« Comment concilier aspirations individuelles et intérêt général, modernisation et traditions locales, ambition environnementale et contraintes sociales ? La complexité de la transition écologique réside dans ces tensions ». En ouverture des Entretiens territoriaux de Strasbourg (ETS), organisés les 11 et 12 décembre derniers et ayant réuni plus de 1 500 participants, le nouveau président du CNFPT, Yohann Nédélec, n’a pas caché l’ampleur de la tâche pour cette édition intitulée « Innovons pour une transition écologique juste et partagée ». Et d’estimer, sans surprise, que « ces dilemmes se jouent à l’échelle des territoires et auxquels nous devons collectivement apporter des réponses ».
Pertinence de l’échelle locale
Les deux journées d’échanges des ETS ont bien montré, en effet, toute la pertinence de l’échelle locale. « Face aux défis immenses que pose la transition écologique, les collectivités locales occupent une place centrale, affirme Yohann Nédélec. Ce sont elles, au plus proche des réalités du terrain, qui incarnent l’échelon d’action le plus pertinent pour engager les transformations nécessaires, expérimenter des solutions et mobiliser les acteurs locaux. Si la transition climatique est un défi mondial, sa mise en œuvre est avant tout locale ».
Sur le même registre, Valentin Rabot, maire d’Achenheim (Bas-Rhin) et vice-président de l’Eurométropole de Strasbourg, estime que la « transition écologique nécessite de dépasser le simple partenariat technique pour prendre en compte les enjeux environnementaux mais aussi sociaux, économiques et de gouvernance ». « Les acteurs territoriaux, élus ou agents, doivent créer les conditions d’un futur désirable, dans le dialogue, non pas faire contre, mais faire avec, expliquer où on veut aller, pourquoi c’est important, en suscitant un maximum d’adhésion », insiste le président du CNFPT. Selon lui, il s’agit là de « la condition de la cohésion sociale, du vivre ensemble et de la sortie de l’individualisme dans lequel nous plongeons de plus en plus ». Un défi immense d’autant plus dans la période actuelle de fortes tensions budgétaires et d’instabilité.
Indispensable co-construction
« Les collectivités ne se contentent pas d’agir directement : elles jouent aussi un rôle de catalyseur en rassemblant les forces vives locales – citoyens, associations, entreprises, institutions de recherche – autour d’une vision commune ». Le message de Yohann Nédélec peut paraître un brin trop optimiste sachant que la co-construction et la participation de la population peinent bien souvent à se traduire dans les faits. Elle est pourtant plus nécessaire que jamais. « Nous sommes à un moment délicat car les questions de transition écologique deviennent clivantes », reconnaît Samuel Aubin, sociologue et directeur du Collège des transitions écologiques et sociétales (Pays-de-la-Loire). Et de rappeler qu’« avant d’être technique, le projet de transformation est social et politique afin d’embarquer les citoyens en co-construisant avec eux ».
Le partenariat, indispensable entre les différents acteurs publics et privés, doit aussi exister au sein même de la collectivité. Valentin Rabot, ancien DGS, défend ainsi pour « un management collectif de la transition écologique où élus et administration avancent main dans la main pour des actions concrètes ». La DGS du département de l’Isère, Séverine Battin, pense que « la gouvernance doit s’appuyer sur un DG sachant faire preuve d’humilité voire de vulnérabilité, et s’appuyer plus sur l’intelligence collective en écoutant plus les agents qui peuvent avoir la bonne idée ». Volontariste, France Burgy, la directrice générale du CNFPT, plaide pour « faire preuve de volonté, de persévérance et soutenir nos partenaires et nos collaborateurs pour être capable d’agir, même à une petite échelle, pour un avenir désirable ».
Comme chaque année, les ETS se sont partagés entre plénières, ateliers ou cas pratiques. Par exemple, l’atelier iTEEnéraire, programme de formation du CNFPT, a rappelé l’objectif de former 10 000 agents à la transition écologique d’ici 2026.
Construire des territoires durables et justes
« Tout ce que vous faites pour moi mais sans moi, vous le faites contre moi ». Cette belle citation de Gandhi, énoncée en conclusion d’une plénière, rappelle l’impérieuse nécessité d’associer la population, et en particulier les personnes les plus défavorisées. Avec pour objectif ambitieux de faire de la transition écologique un levier de justice sociale. « Elle ne sera réellement juste que si on prend en compte les savoirs d’expériences des plus pauvres, lance Marie-Aleth Grard, président de ATD Quart Monde. On ne peut laisser 10 millions de personnes précaires sur le bord de la route ».
Fabien Seguineau, DGS de Créteil (Val de Marne), abonde en rappelant que « les collectivités sont là pour ne laisser personne de côté » et en insistant pour « partir du quotidien des habitants ». « À Créteil qui compte 44 % de logements sociaux, l’enjeu est d’adapter le discours et les politiques publiques, affirme-t-il. Ces dernières doivent susciter de l’adhésion et répondre aux attentes de la population ». Soulignant l’enjeu d’associer décarbonation et pouvoir d’achat, il évoque la nécessité de développer une énergie moins chère en donnant l’exemple du réseau de chaleur urbaine de sa ville, qui existe depuis les années 80 et permet de chauffer 66 % des logements à des prix bien moindres. « Il s’agit d’un enjeu politique sur le temps long, explique le DGS. Certaines crises peuvent constituer des opportunités en montrant la pertinence du modèle économique, ainsi les deux dernières années de crise énergétique ont prouvé l’intérêt de notre démarche avec une énergie beaucoup moins chère fournie par le réseau de chaleur ». Alors qu’avant il fallait démarcher les copropriétés ou les bailleurs pour se raccorder, c’est eux à présent qui font la demande. « Aujourd’hui, tout le monde veut bénéficier du réseau de chaleur », se réjouit Fabien Seguineau.
