14 mai 2025. Audition à l’Assemblée nationale de Mr. François Bayrou, Premier ministre, par les députés de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, dans le cadre de ses travaux d’enquête sur « les modalités du contrôle par l’État des violences dans les établissements scolaires », lancés après les révélations sur les violences physiques et sexuelles qui ont eu lieu au sein de l’établissement d’enseignement catholique sous contrat Notre-Dame de Bétharram.
Le Premier ministre, interpellé au sujet de la célèbre gifle qu’il a asséné à un jeune garçon lui faisant les poches, lors d’un déplacement à Strasbourg en 2002, analyse ainsi cet acte, quand bien même il le fait dans le cadre d’une commission sur les violences des adultes1 : « c’était une tape de père de famille », pas « quelque chose de brutal », un « geste éducatif ». Cherchant la connivence, il va jusqu’à demander aux député.es présent.e.s : « Si quelqu’un ici pense qu’il n’a jamais donné une tape à un enfant… je crois que beaucoup, s’ils sont honnêtes, pourront admettre qu’ils l’ont fait. Pour moi, ce n’est pas de la violence ». Il ajoute encore, ce qui ne manque pas de sel pour ce catholique fervent : « ce n’est pas conforme au canon, mais c’est la vérité de la vie ». Dans cette tribune, je choisirai de commenter ces déclarations sous trois angles : juridique, éducatif et socio-politique. Cela n’épuise en rien ce que je pense de cette audition…
Une faute contre le droit
Le droit français a interdit depuis longtemps le châtiment corporel à l’école – en 1803 – même s’il a fallu bien plus longtemps pour que cette interdiction s’applique. Elle a en particulier été répétée dans une circulaire de 1991. Beaucoup plus récente a été l’interdiction faite aux familles. Elle découlait pourtant de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, ratifiée par la France en 1989 et qui faisait obligation à l’État de « protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales ». Il faut croire que cela était insuffisant puisque la loi n° 2019-721 du 10 juillet 2019 relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires a encore précisé que l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. C’est entre autres la fameuse interdiction de la fessée. Bref, devant une commission parlementaire, sous serment, celui qui fut professeur et ministre de l’Éducation nationale, ministre de la Justice et à cette heure Premier ministre, prône une transgression de plusieurs textes de loi. On peut avoir voté contre ces textes (ce qui apparemment ne fut pas le cas…) mais qui est chargé d’appliquer la loi, en a le pouvoir exécutif ; peut-il en droit ne pas veiller à son application voire ne pas l’appliquer lui-même ? Est-il soutenable qu’il encourage à ne pas s’y conformer, par un tour de passe-passe sémantique où la gifle devient une simple « tape », ce qui ne change rien au fait qu’il s’agit de violence ?
Une faute contre l’éducation
D’un point de vue éducatif, il est lassant de répéter que des violences éducatives, même en apparence « légères », sont désormais considérées avec des preuves scientifiques solides comme ayant des conséquences psychologiques et sociétales importantes. Sans reprendre l’impressionnante littérature sur la question, je me contenterai de citer une vaste recherche portant sur 80 pays et qui démontre que dans les pays où les punitions corporelles sont interdites en toutes circonstances (à l’école et dans la famille), le taux de violence est inférieur de 31 % chez les jeunes hommes et de 58 % chez les jeunes femmes comparativement aux pays où l’interdiction n’est pas inscrite dans la loi2.
Des centaines d’études sur le style parental autoritaire – et particulièrement lorsqu’il se double de châtiment corporel – montrent combien il est associé au décrochage et à l’échec scolaire, mais aussi aux troubles du comportement et à la violence ultérieure dans un engrenage auquel il est souvent difficile d’échapper. Ce que Bourdieu appelait « la loi de conservation de la violence ». L’affaire Betharram montre aussi que certaines victimes, dont certaines ont le courage d’en témoigner maintenant3, sont devenues des bourreaux, dans le système pervers de surveillance par les « grands » élèves-surveillants mis en place de manière systémique.
Valeur éducative du « bon père de famille »
Cependant, quels que soient ces arguments rationnels, légaux et scientifiques, le politique qu’est François Bayrou n’a pas tort de chercher, non sans cynisme, la connivence sociale en banalisant la gifle. En l’affirmant dans une valeur éducative, celle du « bon père de famille ». Parce qu’il faut bien rappeler quelques chiffres et quelques blocages. Comment pourrait-il renoncer à la valeur de cette « tape » : elle lui a été électoralement fort bénéfique. Sa gifle lui avait fait gagner 13 % dans les sondages de popularité avant la présidentielle de 2002 et il avait du coup été jugé le plus crédible sur les problèmes d’insécurité juste après Jean-Pierre Chevènement, le ministre qui popularisa le terme de « sauvageons ».
