Inscrite à l’article 72-2 de la Constitution, l’autonomie financière des collectivités, telle qu’entendue et mesurée actuellement, existe-t-elle réellement ?
L’autonomie renvoie par nature à une faculté d’agir librement, à la possibilité de déterminer ses choix et ses priorités. Or, l’« autonomie financière » telle qu’elle a été constitutionnalisée en 2003 et précisée par la loi organique du 29 juillet 2004, ne protège nullement la libre administration des collectivités territoriales. Elle est assise sur un critère comptable inutile : la proportion de ressources dites « propres » dans l’ensemble des ressources des collectivités. Ainsi, plus la part des ressources fiscales est élevée, plus la collectivité est réputée autonome.
Mais cette approche est illusoire : dans les faits, ces ressources prétendument propres servent avant tout à financer des dépenses imposées par l’État. L’autonomie ainsi mesurée n’est donc qu’une fiction statistique : les collectivités paraissent libres parce qu’elles financent elles-mêmes leurs charges, alors même qu’elles n’en déterminent ni l’existence ni l’ampleur. Il y a donc confusion entre capacité d’agir et liberté d’agir. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter le dernier rapport sur l’autonomie financière des collectivités territoriales et d’effectuer de simples calculs. En 20 ans, l’autonomie financière des communes a augmenté de 11,7 points, celle des départements de 15,5 points et celle des régions de 29,9 points ! Pourtant, aucun élu ne soutiendra que sa liberté d’action s’est accrue dans de telles proportions au cours de cette période. La plupart d’entre eux, au contraire, affirment que cette liberté ne cesse de décroître.
Alors que les collectivités sont confrontées à une contraction de leur budget, en quoi une hausse de l’autonomie fiscale ne résout-elle pas la contrainte structurelle pesant sur ces budgets locaux ?
Un courant largement majoritaire parmi les élus locaux continue de revendiquer une autonomie fiscale, estimant qu’elle garantirait enfin la libre administration des collectivités territoriales.
Or, cette revendication constitue à la fois un leurre et un piège. Un leurre, car bénéficier d’un pouvoir accru sur les ressources ne signifie pas disposer d’une réelle liberté dans la définition des politiques publiques locales. En effet, l’État demeure libre d’accroître les charges qu’il leur impose sans en assurer la juste compensation. Et un piège car les élus locaux deviendraient alors les comptables d’une politique fiscale contrainte, devant assumer devant leurs électeurs des hausses d’impôts qui s’imposent à eux pour financer des politiques décidées à Paris.
Existe-t-il des solutions aux difficultés financières des collectivités ? Peut-on imaginer un mécanisme opérationnel qui permettrait de garantir des marges locales ?
Il ne peut y avoir de libre administration des collectivités territoriales sans protection effective de leurs marges de manœuvre locales. Le prochain acte de décentralisation devra placer cette exigence au cœur de la réforme, faute de quoi celle-ci restera stérile. Il faut permettre aux élus locaux, dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées, de décider eux-mêmes d’une part de leurs dépenses. Je défends ainsi l’idée d’une réforme de l’autonomie financière qui consisterait à identifier, pour chaque collectivité, la part de ses dépenses imposées par l’État et à garantir parallèlement, selon un taux fixé par le législateur organique après un nécessaire débat national, une somme minimale laissée à leur libre disposition. La véritable autonomie des collectivités ne réside pas dans la capacité de lever l’impôt, mais dans la possibilité de choisir, en toute responsabilité, l’affectation d’une part significative de leurs moyens financiers.
Propos recueillis par Claire Demunck
