Analyse des spécialistes / Administration

Fermeture des stations de ski : décryptage d’une interdiction qui passe mal

Publié le 14 décembre 2020 à 13h16 - par

Deux semaines après l’annonce du gouvernement, le Conseil d’État confirme la fermeture des remontées mécaniques à Noël. Mais qu’en est-il des stations de ski ?

Fermeture des stations de ski : décryptage d’une interdiction qui passe mal

L’interdiction d’ouverture au public des remontées mécaniques

Alors qu’à l’approche des vacances de Noël, les professionnels de la Montagne préparaient, l’accueil des usagers dans le respect du protocole sanitaire, le 26 novembre 2020, le Premier ministre, Jean Castex annonçait que les remontées mécaniques ne pourraient pas ré-ouvrir avant janvier 2021 compte tenu du « flux très important de population » et eu égard à la nature des activités « susceptibles de solliciter les services hospitaliers ».

Malgré la mobilisation très importante des professionnels de ce secteur, le décret n° 2020-1519 du 4 décembre 2020 modifiant le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, a interdit l’ouverture au public des remontées mécaniques à l’exception des usagers suivants :

  • les professionnels dans l’exercice de leur activité ;
  • les personnes autorisées à pratiquer une activité sportive en application des deuxième et cinquième alinéas du II de l’article 42 ;
  • les pratiquants mineurs licenciés au sein d’une association sportive affiliée à la Fédération française de ski.

Il convient de préciser que sont visés par les remontées mécaniques : « tous les appareils de transports publics de personnes par chemin de fer funiculaire ou à crémaillère, par téléphérique, par téléskis ou par tout autre engin utilisant des câbles porteurs ou tracteurs » (art. L. 342-7 du Code du tourisme).

Mal vécue par les professionnels de la Montagne directement impactés par la perte de chiffre d’affaires, cette interdiction est également incomprise des vacanciers et des usagers en général.

Comment l’État peut à la fois justifier l’ouverture des établissements recevant du public tels que les centres commerciaux, lieux clos et susceptibles de connaître un afflux important de personnes en période de fêtes, et interdire la pratique du ski, loisir s’exerçant à l’extérieur dans les très vastes montagnes françaises ?

La motivation du Conseil d’État pour justifier l’absence d’atteinte grave et manifeste à une liberté fondamentale est, sur ce point, assez générique et n’apporte pas d’éclairage particulier sur le risque de contamination dans la pratique du ski alpin.

2. L’absence d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale

Malgré les effets économiques très importants pour les zones concernées, le Conseil d’État a relevé que l’épidémie de Covid-19 se maintient à un niveau élevé, ce qui crée une forte pression sur le système de santé, notamment dans les régions où se pratiquent les sports d’hiver. Le Conseil d’État ajoute que la mesure est justifiée par la nécessité d’éviter un rebond de l’épidémie, rappelant également que de nouvelles contaminations ont été enregistrées ces derniers jours.

Le Conseil d’État a donc considéré que la mesure contestée, qui a pour objectif de limiter les contaminations supplémentaires occasionnées par des flux importants de déplacements, ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés invoquées par les requérants, et notamment à la liberté d’entreprendre.

La motivation désormais bien connue du Conseil d’État est la même que celle utilisée dans les décisions ayant rejeté le recours des restaurateurs, libraires et exploitants de salles de sport.

Sans le dire expressément, le Conseil d’État applique le principe de précaution et se garde bien de trancher la question de l’inégalité de traitement entre les différents secteurs d’activité.

3. La fréquentation des stations de ski : quelles contraintes pour les collectivités ?

Si les remontées mécaniques resteront donc fermées à Noël, les stations de Montagne resteront ouvertes, tout comme certaines activités accessoires telles que le ski de fond, la randonnée en Montagne, chien de traineaux, etc… Car en effet, le décret n’interdit ni l’ouverture des hôtels en Montagne, ni l’exploitation des autres activités ne nécessitant pas l’utilisation des remontées mécaniques.

Jean Castex indiquait d’ailleurs que malgré la fermeture des remontées mécaniques, les usagers pourront se rendre sur ces stations « pour profiter de l’air pur » de la montagne et y « faire des achats ».

Ce faisant, l’accès des stations de ski à tous les usagers est loin d’être un cadeau pour les collectivités qui devront d’une part, être en mesure d’accueillir les usagers (moins nombreux) souhaitant passer des vacances dans les stations de ski, d’autre part, assurer la sécurité et l’entretien des pistes et des remontées mécaniques partiellement utilisés pour les exceptions visées au décret.

Les collectivités de Montagne devront donc mettre en œuvre les mesures permettant un niveau d’accueil et de sécurité optimal de leurs stations de ski tout en étant privées des revenus escomptés de l’exploitation des remontées mécaniques.

Pas sûre que le bilan coût/avantage d’une fréquentation en demi-teinte des stations de ski soit favorable aux collectivités de Montagne.

L’enjeu prioritaire des élus et professionnels de la Montagne est désormais celui de la réparation de leurs préjudices financiers. Ils devront, pour ce faire, exercer un recours indemnitaire contre l’État.

Ombeline Soulier Dugénie, Avocate au barreau de Paris, Cabinet Redlink

Auteur :

Ombeline Soulier Dugénie

Ombeline Soulier Dugénie

Avocate au barreau de Paris, Cabinet Redlink


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