Les images de l’époque4 montrent la persistance de sa pensée et de ses expressions. Ainsi au journal télévisé du 17 avril 2002, il déclare en justifiant son geste : « il y a un moment où il faut savoir dire stop. Et beaucoup, beaucoup, de Français ont l’impression depuis longtemps que plus personne ne peut dire stop ». Son discours politique du 13 avril 2002 : « c’est un geste éducatif simple… Un adulte doit faire son travail d’adulte en disant stop : c’est pas comme ça qu’on devient un homme ! ». Et enfin, le 18 avril 2002 : « tous les pères et mères de famille en font et ce n’est pas un geste méchant ».
Une idéologie violentogène
Soyons clair : il est dans l’air du temps, et encore en grande partie aujourd’hui. Premier exemple : à l’occasion d’un débat parlementaire sur l’interdiction de la fessée, un sondage IFOP de 2015 révélait que sept Français sur dix étaient défavorables à cette interdiction. Deuxième exemple : après la dernière enquête sur la question, donc après la loi d’interdiction, environ un parent sur quatre déclare fesser leur enfant, sans parler de toutes les autres violences ordinaires. Au « on ne peut plus rien dire » des masculinistes post-Metoo correspond fort bien en éducation le « on ne peut plus rien faire ». Le bon père de famille reste bien porteur de la violence du patriarcat qui soumet l’enfant à sa volonté. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’il ne faut pas savoir dire non : la violence physique n’est pas… un coup d’arrêt mais plutôt au contraire un modèle qui sera imité par qui en pâtit.
Il s’agit bien ici de la perpétuation d’une idéologie, qui n’est pas d’hier, mais est d’aujourd’hui et sera de demain, si le prurit répressif qui taraude actuellement la plus grande partie du monde politique et de l’opinion publique se confirme électoralement. Betharram, une preuve de plus du caractère mortifère de l’enfermement répressif – ici pourtant dans les classes sociales plus favorisées –.
Un combat qui reste urgent
Les solutions éducatives préconisées restent encore de « dresser » l’enfant, de redresser le fautif, de l’éloigner ou/et de l’enfermer. Ce sont les responsables politiques actuels, dont le gouvernement de François Bayrou qui prônent des centres éducatifs fermés, dispendieux, inefficaces, plutôt que des psychologues, des éducateurs et une véritable aide aux familles. Des places de prison, voire la « location » de places de prison, plutôt qu’une vraie politique de prévention. Et maintenant un « choc carcéral » pour les mineurs : encore une fausse solution qui fabriquera plus de crimes qu’elle n’en résoudra. Oui, Betharram ce n’est pas hier. L’abolition de la violence à enfant reste un combat urgent5, au politique et au quotidien.
Éric Debarbieux, Professeur honoraire de Sciences de l’Éducation à l’Université Paris Créteil
Dernier ouvrage paru : Zéro pointé ? Une histoire politique de la violence à l’école (Les Liens qui Libèrent, janvier 2025)
1. Le verbatim peut être vérifié sur le site de la chaine parlementaire LCP.
2. Il s’agit d’une recherche parue dans le British Medical Journal, consultable en ligne : Elgar, F. J., Donnelly, P. D., Michaelson, V., Gariépy, G., Riehm, K. E., Walsh, S. D., & Pickett, W. (2018). Corporal punishment bans and physical fighting in adolescents : an ecological study of 88 countries. BMJ open, 8(9), e021616. L’Observatoire International de la Violence à l’École a fait naguère un recensement de la littérature sur la question : Blaya, C., & Debarbieux, E. (2008). Expel violence ! A systematic review of interventions to prevent corporal punishment, sexual violence and bullying in schools. Bordeaux : International Observatory on Violence in Schools, 70.
3. Voir bien sûr certains des témoignages réunis dans le livre d’Alain Esquerre et Clémence Badault (2025). Le silence de Betharram. Éditions Michel Lafon.
4. Images exhumées dans l’émission télévisée Quotidien du 15 mai 2025 à 19h40.
5. Pour des solutions alternatives à l’école je me permets de renvoyer à l’ouvrage : Debarbieux, É. (2022). L’impasse de la punition à l’école – Des solutions alternatives en classe – 2e éd. : Armand Colin. Voir aussi pour une réflexion philosophique Geoffroy De Lagasnerie (2025) Par-delà le principe de répression, Dix leçons sur l’abolitionnisme pénal (Flammarion)