“Révéler des propriétés invisibles des politiques publiques locales”

Publiée le 15 février 2023 à 9h40 - par

Entretien avec Nicolas Maisetti, Directeur du Programme POPSU Transitions.
Nicolas Maisetti, Directeur du Programme POPSU Transitions

Qu’est-ce que le programme POPSU ? En quoi peut-il, en quelques mots, présenter un intérêt pour le développement futur des territoires ?

La Plateforme d’Observation des Projets et Stratégies Urbaines (POPSU) déploie depuis 2004 des programmes de recherche-action qui rassemblent les savoirs scientifiques et l’expertise opérationnelle pour positionner la recherche au service de l’action publique locale et nationale. Concrètement, POPSU met en place des recherches visant à éclairer l’action des décideurs en organisant un dialogue entre chercheurs et élus. Ceux-ci définissent ensemble les questions qui font l’objet d’une analyse partagée. Outre la mise en dialogue, POPSU assure la valorisation des recherches à travers le soutien à la publication d’ouvrages, à la diffusion des travaux dans divers supports (audio, vidéos…) et le relai auprès des médias et du grand public.

Aujourd’hui, POPSU déploie trois programmes sur ce modèle : POPSU Territoires sur les petites villes et les ruralités qui lance une 4e session cet hiver, POPSU Métropoles sur les grandes villes et qui est en train de se clôturer, et POPSU Transitions qui se lance au cours du premier semestre 2023.

Au total, ces programmes réunissent près de 2 000 professionnels de la ville et des territoires, sur 25 grandes villes et 50 petites villes, environ 400 chercheurs (sociologues, géographes, urbanistes, architectes) appartenant à 70 établissements ou unités de recherche.

En résumé, la méthode POPSU et ses objectifs, c’est :

  • Produire de la connaissance sur les territoires (des ruralités de faible densité aux espaces métropolitains), leurs mutations, leurs trajectoires, à des fins d’action,
  • Intensifier les liens entre élus, praticiens et chercheurs,
  • S’appuyer sur des études de cas par l’approche monographique pour en dégager des cas d’école à travers l’ouverture de fenêtres comparatives,
  • Valoriser et diffuser les résultats tirés des projets de recherche auprès des décideurs, dans les médias et à destination du grand public.

Ce genre de programme a un coût pour les administrations locales qui peut constituer un frein pour elles au moment où l’effet ciseau sur leurs finances s’accentue. Des financements complémentaires sont-ils prévus par l’État ?

Nous distinguons ici le programme sur les ruralités, POPSU Territoires, et celui sur les grandes agglomérations, hier POPSU Métropoles, demain POPSU Transitions.

POPSU Territoires ne représente aucun coût pour les municipalités partenaires. Au contraire, cela représente pour elles, un avantage important, en matière de travail de recherche (qui n’est pas celui d’un bureau d’étude !) visant à objectiver des situations locales, diagnostiquer des difficultés ou valoriser des atouts. POPSU Territoires bénéficie d’un soutien très important au sein de l’administration centrale, notamment du programme Petites villes de demain opérés par l’Agence nationale de la cohésion des territoires. La Banque des Territoires, le Réseau rural Français, le Commissariat du Massif Central, l’Institut CDC pour la Recherche contribuent également à POPSU Territoires.

Les programmes POPSU Métropoles et Transitions qui s’adressent à des institutions publiques locales dotées de ressources en ingénierie plus importants sont financés à parité par la sphère État et les collectivités. Le coût de chaque plateforme de recherche-action de POPSU Métropoles représentait 100 000 euros, soit 50 000 euros pour la collectivité. Sur trois ans, le coût annuel est donc limité pour bénéficier d’une analyse menée par la recherche scientifique. Du côté de l’État, le financement est assuré grâce à l’engagement du ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires qui soutient le programme, ainsi que d’autres partenaires publics et agences, tels que l’Ademe ou la Caisse des dépôts.

Le « ticket d’entrée » pour POPSU Transitions sera sans doute un peu plus élevé car nous voulons renforcer nos ambitions et nous tourner vers les sciences de la nature et de l’environnement afin de mesurer les trajectoires territoriales des transitions, ce qui nécessite un investissement plus important.

Avez-vous des exemples concrets de retombées positives pour le développement des territoires tirés des projets déjà menés ?

Bien sûr ! Tout d’abord et en préalable, l’une des retombées positives pas forcément attendue renvoie à la méthode de travail elle-même. Réunir autour de la même table, élus, services des collectivités, opérateurs de l’action publique, en particulier agences d’urbanisme, et chercheurs, ne constituent pas qu’un mode de faire ou un dispositif méthodologique, mais bien un résultat en soi. Ce dialogue nourri et constant permet de partager des analyses, des constats, de débattre de solutions possibles et de leurs angles morts.

Nos résultats par site d’observation se présentent sous forme d’ouvrages grand public que nous publions aux éditions Autrement (groupe Flammarion). Ils sont réunis au sein d’une même collection – les Cahiers POPSU – qui, d’une part, renforcent l’effet programme et la comparabilité des recherches, et d’autre part, permettent une forte appropriation par les décideurs, élus et services des collectivités, qui s’en emparent pour nourrir leurs réflexion stratégique et prospective.

En ce qui concerne la question économique, les résultats consolidés issus des plateformes de POPSU Métropoles soulignent un point important : les territoires métropolitains ont changé d’époque. En quelques années, nous sommes passés de l’impératif de la croissance, de l’attractivité et de la compétitivité des territoires, à celui de l’habitabilité, de la solidarité et de l’hospitalité.

