droit de la commande publique ou des aides économiques pour faciliter la construction de nouvelles infrastructures, comme des centres de production ou des réseaux de transport et de diffusion. Autant de réalisations par nature génératrices d’emplois pour un territoire et donc de retombées directes et indirectes pour son économie. Si le processus est bien connu, la nouveauté tient ici à ce qu’il s’agira de créer des emplois décarbonés pour faire face aux défis du futur.

Non plus opposer droit de l’environnement et droit du développement économique mais bien faire fusionner les deux

Pourquoi avoir confié à un juriste publiciste le soin d’animer cette chaire lors de son lancement ? Et pourquoi avoir accepté cette responsabilité ?

Plusieurs considérations expliquent sans doute ce choix. L’une tient de mon point de vue au rôle joué depuis toujours par le droit dans la transformation de la société. Le droit est en effet comme le sable : il s’insinue partout. Quand on y songe, on se rend compte qu’il est présent dans la moindre activité de notre quotidien, sous une forme ou une autre. Or, les autorités publiques n’ont pas attendu la crise sanitaire pour le mobiliser au service de la transition écologique. Les obligations légales et réglementaires imposant aux particuliers le tri sélectif de leurs déchets datent par exemple du tournant des années 2000. Aussi il n’est pas douteux que le droit soit de plus en plus mobilisé dans les années à venir pour changer les comportements de façon à les rendre plus vertueux en termes de neutralité carbone. Ce qui pose la question des aménagements qui devront nécessairement être apportés à l’exercice des droits et libertés de chacun par les pouvoirs publics et de leurs limites.

C’est un beau défi à théoriser pour un juriste. C’est une des raisons qui m’ont conduit à accepter cette chaire. Une autre tient au fait que son objet recoupe un projet que je porte par ailleurs pour l’Institut Universitaire de France. Les faire converger est pour moi une façon de créer un cercle vertueux entre les recherches que je mène au niveau national et international et les attentes des territoires au niveau local. Une dernière raison tient au fait que ces derniers vont avoir un besoin renouvelé d’expertise dans les années à venir, notamment pour adapter leur cadre juridique aux besoins nouveaux. Il est dans ce contexte important que les juristes publicistes imaginent sans attendre les nouveaux usages à venir du droit pour les conseiller et les former au mieux dans leurs actions futures, par exemple sur la façon non plus d’opposer droit de l’environnement et droit du développement économique mais bien de faire fusionner les deux.

La transition écologique peut-elle se faire sans les citoyens, voire contre eux ?

On peut toujours tout imaginer mais la clé du succès dépend selon moi de la capacité des pouvoirs publics à créer une nouvelle gouvernementalité, entendue comme un projet de société suscitant l’adhésion volontaire du plus grand nombre. Or, une telle adhésion ne pourra se rencontrer que si les citoyens prennent une part active à la construction des solutions exigées par les circonstances. Il va en effet s’agir de mobiliser l’intelligence collective pour se montrer véritablement résilient et innovant.

C’est pourquoi la chaire comporte un axe transversal de recherche dédié à l’acceptabilité sociétale des réformes à mener face à la transition écologique dont un volet important sera consacré à la mise en place d’ateliers de démocratie participative dont le retour d’expérience pourra être utile à d’autres territoires.

En résumé, la création d’une telle chaire universitaire est non seulement inédite mais elle a une puissante ambition de transformation, connectée aux réalités locales ?

Je voudrai insister sur le caractère novateur de l’initiative lancée par Le Mans Université avec l’aide de l’État et le soutien de la Métropole du Mans et sur les retombées très concrètes qui en sont attendues. Il ne s’agit en effet pas seulement de réfléchir de façon abstraite sur la façon de faire face au défi climatique ; mais bien de trouver des solutions pratiques pour l’affronter, qui changeront notre quotidien dans les années à venir à un point qu’on a encore du mal à imaginer.

C’est la raison pour laquelle j’ai d’ores et déjà invité un certain nombre d’institutions à réfléchir à la façon dont on pourrait travailler ensemble dans le cadre de cette chaire, comme la Fédération nationale des entreprises publiques locales. Je voudrai profiter de cet entretien pour renouveler cette invitation et l’étendre à tous ceux, acteurs publics comme privés, qui se reconnaissent dans son ambition et ont envie de s’engager activement face à la  transition écologique : qu’ils n’hésitent donc pas à nous contacter ([email protected]).

Dans tous les cas, je remercie WEKA pour leur intérêt pour cette chaire et ne manquerai pas de tenir vos lecteurs au courant de ses avancées sur des sujets qui les intéressent en temps, aussi, qu’expert WEKA.

Propos recueillis par Julien Prévotaux

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