Participation de la population
« La ZFE coupe la ville de Créteil en deux, d’un côté et de l’autre de l’A86, constate son DGS. Malgré toutes ses vertus dans la lutte contre la pollution de l’air, elle relève d’une logique d’exclusion et de frontières. C’est pour cela qu’il faut faire participer la population très en amont de la démarche ». Sabine Lavorel, professeure de droit public à l’université de Grenoble spécialisée en droit de l’environnement et du climat, ne dit pas autre chose en estimant que « la transition écologique ne sera juste que si elle est inclusive et anticipée ».
La chercheure défend la justice climatique qui passe notamment par la participation de l’ensemble des populations concernées, via des ateliers participatifs ou des conventions citoyennes locales. « Ces démarches visent à permettre à tout le monde de participer à l’élaboration des politiques publiques en formulant des attentes, défend-elle. Il faut trouver les bons mécanismes de consultation et de participation afin de les adapter aux populations que l’on veut cibler ». Elle insiste également sur la nécessité « d’anticipation dans les politiques publiques » qui passe par la planification. Et de préciser : « commencer à s’adapter dès maintenant permet d’engager le processus et surtout de réduire les coûts de l’adaptation pour plus tard ».
Tous les intervenants présents à Strasbourg s’accordent à reconnaître les vertus des démarches de conventions citoyennes locales pour le climat, en citant notamment l’exemple de Lyon. D’autant plus qu’il en existe deux, une engagée par la ville pour associer les agents municipaux – un atelier des ETS s’est penché sur cette démarche assez inédite – et une autre de la métropole s’appuyant sur les citoyens (lire encadré). Sabine Lavorel, également co-présidente du COMOP (comité opérationnel) de la convention citoyenne pour le climat de Grenoble Alpes Métropole, souligne l’importance de mettre en place un comité de suivi des travaux, « un gage de légitimité de la procédure de consultation ». « À la métropole de Grenoble, notre comité de suivi, associant les citoyens, se réunit depuis un an et reçoit les retours des services de la métropole sur le comment mettre en œuvre les 219 recommandations de la convention, détaille-t-elle. Il faut expliquer aux citoyens les recommandations mises en œuvre mais aussi celles qui n’ont pas pu l’être et pourquoi ».
Toutes les collectivités concernées
Les ETS ont aussi voulu donner un coup de projecteur sur les initiatives de plus petites collectivités, nombreuses mais moins souvent citées. Ainsi, la commune de Muttersholtz (Bas-Rhin), malgré ses 2 200 habitants, a réussi à être primée capitale française de la biodiversité en 2017 et labellisée territoire à énergie positive (TEPOS) en 2015. « Nous sommes engagés dans des trajectoires de transitions depuis longtemps, notamment avec des actions en faveur de la biodiversité, impulsées depuis une cinquantaine d’années avec la Maison de la nature », explique Julien Rodrigues, son secrétaire général qui s’attache à accompagner les projets de l’idée à la réalisation. « Pour mobiliser tout le monde dans une dynamique collective, nous avons plusieurs projets autour de la mise en récit de la transition de Muttersholtz », poursuit-il. Il s’agit notamment du nettoyage de printemps pour « aider la nature à retrouver sa splendeur », des initiatives de sensibilisation des enfants de la maternelle au collège ou encore d’un sentier pieds nus sur 1,5 km.
En conclusion des ETS, Belkacem Mehaddi, DGA du CNFPT et directeur de l’INET, a souligné l’importance de continuer à mobiliser et motiver les cadres territoriaux sur les enjeux de transition écologique. Rappelant une fois encore tout l’enjeu de la justice sociale, il a cité le colloque organisé par le CNFPT, les 4 et 5 mars à Rouen, sur la crise du vivre ensemble, les fractures institutionnelles et la défiance des citoyens en se posant la question « comment retrouver du commun et redonner confiance ? ».
Philippe Pottiée-Sperry
Deux conventions citoyennes locales à Lyon Inscrite dans le projet d’administration de la ville de Lyon, la convention citoyenne pour le climat des agents (3CA) a voulu co-construire une vision commune et partagée de la politique de transition écologique. Sensibiliser, écouter les agents, les engager et les accompagner dans les manières d’agir collectivement, tels ont été les objectifs de cette démarche inédite qui s’inscrit dans la démarche de neutralité climatique du territoire d’ici 2030. Créée en septembre 2023, elle a rassemblé 74 agents, tirés au sort. Au programme : six séances de sensibilisation à la transition écologique et quatre séances de production. Après un an de travaux, la 3CA a remis, le 17 septembre dernier, au maire de Lyon, Grégory Doucet, un livret de 17 propositions avec des actions concrètes dans tous les secteurs. Garant de la Convention citoyenne pour le climat au niveau national, Cyril Dion, coréalisateur du film « Demain », était présent. |