Comment jugez-vous la situation à l’approche des municipales de mars 2026 ?
Il y a urgence à reprendre en main son destin. Très agile, une commune n’est pas juste une collectivité mais aussi une communauté de vie avec des moyens et une légitimité démocratique permettant de faire plein de choses. Pour ne pas rester spectateur du local, cet outil universel est à la portée de chacune et chacun pour donner de son temps et s’engager au bénéfice du collectif. Avec aussi la charge particulière de représenter l’État dans ces petits bouts de la République comme aime à le dire Gérard Larcher, le président du Sénat.
Mon livre veut s’adresser aux 500 000 élus locaux potentiels. Nous avons plusieurs mois pour préparer et renouveler cette équipe de France des élus municipaux. Il faut en être aussi fier que de nos équipes de France de foot ou de volley. Je veux porter témoignage de ce que je capte dans le réseau des maires avec lequel j’ai la chance de travailler. La commune est le lieu de la considération de tous les citoyens. Malgré toutes leurs difficultés, 70 % des maires ont une très grande satisfaction d’exercer leur mandat, selon une étude de l’AMRF réalisée avec l’Observatoire Amarok, Ils arrivent à faire quotidiennement des petits miracles.
C’est ce constat qui vous a donné l’envie d’écrire votre livre ?
Oui car j’ai voulu réagir au récit trop souvent négatif sur les maires entre l’épuisement, les agressions, les démissions ou l’absence d’envie de se représenter. Malgré la réalité de leurs difficultés, j’observe avant tout l’énergie et le plaisir d’assumer leur fonction en faisant du collectif, en créant du commun et en impliquant la population. Avec une kyrielle de solutions et de micro-actions mises en œuvre à l’échelle communale tous les jours en lien avec les différents acteurs. C’est ça le plaisir concret d’exercer un mandat local qui constitue un moteur bien plus puissant que tous les freins liés aux complexités administratives ou à la conciliation des différents temps de vie.
On n’en parle pas dans les médias alors qu’il faudrait le rendre visible en expliquant aux citoyens qu’ils sont une partie de la solution en s’engageant et en participant. Le champ politique ne devrait pas se priver de cette dimension et de cette effervescence locale. Les maires ressentent l’état du pays et du corps social, une connaissance tellement utile dans la définition des politiques publiques. Au congrès de l’AMRF de 2018, trois mois avant le début des gilets jaunes, les maires évoquaient le risque d’insurrection. Ils avaient senti ce qui se passait mais personne ne les a écoutés. Ces capteurs constituent un trésor mais qu’on n’utilise pas. Derrière les discours flatteurs sur la commune, les actes et les moyens ne suivent pas. Il est regrettable que le mandat local et l’engagement communal ne soient pas plus valorisés.
Comment inciter à devenir conseiller municipal ?
Face à l’absence de réponses des équations politiques nationales successives, qu’elles soient exécutives ou législatives, je veux montrer que localement, la petite maille de la commune, ou même de l’intercommunalité, permet d’agir. J’invite donc les gens à pousser la porte de leur mairie pour savoir comment ça marche et se rendre utile. Il faut les outiller et développer leurs aptitudes à la négociation comme à la persévérance. Les maires doivent faire de cette période un moment d’éducation civique et de conscientisation de la place de la commune dans notre société. Disposer d’un maillage de 35 000 communes n’est pas un handicap mais une chance pour traiter des vrais sujets grâce à la proximité du dernier kilomètre. Même s’il ne peut pas tout faire, le maire a la capacité d’entendre, de parler, de réguler et d’être en interaction avec ses administrés.
Mon objet n’est pas d’avoir un propos artificiellement positif mais de montrer la chance d’avoir tous ces élus qui se révèlent dans un collectif. Aux lecteurs de mon livre, je leur dis que ces élus sont comme eux. Ils peuvent les connaître, parfois ils font partie de leur famille, de leurs amis ou de leurs voisins. S’ils le font, chacun peut le faire ! Les élus municipaux ressemblent bien plus à la société qu’un parlementaire et a fortiori un ministre.
Craignez-vous qu’il n’y ait pas assez de candidats pour le scrutin de 2026 ?