Les critiques contre l’égoïsme métropolitain n’ont pas été sans effet, mais peut-être moins que la prise de conscience de l’entrée dans l’anthropocène et son lot de grandes crises : sanitaires, climatiques, démocratiques et économiques, donc. Quasiment partout, à des degrés certes divers, le discours a changé et les politiques aussi. L’attractivité économique n’a pas disparu comme objectif mais son sens a profondément muté, ainsi que ses publics : il s’agit d’être attractif, c’est-à-dire désirable, d’abord pour sa population et ses classes les plus fragiles, et moins pour les investisseurs internationaux ou les touristes.

À Clermont Ferrand, par exemple, l’enquête POPSU a montré que l’attractivité d’un territoire se décline désormais autour de la « qualité d’un lieu » qui n’est plus associée seulement à l’économie productive mais passe par l’amélioration du cadre de vie. Cela a impliqué une réorientation des stratégies économiques à travers la mise en œuvre de démarches plus participatives. Le choix de plus en plus fréquent de développer l’économie résidentielle/présentielle par les acteurs locaux, associée plus ou moins à l’économie productive, a élargi le potentiel de développement socioéconomique du territoire et a renouvelé les approches classiques de l’attractivité métropolitaine.

« Dans cette nouvelle orientation », nous disent les chercheuses clermontoises qui ont mené la recherche (Hélène Mainet, Milhan Chaze et Jean-Charles Édouard), « les dimensions sociales (bien-vivre), environnementales (cadre de vie) et économiques (conditions de vie) dans les politiques publiques mises en place, ou à mettre en place, sont essentielles. Il s’agit bien alors de favoriser le développement des spécificités qualitatives des territoires. Un nouveau paradigme d’attractivité apparaît, non plus basé exclusivement sur des données quantitatives mais largement porté sur des aspects qualitatifs. Le « bien » (bien-vivre, bien-être, bien-vieillir, bien travailler, etc.) s’ajoute au « plus » et devient un argument de communication et de positionnement de nombreux territoires. »

J’ajoute enfin un résultat important qui est le fruit d’une étude nationale menée par Magali Talandier à propos de « l’économie métropolitaine ordinaire » (dont le Cahier POPSU sera publié en avril prochain). À rebours d’une vision « élitiste » des économies des métropoles, elle montre que ces dernières sont aussi composées d’un tissu invisibilisé mais essentiel et qui « se caractérise par sa capacité à rendre des services aux secteurs économiques du territoire. Approvisionnement, vente, tournée des salariés se passent majoritairement à cette échelle macro-locale, quelque part entre l’extranational des activités exportatrices et l’hyper-proximité des activités présentielles ». Or, relève-t-elle « chacune de ces échelles de flux, ou de circulation des biens, des services, des travailleurs, mobilise des acteurs différenciés et des politiques publiques distinctes. ».

On voit bien à travers ces deux exemples la contribution des travaux de POPSU : rompre avec les idées reçues par des pas de côté effectués par les chercheurs et les élus, et révéler des propriétés invisibles des politiques publiques locales.

Le nouveau programme POPSU qui débute s’intitule POPSU Transitions. Pourquoi avoir mis « transitions » au pluriel ?

Nous tenons en effet à notre pluriel ! Nous invitons les plateformes acteurs-chercheurs à s’emparer des transitions dans une conception holistique, transversale et globale. Considérant que l’urgence climatique est le déclencheur d’un certain nombre de mutations dans les territoires urbains, nous envisageons de déplier les transformations et reconversions dans l’ensemble des dimensions de l’action publique.

Dans le domaine économique car, à l’ère de la post-attractivité, l’enjeu majeur est celui de la réindustrialisation décarbonnée de nos territoires et de la reconversion des zones d’activité. Dans le domaine social, car la crise environnementale pose de redoutables défis en matière de justice spatiale, d’inclusion sociale et d’égalité territoriale. Dans le domaine des politiques d’aménagement, car l’objectif normatif du Zéro artificialisation nette se traduit par une bifurcation complète des agendas locaux désormais tournés vers la densification ce que la plateforme aixo-marseillaise qualifie d’« intensification urbaine ». Dans le domaine de la préservation des ressources et de la lutte contre l’effondrement de la biodiversité. Dans le domaine de la prévention des risques naturels ou industriels. Dans le domaine de la réduction de la consommation énergétique qui passe par un important chantier de rénovation du patrimoine foncier et immobilier public. Dans le domaine de l’agriculture.

Je pourrais continuer ! Deux derniers exemples, si vous me le permettez : dans le domaine démocratique, d’abord, car des transitions sont aussi à l’œuvre et observables notamment à travers la multiplication des conventions citoyennes sur le climat ; et dans le domaine culturel, car l’année 2023 constituera une année décisive pour l’attribution du label Capitale européenne de la culture 2028 à une ville française. Or, un certain nombre de villes candidates – dont des villes partenaires de POPSU – placent au cœur de leur projet l’articulation entre culture et transition écologique.

J’évoque ici les thématiques pré-identifiées au sein des plateformes et qui font actuellement l’objet de la co-construction entre collectivités et équipes de recherches. Elles seront stabilisées dans les prochaines semaines, validées par les élus et accréditées par le conseil scientifique de POPSU. Viendra alors le temps de la mise en œuvre des recherches sur le terrain.

Propos recueillis par Fabien Bottini, Consultant, Professeur à Le Mans Université, Membre de l’IUF

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