Jean-Marie Barbier : « Le gouvernement va instaurer un RSA Handicap »

Publié le 3 mai 2010 à 0h00 - par

Annoncée par le président de la République à l’occasion de la Conférence nationale du handicap du 10 juin 2008, la réforme de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) est en cours. Le gouvernement a dévoilé, le 7 avril 2010, un projet de décret. « Présenté en urgence, sans véritable concertation », ce texte a été vivement contesté par les associations du champ du handicap, dont l’Association des paralysés de France (APF). Depuis, le gouvernement a revu sa copie et l’entrée en vigueur de la réforme a été repoussée du 1er juin 2010 au 1er janvier 2011. Le projet de décret remanié a reçu l’avis favorable du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) le 27 avril. Le président de l’APF, Jean-Marie Barbier, nous explique les ressorts de cette réforme de l’AAH.

Lettre de l’Action sociale : Le gouvernement se targue de promouvoir une réforme en profondeur de l’AAH. En quoi consiste cette réforme ?

Jean-Marie Barbier : Le projet de décret du gouvernement vise à réformer l’allocation aux adultes handicapés (AAH) sur deux points. Le premier axe de la réforme consiste à mettre en place ce que j’appelle un « RSA Handicap », en facilitant le cumul entre l’AAH et les revenus du travail. Le deuxième axe porte sur la création d’une déclaration trimestrielle de ressources (DTR) permettant de déterminer le montant de l’AAH et censée rendre le système plus réactif aux évolutions des ressources des bénéficiaires suite à un changement de situation.

    LAS : Avec d’autres associations du secteur du handicap, l’APF a vivement contesté ces mesures. Pourquoi ?

    Jean-Marie Barbier :  Aujourd’hui, dans le cadre du RSA, aucun demandeur d’emploi reprenant une activité ne peut voir ses revenus diminuer. Or, en application du projet de décret, malgré les améliorations apportées aux règles de cumul entre AAH et revenu d’activité, la moitié des 80 000 personnes concernées par la réforme – soit, au total, 40 000 personnes – allaient perdre, en moyenne, 30 euros par mois ! Drôle de réforme ! Une telle situation n’était pas acceptable. Nous l’avons dit, avec véhémence, au gouvernement.

    LAS : Qu’en est-il de la déclaration trimestrielle de ressources ?

    Jean-Marie Barbier :  Le gouvernement va imposer à 80 000 bénéficiaires de l’AAH exerçant une activité professionnelle une déclaration trimestrielle – et non plus annuelle – des ressources (DTR). Je rappelle que, jusqu’à présent, cette allocation est versée par la CAF (ou la Mutualité sociale agricole) en fonction de la déclaration annuelle des ressources perçues deux ans avant, remplie par son bénéficiaire. Ce changement n’est pas applicable à compter du 1er juin, date d’entrée en vigueur initialement prévue par le gouvernement.

    D’une part, les CAF ne sont pas en mesure d’absorber, sur le terrain, un tel afflux de déclaration chaque trimestre. D’autre part, les personnes handicapées, qui font déjà face à d’innombrables demandes de justificatifs, n’auront pas le temps d’être suffisamment informées de cette nouvelle procédure. Beaucoup d’entre elles, au moins 20 % à 30 %, risquent donc de ne pas renvoyer cette DTR. Et cela ne sera pas sans conséquence pour elles.

    En effet, en cas de non-retour de la DTR dans les délais, le projet de décret prévoit que l’allocataire verra le montant de sa prestation réduit de moitié ! Un deuxième manquement se traduira par une suspension pure et simple du versement de l’AAH. Un tel système conduira inéluctablement à la dégradation des conditions d’existence des personnes qui sont souvent dans l’incapacité de faire face à l’ensemble des démarches administratives auxquelles elles sont soumises pour faire valoir leurs droits. Ce projet de réforme méconnaît la réalité de la situation des personnes, qui doivent surmonter quotidiennement d’innombrables obstacles administratifs pour l’exercice de leurs droits.

    LAS : Fin avril, le gouvernement a annoncé une révision de sa réforme de l’AAH. Qu’avez-vous obtenu ?

    Jean-Marie Barbier :  L’APF ne pouvait accepter que cette réforme conduise à diminuer le montant perçu par 50 % des personnes concernées. Nous avons donc fait feu de tout bois ! Nous avons obtenu la neutralisation de la perte de 30 euros par mois que le projet initial du gouvernement aurait entraînée. Pour quelque 40 000 allocataires, cela représente, au total, la somme de 14,4 millions d’euros.

    En outre, dans l’esprit du RSA, l’APF a demandé l’instauration d’un intéressement pour les travailleurs handicapés. À savoir :

    • 15 euros par mois pour ceux travaillant au moins un quart d’équivalent temps plein. Coût de la mesure : 3,6 millions d’euros ;
    • 30 euros par mois pour ceux travaillant au moins un demi-équivalent temps plein. Coût de la mesure : 7,2 millions d’euros.

    Le coût global de notre proposition s’élève donc à 10,8 millions d’euros. Ajoutés aux 14,4 millions de la neutralisation, cela représente un budget total de 25,2 millions d’euros, soit à peine 0,5 % – 0,48 % exactement – des 6 milliards d’euros consacrés chaque année à l’AAH. Néanmoins, nous n’avons pas obtenu gain de cause. Le gouvernement n’a pas retenu notre proposition.

    Pour la DTR, nous préconisons une période blanche, afin d’évaluer l’impact de la mesure. Il s’agirait d’une période test, sans application de pénalités. Au regard des difficultés des Caf pour mettre en place le dispositif, le gouvernement a juste consenti à repousser, du 1er juin 2010 au 1er janvier 2011, la date d’entrée en vigueur de la réforme. Il a simplement détendu l’élastique !

     Jean-Marie Barbier

    Jean-Marie Barbier préside l’Association des paralysés de France (APF) depuis le 24 mars 2007. Aussitôt élu, il déclare s’inscrire dans la continuité de l’action menée par l’APF jusqu’à aujourd’hui, notamment pour une politique transversale du handicap. Il entend rester très vigilant quant à l’application de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

    À 52 ans, marié et père de 3 enfants, cet ingénieur en informatique est handicapé de naissance, ce qui ne l’empêche pas de vivre de façon autonome.

    Il fait, très tôt, la connaissance de l’APF, au travers de séjours de vacances comme vacancier, puis comme animateur à 18 ans. Il encadre ainsi une dizaine de séjours de vacances jusqu’en 1983 où il devient salarié de l’APF. En 1987, à 29 ans, il intègre le conseil d’administration de l’association. Administrateur, trésorier adjoint (en 1991), puis trésorier (en 1997), il est désigné vice-président en 2000. Il a été président de la Commission des Délégations et du groupe Finances Ressources. Il a été en charge du suivi de la mise en œuvre du projet associatif 2000-2005, puis président du comité de pilotage du projet 2006-2011 « Acteur et citoyen ! », adopté au congrès de juin 2006.
    Jean-Marie Barbier représente ou a représenté l’APF dans plusieurs organismes : conseil de surveillance de la Cnaf, CCAH, CLAPEHAA, Uniopss, Handas, CNCPH (commission accessibilité).


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