Cette inquiétude est assez fantasmée. En 2014 comme en 2020, il y a eu deux fois plus de candidats que de postes à pourvoir sur l’ensemble des communes, même s’il peut y avoir de grandes différences selon les cas. Il existe donc un intérêt pour la chose publique à l’échelon local. Il faut l’activer aujourd’hui à l’approche des élections en valorisant le parcours et l’expérience des élus sortants pas assez mis en avant. Hors des écrans-radar, ils font du commun, de manière anonyme, sans qu’on communique dessus. Ils vont rendre service à une personne ayant des problèmes de santé, organiser une fête pour les gamins, faire l’entrée ou la sortie de l’école quand l’Atsem est malade…
Les dispositions du CGCT [Code général des collectivités territoriales] sur le statut de l’élu doivent pouvoir être lues et comprises par un DRH ou un patron pour ne pas bloquer la disponibilité d’un élu salarié pour aller à une réunion par exemple en préfecture alors qu’il en avait le droit. Sur ce sujet, l’État doit également se mobiliser et faire œuvre pédagogique.
Votre idée est donc de favoriser l’engagement en montrant ses vertus ?
Oui, bien sûr, c’est « Engagez-vous » et pour cela on vous donne des clés. Allez voir de quoi il s’agit avec le maire et l’équipe municipale, donnez-vous le temps de la réflexion, de peser le pour et le contre. Échangez avec vos proches comme avec votre employeur pour qu’il comprenne tout l’intérêt de votre envie d’engagement. Il faudrait inverser la logique, en créant, par exemple, un label d’entreprise citoyenne traduisant leur fierté d’avoir un maire ou un adjoint dans ses effectifs et de ne pas les mettre de côté pour avoir été absent une demi-journée dans la semaine. Être élu doit constituer un plus dans son CV et un plus pour l’entreprise dans laquelle il travaille. Cela participerait à l’encouragement et à la reconnaissance des élus.
Toutes les initiatives permettant de partager cet enthousiasme et de dresser un message positif sont utiles. Les prochains mois doivent constituer un temps de formation, de découverte, de curiosités, de partage avec les élus. Le travail sur la passation est important. Le scrutin municipal est connu de tous : il faut donc en faire un enjeu démocratique global à l’échelle des villes, des villages et des quartiers. Le plaisir d’être en interaction les uns avec les autres conduira à l’engagement communal. Cela prend tout son sens car la commune se caractérise par la proximité, l’implication collective et la légitimité démocratique. En agissant au nom de la République et de l’intérêt général, cela donne ce fameux « être un peu plus que soi » !
Vous parlez du rôle de médiateur et de facilitateur des élus municipaux. Qu’entendez-vous par là ?
Ces deux ou trois dernières années, en tant que directeur de l’AMRF, je n’ai jamais été autant saisi par de grandes structures publiques et parapubliques ou de grands réseaux comme la MSA ou l’Agirc-Arrco. Par exemple, avec l’Agirc-Arrco, nous avons mené une expérience dans une commune de la Nièvre ayant permis de toucher 150 personnes, en une journée, pour faire leur bilan de retraite. Ces organismes s’adressent aux communes comme intermédiaire pour mieux toucher les personnes. Le partenaire de l’itinérance est par excellence la mairie. L’importance du non-recours s’explique notamment par une dématérialisation de plus en plus importante.
Là aussi, j’invite les citoyens à s’investir car, en tant qu’élus municipaux, ils pourront être des médiateurs et des facilitateurs. Ce message s’adresse en particulier aux jeunes qui, contrairement aux idées reçues, s’engagent mais dans des ONG ou sur des sujets de transition écologique. Je les appelle à s’engager dans les communes car c’est là qu’ils pourront concrétiser les enjeux de transition.
Quel sera l’impact du scrutin de liste paritaire dans les communes de moins de 1 000 habitants ?
Il va permettre aux candidats de définir un projet et d’avoir un message de clarté au moment de l’élection vis-à-vis de la population. Ils auront les coudées franches avec une majorité, ce qui ne signifie pas une politisation comme on l’a entendu dire. Cela consolidera le maire et lui permettra de donner la direction et les engagements de la commune sur des enjeux majeurs comme la transition écologique. Cela facilitera aussi la démocratie du quotidien avec plus d’implication sur des projets concrets. Durant les dernières crises, les maires ont constitué une soupape de la République, en jouant ce rôle d’apaisement, de concorde, de cohésion territoriale et de vivre ensemble.
Par ailleurs, en milieu rural, les élus jouent un rôle de lanceur d’alerte. Il faut renégocier un contrat avec l’État pour redonner aux communes plus de latitude, de liberté et d’autonomie.
Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry

