Portraits d'acteurs

Mathilde Icard, Directrice générale du Centre de gestion de la Fonction Publique Territoriale du Nord et présidente de l’Association des DRH des grandes collectivités

Mathilde Icard

Directrice générale du Centre de gestion de la Fonction Publique Territoriale du Nord et présidente de l’Association des DRH des grandes collectivités

« L’engagement pour le service public, pour les territoires. L’engagement c’est une promesse, une promesse pour l’action publique qui nous guide au quotidien, qui permet de dépasser ses intérêts personnels, ses appréhensions, ses doutes. »

Quelles sont vos fonctions actuelles et quelles ont été les grandes étapes de votre parcours professionnel ?

Mathilde Icard : À l’origine, je suis une « juriste ». J’ai un DEA de droit public (2001, Université d’Aix-Marseille). L’année suivante, année de ma préparation des concours, j’étais chargée de Travaux Dirigés en droit public.

J’ai intégré l’INET suite au concours d’Administratrice territoriale en 2003. Première promotion, nommée Olympe de Gouges, composée à parité de femmes et d’hommes. De mémoire, j’étais la seule externe issue de la fac. Exception prouvant que c’était possible de réussir sans préparation officielle et sans avoir fait Sciences Po, mais j’étais très largement minoritaire !

Depuis ma sortie de l’INET en 2005, j’ai exercé dans plusieurs types de collectivités et, jusqu’à présent, toujours sur des fonctions ressources.

J’ai commencé à la Communauté urbaine de Bordeaux comme cheffe de projet auprès du DGA sur le Système d’Information des Ressources humaines. J’ai rapidement rejoint la région Poitou-Charentes (de 2006 à septembre 2011) comme conseillère technique auprès du DGS puis directrice des Ressources humaines. Ces années ont été très structurantes pour moi : une collectivité dynamique, laboratoire d’idées et d’actions, un rayonnement national, une « certaine » pression positive. Lorsque j’ai pris mon poste en 2008 comme DRH de la région, j’ai eu la chance de bénéficier du dispositif d’accompagnement pour les jeunes directeurs.rices qui était avant-gardiste, dans le public, pour l’époque. J’ai suivi un coaching à la prise de poste et un Certificat d'Enseignement Supérieur des Affaires (CESA-RH) délivré par HEC Paris. J’y ai côtoyé des enseignant.es passionnant.es, des DRH du secteur privé, leurs expériences en matière de GPEEC (souvent liées hélas à des restructurations) m’ont été très précieuses. C’est à ce moment-là que j’ai pris complètement conscience que les gestions des RH dans le privé et dans le public doivent être différentes. L’efficacité du service public ne se mesure pas de la même façon que celle du secteur privé.

J’ai ensuite rejoint le CNFPT (2011-2014) en qualité de directrice des Finances, du Contrôle de gestion et de l’Appui à l’organisation. Ma fonction, au siège de l’établissement, m’a permis de travailler avec l’ensemble des délégations régionales et instituts. Avoir pu contribuer au développement du service public de la formation pour la territoriale avec un projet ambitieux, aux côtés d’équipes engagées et très qualifiées, ce fut une grande fierté. Puis, direction le Nord, et retour aux RH en tant que DGA chargée des Ressources humaines à la ville de Lille (2014-2019) avec une vision des RH par le maire et le DGS partagée. Le niveau communal est très attachant, son ancrage, le rapport direct à la population, la collectivité qui vit 24h/24… et de très nombreux chantiers RH. Je suis partie transformée ! Au bout de cinq ans, une opportunité se présentait à moi, comme une suite logique de mon parcours : s’appuyer sur ce bel outil de mutualisation qu’est le centre de gestion pour servir les collectivités du territoire, anticiper leurs besoins, les accompagner.

