« Les polices municipales sont aujourd’hui des acteurs incontournables du paysage policier »

Publié le 8 septembre 2011 à 0h00 - par

Rencontre avec Christophe Soullez, chef du département de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales au sein de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice et auteur avec Alain Bauer de Les politiques publiques de sécurité, PUF, QSJ, aôut 2011.

Weka : Le développement des polices municipales a-t-il permis de répondre correctement aux besoins sécuritaires ? Ce nouveau paysage des forces de l’ordre constitue-t-il une réponse pertinente face aux délinquances et criminalité d’aujourd’hui ?

Christophe Soullez : Il convient préalablement de rappeler que l’étatisation de la police n’est que très récente. Hormis quelques villes dont la police avait été étatisée auparavant (Marseille en 1908, Toulon en 1918, Nice en 1920, Strasbourg, Mulhouse et Metz en 1925, 174 communes de la Seine en 1935), c’est le régime de Vichy qui, par la loi du 23 avril 1941, a institué la police nationale dans toutes les communes de plus de 10 000 habitants. Il faudra aussi attendre la loi du 9 juillet 1966 pour voir naître la police nationale qui rassemble alors les personnels de la sûreté nationale et de la préfecture de police de Paris.

Au début des années 80, dans le contexte des lois de décentralisation, devant le développement du sentiment d’insécurité et l’aggravation de la petite et moyenne délinquance, de très nombreux maires ont pris l’initiative de créer des services de police municipale. Ceux-ci constituent une réponse visible et locale à la demande de sécurité exprimée par la population. Ils présentent en outre l’avantage de permettre aux élus de valoriser leur action, de témoigner du souci qu’ils portent à leurs administrés, tout en stigmatisant l’attentisme et l’inaction de l’État en ce domaine. Tant pour répondre à une forte demande de leurs concitoyens que pour pallier la baisse des effectifs de la police nationale, les élus locaux, plutôt que de rester inertes face à la situation, ont préféré mettre en place une police municipale. La création d’une police municipale est un des moyens de répondre aux aspirations légitimes des habitants en matière de sécurité. Elle constitue une réponse rapide, simple et visible et renforce l’image d’un maire qui se doit d’être présent, protecteur, informé et capable d’apporter des réponses.

Puis, cet essor des polices municipales s’est progressivement inscrit dans le cadre du partage des responsabilités entre l’État et les collectivités décentralisées. C’est ce qu’on a appelé en 1997, lors du colloque de Villepinte, la coproduction de sécurité. Deux ans après une loi, la première, fixant et encadrant les missions des polices municipales était adoptée (loi du 15 avril 1999).

Les polices municipales sont aujourd’hui des acteurs incontournables du « paysage policier ». Elles participent d’une meilleure visibilité de la force publique et assurent des missions de proximité, de surveillance ou de contact avec la population. Elles permettent également de décharger les effectifs des polices d’État de certaines tâches, comme la surveillance des manifestations municipales, afin de permettre à cette dernière de se concentrer sur son cœur de métier. Par ailleurs, suite aux compétences qui lui ont été dévolues par la loi du 15 avril 1999, elles contribuent à la prévention et à la répression de la délinquance routière.

Les polices municipales sont donc complémentaires des forces étatiques. Elles ne doivent pas entrer en concurrence avec la police ou la gendarmerie nationales mais, au contraire, s’insérer au mieux dans le dispositif local de prévention de la délinquance.
 

Weka : Y a-t-il des raisons de croire que cet accroissement du rôle des polices municipales va se poursuivre, ou a-t-on atteint un seuil ?

CS : Il est difficile de prévoir ce que sera l’avenir. Toutefois on note que, depuis 1999, le législateur a plutôt eu tendance à accroitre les compétences des polices municipales. Par ailleurs, dans un contexte de contraction des effectifs dans la police nationale, mais également face à une demande croissante de sécurité émanant de la population, il n’est pas inconcevable de penser que les missions des polices municipales risquent d’évoluer. Et ce d’autant plus que le rôle et la place des collectivités territoriales ne cessent de s’affirmer sur les questions de prévention de la délinquance.

Mais, dans ce cas, et ceci est apparu clairement lors des récents débats parlementaires sur la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI), il sera indispensable de fixer plus lisiblement la frontière entre les polices municipales et les forces étatiques. Il faut éviter le mélange des genres et une confusion dans les missions ou les compétences des deux organisations. C’est pourquoi, si on devait aller plus loin dans le rôle attribué aux polices municipales, nous n’échapperions pas à une réflexion plus large sur la place de la sécurité publique, sur la municipalisation éventuelle de celle-ci, ou encore sur la question de la qualification judiciaire des agents de police municipale.
 

Weka : Ce développement a entrainé une hausse des revendications des policiers municipaux, et de certains maires, en termes de valorisation de leurs missions, d’équipements (armes) et de rémunération. Sont-elles à vos yeux légitimes, et ont-elles des chances d’être entendues ?

CS : Dès lors que les compétences ou les missions de certains agents évoluent, et qu’il leur est demandé de s’impliquer d’avantage, ceci pouvant éventuellement renforcer les risques encourus, il n’est pas illégitime que ces mêmes agents, et leur autorité de tutelle, aspirent à une évolution parallèle de leur statut. Je pense que les pouvoirs législatif et exécutif sont plutôt sensibles à ces questions. Il n’en reste pas moins que nous vivons actuellement une période économiquement difficile et toute demande ayant des conséquences budgétaires importantes n’est pas évidente à satisfaire.
 

Weka : Le partage de la sécurité entre État et maires fait parfois débat, les deux échelons ne réussissant pas toujours à s’entendre sur ce thème. Quel rôle devront assurer les maires de demain en matière de sécurité ?

CS : Les maires sont, selon moi, amenés à jouer un rôle encore plus important en matière d’animation et de coordination des politiques locales de sécurité. Ils connaissent leur commune, sont les destinataires des principales revendications de leur population, et sont aujourd’hui au cœur de nombreux dispositifs de la politique de la Ville. C’est pourquoi ils doivent participer, aux côtés des structures de l’État, à la définition et au suivi des politiques locales de sécurité. Ils doivent pouvoir assurer une mission d’adaptation des orientations centrales au niveau local. Il est vrai qu’actuellement, notamment en matière de sécurité publique, nous sommes encore sur un schéma très centralisé et très hiérarchisé.

Si de nombreux efforts ont été réalisés ces dernières années en matière de coopération entre l’État et les communes – et aujourd’hui les commissaires de police ont pleinement conscience des relations de confiance et de collaboration qui doivent être créées avec le maire – il serait nécessaire de donner d’avantage de souplesse aux échelons locaux de la police afin qu’ils puissent s’adapter, en concertation avec le maire, à la réalité locale. Mais ceci doit aussi aller de pair avec une bien meilleure formation des élus locaux sur la sécurité.

 

Découvrez l’ouvrage Gérer un service de police municipale au quotidien publié aux Éditions Weka


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