Bruno Paulmier : “La transition écologique est d’abord un défi d’organisation et de culture managériale”

Publiée le 9 octobre 2025 à 14h00 - par

La transition écologique n'est pas une politique publique comme les autres. Elle traverse toutes les dimensions de l'action territoriale et oblige les collectivités à repenser leur fonctionnement interne, leur management et même leur culture. Ancien directeur général des services, président de l'Association des dirigeants territoriaux et anciens de l'INET (ADT-Inet), Bruno Paulmier analyse en profondeur les mutations en cours et les défis qui attendent les managers publics.
Bruno Paulmier : “La transition écologique est d'abord un défi d'organisation et de culture managériale”

© Peter Mauduit

Vous affirmez que la transition écologique change la nature même de l’action publique locale. Pourquoi ?

Parce qu’elle n’est pas une politique sectorielle que l’on viendrait ajouter à d’autres. La culture, le social, la politique de la ville, le développement économique : toutes ces politiques pouvaient fonctionner relativement séparément, avec leurs directions, leurs compétences et leurs budgets. La transition écologique, elle, irrigue absolument tout. L’urbanisme, la mobilité, la commande publique, la gestion des ressources humaines, la santé au travail… rien n’y échappe. Cela oblige les collectivités à décloisonner, à penser en transversalité et en coopération. C’est une véritable révolution organisationnelle.

Quels en sont les principaux impacts organisationnels ?

D’abord, le dépassement du fonctionnement en silos. L’organisation territoriale est encore très marquée par une logique de directions étanches, avec leurs habitudes et leurs langages propres. Or la transition écologique exige que tout le monde se parle, que l’on organise des espaces où ingénierie technique, finances, RH, urbanisme et élus se retrouvent pour construire des réponses intégrées. Ensuite, cela suppose de revoir les circuits de décision. La temporalité écologique n’est pas la même que celle du mandat politique. Les effets se mesurent parfois sur 10, 20 ou 30 ans. Comment articuler ces horizons de temps avec la demande d’actions visibles à court terme ? C’est un défi managérial majeur.

Vous évoquez souvent les métiers territoriaux : comment sont-ils transformés par cette transition ?

Il y a bien sûr de nouveaux métiers liés à l’ingénierie écologique, à l’énergie, à la gestion de l’eau, à la biodiversité. Mais l’essentiel réside dans la transformation de métiers existants. L’urbaniste, par exemple, on ne peut plus raisonner sans intégrer la sobriété foncière. Le directeur des services techniques doit penser résilience des infrastructures face aux canicules ou aux inondations. Même les fonctions support sont concernées : un directeur des ressources humaines doit anticiper les impacts de la transition sur les compétences, sur l’évolution des formations, et même sur les conditions de travail (exposition à la chaleur, prévention des risques). En réalité, il n’y a pas un métier de la transition écologique, mais une transition de tous les métiers.

Quelles résistances rencontrez-vous dans les collectivités ?

La première est structurelle : les silos. Ils rassurent, ils sécurisent, et beaucoup de managers y sont attachés. Mais ils freinent l’action. La deuxième est culturelle. Nous avons formé des générations d’agents et de cadres à l’expertise, à la maîtrise, à la prévisibilité. Or, avec le changement climatique, nous entrons dans l’incertitude, l’adaptation permanente, l’inconfort. Cela bouscule profondément les habitudes. Accepter de travailler sans certitude, dans un environnement mouvant, est un apprentissage difficile, mais indispensable. Enfin, il existe des résistances politiques : la transition écologique peut sembler abstraite ou trop lointaine à certains élus, qui privilégient d’autres urgences. Le rôle du DGS est alors de mettre en récit, de montrer que chaque action locale – une cantine, une voirie, un bâtiment public – est une pièce de ce grand puzzle.

Justement, quel rôle doit jouer le management dans cette mutation ?

Il est absolument central. On ne peut pas décréter la transition écologique d’en haut. Elle doit s’incarner dans la manière de manager. Cela veut dire : donner du sens, ouvrir des espaces de dialogue, autoriser l’expérimentation, et accompagner les agents dans l’acquisition de nouvelles compétences. Certaines collectivités ont mis en place des réseaux « d’ambassadeurs de la transition », agents volontaires qui relaient les initiatives, portent des projets concrets et diffusent une culture écologique au quotidien. Cela change l’organisation en profondeur : on ne parle plus d’injonctions descendantes, mais d’une dynamique collective.

Vous avez été DGS : comment ces réflexions se sont-elles traduites dans votre propre expérience ?

J’ai pu mesurer à quel point la transition écologique ne se pilote pas comme une politique classique. Il ne suffit pas d’écrire un plan climat ou de créer une direction dédiée. Si on n’embarque pas les agents, cela reste une coquille vide. Dans ma collectivité, nous avons organisé des séminaires d’équipes, des formations, des temps de travail transversaux. Le but était de montrer que chacun avait une responsabilité, quel que soit son poste. Cela passait aussi par la pédagogie auprès des élus, pour les aider à percevoir que la transition n’était pas une option, mais un cadre incontournable pour toutes les politiques. Ce que je retiens, c’est que l’essentiel se joue dans la culture interne : c’est en changeant les pratiques quotidiennes que l’on obtient des résultats.

Quels leviers les DGS peuvent-ils mobiliser pour accélérer cette transition ?

Trois me paraissent décisifs. D’abord, la formation. Les agents comme les cadres doivent acquérir de nouvelles compétences, mais aussi de nouvelles postures. Le CNFPT joue ici un rôle clé. Ensuite, la coopération. La transition écologique est un sujet collectif : il faut coopérer entre services, mais aussi entre collectivités, avec les associations, les entreprises, les habitants. Aucun acteur ne réussira seul. Enfin, le récit. Les DGS doivent être capables de donner envie, de transformer une contrainte en horizon mobilisateur. La transition écologique peut être vécue comme une menace, mais elle peut aussi être un formidable levier d’innovation et de sens.

Quelle serait votre recommandation prioritaire aux DGS et aux cadres territoriaux ?

Devenir de véritables chefs d’orchestre du changement. Cela veut dire accepter la complexité, dépasser les silos, faire dialoguer des logiques différentes, et surtout donner confiance aux équipes. La transition écologique est une épreuve, mais c’est aussi une chance : celle de redonner du souffle à l’action publique, de réinventer le service public autour de valeurs fortes.

Propos recueillis par Jérémy Paradis

Retrouvez cet entretien dans le dossier « Réinventer les RH à l’heure de la transition écologique » de WEKA Le Mag n° 23 – Septembre / Octobre 2025

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