Dans un rapport paru le 2 octobre 2024, la Cour des comptes suggère qu’un retour progressif des effectifs des collectivités à leur niveau du début des années 2010, soit une réduction de 100 000 emplois ou de 5,5 % des emplois, permettrait de réaliser une économie importante, estimée par la Cour à 4,1 Md€ par an à partir de 2030. Le 8 mars 2024, M. Gabriel Attal, alors Premier ministre, avait demandé à la Cour de présenter un ensemble de mesures afin que les collectivités locales contribuent au redressement des finances publiques.
Le 22 juillet 2024, la Cour des comptes avait produit un premier rapport dans lequel elle avait constaté « qu’après une année 2022 très favorable, l’année 2023 avait été marquée par une détérioration globale de la situation financière des collectivités locales »1.
Le 2 octobre 2024, la Cour des comptes a souligné que le déficit global des collectivités locale risque fortement de s’accroître en 2024, en raison de dépenses importantes. Ainsi, la Cour estime que les « objectifs de la loi de programmation des finances publiques 2023-2027 ne seront pas atteints en 2024 et deviennent de plus en plus hypothétiques »2. La Cour des comptes propose donc que : « les dépenses de personnel, qui représentent un quart des dépenses des collectivités, connaissent une croissance soutenue, majoritairement portée par le « bloc communal ». Alors que les effectifs ont beaucoup augmenté jusqu’à récemment, malgré l’absence de nouveaux transferts de compétences, la maîtrise de leur évolution est un enjeu central. Un retour progressif des effectifs des collectivités à leur niveau du début des années 2010, soit une réduction de 100 000 emplois ou de 5,5 % des emplois, permettrait de réaliser une économie importante, estimée par la Cour à 4,1 Md€ par an à partir de 2030. En outre, une plus large application de la durée légale du travail pourrait permettre de dégager 1,3 Md€ d’économies par an. La réduction de l’absentéisme contribuerait aussi à réduire les coûts de fonctionnement »3.
Ce rapport a suscité de vives émotions chez les élus locaux. Par exemple, l’Association des Maires de France a souligné que : « contrairement à ce que soutient la Cour, il n’y a eu aucune augmentation significative des dépenses de personnel des communes et intercommunalités, qui découlerait d’une mauvaise gestion des collectivités. En effet, déduction faite de l’inflation, ces dépenses ne progressent que de 0,4 % par an en moyenne. Il est également faux de soutenir que les communes et intercommunalités n’assument aucune compétence nouvelle : il y a eu de nombreux transferts de charges de l’État vers les collectivités qui n’ont fait l’objet d’aucune compensation »4.
La question de fond est de savoir dans quelle mesure les collectivités locales peuvent-elles contribuer à l’amélioration de la situation des finances publiques, compte tenu de la libre administration et de leur autonomie financière ?
1. Les principes de libre administration et d’autonomie financière des collectivités locales s’opposent à imposer aux collectivités locales des suppressions d’emplois
Premièrement, l’effort demandé aux collectivités locales doit respecter aussi les principes constitutionnels qui leur sont appliqués. En effet, non seulement l’alinéa 13 de l’article 34 de la Constitution dispose que : « la loi détermine les principes fondamentaux […] de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ». Mais, le 3e alinéa de l’article 72 précise que « dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences ».
Secondement, en corolaire, de cette libre administration, les collectivités locales ont une autonomie financière définie à l’article 72-2 de la Constitution5. Selon Loïc Philip, le Conseil constitutionnel refuse « à reconnaître un pouvoir absolu au législateur dans la mesure où il répète inlassablement que celui-ci ne peut prendre de mesures ayant pour effet d’entraver la libre administration des collectivités territoriales. Ainsi, il lui est interdit de prendre des dispositions conduisant à la suppression d’attributions effectives, par exemple, priver les collectivités de leur liberté en matière de création ou suppression d’emplois et de gestion de personnel, ou réduire de manière excessive leurs ressources »6.
2. Néanmoins, il y a une nécessité à ce que les collectivités locales participent à l’amélioration de la situation des finances publiques
Premièrement, l’autonomie financière ne rime pas avec une autonomie fiscale des collectivités locales. Il ne faut pas oublier qu’une partie de leurs ressources proviennent de dotations de l’État, notamment pour compenser les transferts de compétences. Les ressources pour rémunérer les agents publics proviennent notamment de la dotation globale de fonctionnement (DGF).
Secondement, les dépenses des administrations publiques locales (APUL) représentent près de 18 % du total des dépenses publiques7. Il apparait important que les collectivités locales contribuent également à améliorer la situation des finances publiques, tout en continuant à pouvoir bien exercer les compétences transférées par l’État et offrir un service public de qualité. Cela passe aussi par une réflexion des élus locaux sur la manière d’utiliser les deniers publics, notamment pour la gestion des départs à la retraite d’agents et pour les créations de poste, sans perdre de vue l’intérêt général.
L’effort d’amélioration de la situation finances publiques nécessite une solidarité nationale, mais celle-ci ne doit pas se faire au détriment de l’intérêt général et de la qualité des services publics.
Dominique Volut, Avocat-Médiateur au barreau de Paris, Docteur en droit public
1. Les finances publiques locales 2024 – Fascicule 1, Cour des comptes, juillet 2024 (dernière consultation le 3 octobre 2024).
2. Les finances publiques locales 2024 – Fascicule 2, Cour des comptes, juillet 2024 (dernière consultation le 3 octobre 2024).
3. Ibidem.
4. Rapport sur les finances locales : la Cour des comptes se trompe d’approche, Communiqué de l’AMF, 2 octobre 2024.
5. Article 72-2 de la Constitution : « Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi. Elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l’assiette et le taux dans les limites qu’elle détermine. Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en œuvre. Tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi. La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales ».
6. L’autonomie financière des collectivités territoriales, Loïc Philip – Professeur émérite à l’Université d’Aix-Marseille III, Conseil constitutionnel (dernière consultation le 3 octobre 2024).
7. Situation financière des collectivités du bloc local, Note de conjoncture, Intercommunalités de France, avril 2024 (dernière consultation le 3 octobre 2024).