La mobilité bloquée des enseignants, frein à l’attractivité du métier

Publié le 9 septembre 2022 à 13h54 - par

Des enseignants qui attendent une mutation depuis des années sans perspectives, et parfois jettent l’éponge : ces témoignages se multiplient alors que le système de mobilité dans l’Éducation nationale s’est peu à peu grippé, participant à la crise d’attractivité du métier.

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« Ça faisait dix ans que je demandais une mutation pour retourner en Bretagne. Ça m’a toujours été refusé », raconte Laure, enseignante pendant 14 ans dans l’académie de Versailles, qui a fini par démissionner. « Au début, je m’étais dit qu’en cinq à dix ans, j’arriverais à avoir ma mutation. Mais là, je n’avais plus de perspective », ajoute-t-elle. Sans motif tel que le rapprochement de conjoint, elle était loin d’être prioritaire.

Comme elle, beaucoup d’enseignants n’arrivent pas à bénéficier du système de mobilité dans l’Éducation nationale, qui fonctionne avec un barème de points. Certaines régions sont très demandées, comme la côte atlantique, la Bretagne ou le Sud et d’autres attirent peu comme l’Île-de-France, et en particulier les académies de Créteil et Versailles où les conditions du métier difficiles, la cherté de la vie et la pénurie de personnel agissent comme un repoussoir. Ces académies sont particulièrement touchées par la crise d’attractivité du métier, qui s’est traduite cette année par des difficultés inédites de recrutement d’enseignants, avec plus de 4 000 postes non pourvus aux concours dans le pays.

Des enseignants expriment leur ras-le-bol. Parmi eux, William Lafleur, alias « Monsieur le prof », enseignant d’anglais très suivi sur les réseaux sociaux, a annoncé sa volonté de démissionner, notamment pour ces raisons de mobilité. « J’en ai ma claque », dit-il. Lui aussi voulait retourner en Bretagne. Après huit ans en région parisienne, il a obtenu l’académie de Toulouse, où il est redevenu remplaçant. Quant à la Bretagne, « même si je l’obtiens, je serai envoyé à faire des remplacements », explique-t-il. « Je ne pensais pas que ça prendrait autant de temps de revenir, et si je revenais, que ce serait dans des conditions aussi déplorables ».

Le constat est clair : « on observe une dégradation des conditions de mobilité » depuis « une dizaine d’années », résume Élisabeth Allain-Moreno, secrétaire nationale du SE-Unsa chargée de la carrière des personnels.

Verrouillage

Pour les professeurs des écoles, affectés dans l’académie où ils passent le concours, le taux de satisfaction des demandes de mutations inter-départementales « s’est érodé de façon progressive sur les dernières années », passant à 23,3 % en 2020 et 21 % en 2021, détaille-t-elle (20,4 % en 2022 selon le ministère). Dans le second degré, où le concours est national et l’affectation aussi, « la sclérose est moindre, avec des taux aux alentours de 42 % en 2021 » (43,3 % en 2022), mais de grosses différences entre disciplines, poursuit-elle. « On peut se retrouver avec 70 % de satisfaits en maths et 5 % sur une matière en lycée professionnel ».

La médiatrice de l’Éducation nationale a mis l’accent sur ce problème dans un rapport fin juillet 2022, demandant des améliorations.

Les causes de cette sclérose sont multiples. Pour Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, premier syndicat du secondaire, « le mouvement est de plus en plus bloqué parce qu’il y a eu des suppressions de postes », ce qui fait « autant de supports en moins pour accueillir les gens ».

Davantage d’enseignants essaient aussi d’améliorer leur « équilibre vie professionnelle – vie personnelle » et « l’Île-de-France a été beaucoup fuie » après la crise sanitaire, ce qui « crée du verrouillage », souligne Élisabeth Allain-Moreno. Pour Stéphane Crochet, secrétaire général du SE-Unsa, « l’Île-de-France est un nœud pour l’ensemble du système éducatif », car il est devenu plus difficile qu’avant d’en sortir. Dans le premier degré, quand on y est, « on n’obtient pas sa mutation », ce qui « n’était pas le cas il y a 15 ans », dit-il. Et dans le second degré, où les débutants y sont souvent affectés, « le fait de devoir y passer est dissuasif, notamment pour les profils de seconde carrière », des personnes qui ont souvent une famille.

C’est le cas pour Gérard, prof de sciences et techniques médico-sociales après une reconversion. Il a été affecté dans l’académie de Créteil, alors qu’il vit avec sa famille à Marseille. Sa femme, elle, l’a été dans celle de Grenoble. « Si aucun de nous deux n’arrive dans le Sud, on abandonnera notre poste », dit-il.

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