Depuis mai 2019, je suis en effet directrice générale du Centre de gestion de la Fonction Publique Territoriale du Nord, établissement « ressources » au service des collectivités de moins de 350 agent.es, qui suit la carrière de plus de 25 000 agent.es, accompagne les collectivités en matière de prévention, pilote les instances paritaires, accompagne les transitions numériques…

Depuis mon entrée dans la fonction publique territoriale, je suis et contribue aux travaux de l’Association des DRH des grandes collectivités. Son réseau a toujours été pour moi un espace essentiel d’échanges et de réflexion. Je me retrouve dans sa vision constructive de la fonction RH, ses valeurs historiques de respect, de transparence et de responsabilité, pour ses combats en matière d’égalité professionnelle et de la prévention, la défense d’un statut de la fonction publique moderne, souple et en phase avec les fondamentaux inscrits dans la loi de 1983. En 2018, j’ai rejoint le bureau de l’Association comme vice-présidente. Cette période a été très intéressante et productive. Johan Theuret, qui présidait l’Association, a fait avancer de nombreux sujets. Puis, j’ai été élue présidente en septembre 2020 avec une équipe engagée et dynamique. Depuis, nous sommes très actif.ves : contributions aux réformes en cours, accompagnement des adhérent.es dans leur quotidien, structuration des partenariats…

Si vous deviez décrire votre métier actuel en 3 mots, quels seraient-ils ?

Mathilde Icard : Anticiper, innover, coopérer. Être en veille, observer et transformer en avançant, anticiper pour sécuriser l’établissement ; avec toujours une place pour le risque et l’innovation. Une organisation vivante est une organisation qui bouge, qui teste, qui tire les leçons des erreurs. Ce fil est d’autant plus important dans un établissement comme le centre de gestion, reconnu pour son expertise. Mes fonctions me conduisent à coopérer avec de nombreux acteurs institutionnels, je crois aussi profondément à la coopération en interne : coopérer autour d’un problème commun, dépasser les fonctionnements en silos et les seules logiques hiérarchiques. Les encadrant.es ont un rôle fondamental dans la coopération.

Quelles sont les qualités essentielles inhérentes à vos fonctions ?

Mathilde Icard : L’engagement pour le service public, pour les territoires. L’engagement c’est une promesse, une promesse pour l’action publique qui nous guide au quotidien, qui permet de dépasser ses intérêts personnels, ses appréhensions, ses doutes.

Qu’est-ce qui vous fait lever chaque matin ?

Mathilde Icard : Beaucoup de choses au niveau personnel. Et au niveau professionnel : l’engagement pour le service public, pour les territoires ! Je ne suis pas fonctionnaire et cadre dirigeante par hasard. Si je suis là aujourd’hui, c’est que je suis attachée à l’intérêt général. J’ai fait le choix de la fonction publique, du service public, car je pense qu’ils ont de l’avenir pour répondre aux besoins de la société.

Quel est le projet qui vous a le plus marquée et dont vous êtes le plus fière ?

Mathilde Icard : Puisqu’il faut choisir : les recherches-actions conduites avec le centre de recherche sur le travail et le développement du Conservatoire national des métiers à la ville de Lille ; l’une sur la prévention de la désinsertion professionnelle des agent.es malades avec les professeures Dominique Lhuilier et Anne-Marie Waser ; l’autre sur le dialogue professionnel sur la qualité du travail à la direction de la propreté publique avec le professeur Yves Clot et Antoine Bonnemain, maître de conférences. Ces actions ont mobilisé des centaines de personnes : encadrant.es, organisations syndicales, agent.es. Elles ont montré qu’un modèle basé sur les expériences de chacun.e et mettant le travail au cœur crée du collectif et renforce la santé des agent.es et donc des organisations. Je crois que WEKA avait fait une interview d’Antoine Bonnemain et de Jérémy Dedourge.

Avez-vous un rêve que vous souhaiteriez concrétiser ?

Mathilde Icard : C’est très personnel : faire un voyage avec mes enfants sur la trace de leurs origines familiales et qui nous amènera aussi bien en Italie, Algérie, Russie, qu’en Angleterre. Pour cette dernière destination, je vais attendre qu’ils grandissent, pour suivre le guide des « meilleurs pubs » anglais écrit par l’un de leurs arrières-grands oncles.

Quelles sont les rencontres qui vous ont le plus marquée dans votre carrière ?

Mathilde Icard : Elles se comptent par centaines : des représentant.es syndicaux, des agent.es d’Ehpad, de crèches, des Atsem, de la propreté, de cimetières… qui ont à cœur de bien faire leur travail et aussi des élu.es qui, avec leurs visions, ont réussi à faire décupler mon énergie, même dans les moments difficiles. Et, bien sûr, les directeurs généraux qui m’ont fait confiance. Jean-Luc Fulachier, DGS de la région Poitou-Charentes, qui a été un mentor pour moi. Il n’y a pas une semaine sans que je repense à ses conseils « l’air de rien », sans jugement, pour m’aider à progresser et à être prête à terme pour exercer des fonctions de direction générale… Vincent Potier, DGS du CNFPT pour ses qualités de gestion et les liens possibles, dans nos métiers, avec la recherche et Sandrine Jarry, DGA Finances et Moyens qui m’a fait confiance sur des secteurs nouveaux pour moi et m’a montré qu’il était possible de briser les plafonds de verre, et Michel Vayssié pour sa vision des relations humaines, ses approches systémiques et son goût pour l’agilité. Je dois beaucoup à ces personnes.

Quelle est votre citation préférée et pourquoi ?

Mathilde Icard : Ma première acquisition a été, en sortant de mes études, un collage d’un artiste français : une femme en tailleur de type Givenchy (j’admire Audrey Hepburn, pour son talent, ses combats) qui marche et une phrase sur ce collage « elle avance sans se creuser la tête davantage ». Cette citation est pour moi une sorte de contrepoint : avancer, c’est certain ; comprendre les organisations, les systèmes pour les transformer. Et « se creuser la tête » : c’est obligatoire ! Grâce à la littérature, aux arts, aux sciences, à la vie, à toutes les sources d’inspiration mais sans que cet effort soit bloquant et paralyse l’action.

Quels sont les deux changements les plus importants qui ont impacté votre carrière ? (sociétaux, institutionnels, humains…)

Mathilde Icard : Il y a plus de dix ans lorsque l’une de mes collaboratrices m’a fait découvrir la médiation professionnelle. Lors de mes différentes expériences, j’ai toujours veillé à mettre en place des dispositifs de médiation professionnelle. Il y a tant d’arrêts, de situations de souffrance pour des conflits non gérés. Notre culture est plutôt propice à étouffer. Reconnaître que les conflits font partie de la vie et donc de la vie professionnelle, c’est important. Charge aux employeurs de structurer la médiation pour accompagner les conflits impliquant l’intervention d’un tiers neutre.

Deuxième point : un choc qui s’est traduit par quelques instants d’extrême lassitude avant de me faire rebondir. Il y a quelques années, j’ai incité une femme qui était victime de violences sexistes à déposer plainte en parallèle des actions de l’employeur. Elle était réticente, déposer plainte c’était s’exposer, trahir la pression familiale et celle de certain.es collègues. Elle m’a dit « je suis seule dans ce combat ». Je lui ai dit ce que nous apprenons en formation : « la vérité vous protègera ». Et puis, j’ai reçu un appel du commissariat, d’un officier : « Madame Icard, j’ai reçu Madame X, elle souhaitait déposer plainte… je lui ai dit de ne pas le faire, ça va nuire à sa carrière, elle va avoir une étiquette toute sa vie, en plus il s’agit d’un chef qui est mis en cause… je pense que vous devriez plutôt lui proposer de changer de service ». Combien de situations similaires ? Comment dépasser ma réaction du « plus jamais ça ?» et en faire quelque chose de constructif. Cette situation, comme tant d’autres, donne l’énergie pour structurer les dispositifs de signalement et de prise en charge, pour contribuer à lever les silences et à qualifier les équipes pour traiter, accompagner et prévenir. Le chemin à parcourir en matière de lutte contre les violences est encore long mais je reste optimiste, ça bouge.

 

Propos recueillis par Hugues Perinel

Voir tous les portraits