Abdelkrim Marchani : “La réindustrialisation ne passera qu’avec un plan national sur les friches” (2/2)

Publiée le 21 juillet 2021 à 10h40 - par

Deuxième partie de notre entretien avec Abdelkrim Marchani, vice-Président en charge du développement économique de la Métropole de Rouen.
Abdelkrim Marchani : “Dépenser l’argent du plan de relance le plus rapidement possible est un défi” (1/2)

Les métropoles étaient présentées avant la crise comme des « locomotives » du développement économique. Est-ce encore vrai aujourd’hui ?

Leur statut se trouve conforté dans la mesure où la crise a permis de décloisonner un certain nombre d’acteurs et de politiques qui opéraient jusqu’alors en silo. La métropole reste l’un des moteurs du développement économique, en ce sens qu’elle agit non pas en concurrence des autres niveaux de territoires mais en leader, notamment au niveau du bloc communal.

Mais comment garantir le succès d’une politique économique ambitieuse au niveau intercommunal ?

Notre projet politique avec Nicolas Mayer-Rossignol est d’arriver à créer l’écosystème qui permettra à tout un chacun d’allier vie professionnelle et vie personnelle. Car cet équilibre est important pour attirer des jeunes dans la circonscription. Pour ce faire, nous portons un projet ambitieux dont « Rouen normandy invest » assure la promotion. Mais le succès d’une politique métropolitaine forte nécessite une impulsion qui parte aussi d’en bas. C’est la raison pour laquelle nous sommes soucieux d’associer les jeunes à son élaboration, sachant que notre circonscription ne manque pas d’atouts pour être le moteur de la sortie de crise et de l’épanouissement de chacun.

La décentralisation, telle qu’elle est actuellement pensée, vous permet-elle véritablement d’atteindre ces objectifs ?

Plus de décentralisation est souhaitable de mon point de vue. La pire des choses qui pourrait nous arriver, c’est que Bercy ferme les vannes dès que la crise sera passée. Il va certes falloir rembourser la « dette Covid », mais sans casser la dynamique actuelle.

De ce point de vue, les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) ne doivent pas être l’occasion de re-centraliser la prise de décision. Il faut donner des marges de manœuvres aux territoires et leur faire confiance. Il faut laisser les initiatives se développer ; identifier ce qui fonctionne et l’accentuer. Il ne faut pas un « gendarme des sous » qui décide et fasse des cotes mal taillées. On ne peut plus se permettre de laisser les grosses machines décider.

Sur la bio-tec, la métropole a dû soutenir une start up locale qui a développé un médicament contre la Covid pour qu’elle puisse s’installer sur le territoire alors qu’elle était en train de se décourager et de se résigner à s’implanter à l’étranger. La question devient : comment être agile pour libérer les énergies, la réactivité et l’innovation ? La réponse s’impose d’elle-même : il faut une autre approche de l’action publique, fondée sur la réactivité et l’expérimentation, que seule une décentralisation accrue permettra de garantir.

Le plan de relance vous semble-t-il à la mesure des évènements ?

Il est difficile de répondre à cette question. L’intention est bonne. Que ce soit au niveau européen ou américain, on voit bien que le signal à envoyer est celui de l’investissement pour rassurer les opérateurs économiques et redonner de la visibilité. Il faut donner un cap à un moment où les entreprises ne peuvent pas se projeter. C’est très important.

Mais dans les enjeux forts, comme la réindustrialisation, il y a un sujet clé : c’est le foncier. Si on n’en a pas de disponible, on ne peut pas accueillir de nouvelles industries ou voir celles déjà implantées se développer. Or, le foncier disponible se fait rare à partir du moment où l’objectif devient zéro artificialisation des sols. Comment résoudre cette équation ?

Sur le territoire de la métropole, la solution consiste à dépolluer les friches industrielles à l’abandon. Mais ce travail de résorptions des friches a un coût. Il y a bien une ligne budgétaire dédiée à la question dans le plan de relance. Mais le montant alloué n’est absolument pas à la hauteur des enjeux. Le préfet lui-même reconnaît qu’il y a 10 fois plus de demande que l’enveloppe existante. Il faut donc investir de façon plus importante sur cette question et comprendre que l’industrialisation ne passera que si elle s’accompagne d’un plan national sur les friches.

D’un côté, il faut certes arrêter l’artificialisation des sols. Le Conseil métropolitain est sensible à cette question qui faisait partie de son programme. Mais, d’un autre côté, il faut travailler sur les friches et donc dépolluer.

Au niveau de la métropole de Rouen, on compte 140 hectares de friches, sans compter celles qui concernent le port de Rouen qui connaît les mêmes difficultés. Il faut donc un plan massif pour les dépolluer car, si demain on réindustrialise, il serait absurde de refuser des projets d’implantation faute de foncier disponible. Or, le risque est réel. C’est pourquoi il faut préparer le terrain.

Pour ce faire, un certain nombre de délibérations ont déjà été prises par le Conseil métropolitain afin que la métropole puisse se porter acquéreuse de terrains disponibles. La métropole travaille en outre avec des start up innovantes sur la dépollution. On investit de façon à avoir une politique de l’offre sur le foncier dans une perspective internationale.

L’idée est d’être prêt à accueillir les investisseurs pour éviter de les voir aller s’implanter ailleurs, dans un autre pays. La tentation est déjà grande pour eux, il faut le savoir, car la réglementation française est assez complexe pour mettre les fonciers à dispositions. En l’état actuel des choses il est vrai, Rouen ne souffre pas de difficulté à commercialiser le foncier pour les entreprise endogènes (déjà présentes sur le territoire) et exogène (qui veulent s’y implanter), mais on a senti qu’on pourrait être pris de court dans les années à venir. C’est pourquoi on anticipe. D’autant que l’on a un avantage compétitif, lié au fait qu’on est un territoire riche en énergie. On est proactif dessus pour répondre aux demandes, y compris vis-à-vis des pays émergents. La métropole démarche en Afrique, notamment francophone, pour trouver des fortunes capables d’investir en Normandie. Cela peut paraître contre-intuitif car les idées reçues sur l’Afrique ont la vie dure, mais il faut savoir qu’il y a des personnes fortunées sur le continent dont le nombre s’accroit et qui cherchent à investir. Notre politique vise à accueillir au mieux leurs investissements.

La transition écologique peut-elle vraiment être le moteur de l’économie de demain du territoire métropolitain ?

Pour notre mandat, on a fait le choix de l’accélération de la transition sociale et écologique en y mettant une dimension culturelle pour que Rouen devienne capitale européenne de la culture en 2028. La transition écologique est donc pour nous une nécessité. Mais comment en faire un moteur économique ?

Un premier défi est celui de l’énergie. C’est pourquoi on a des projets sur le territoire pour développer les énergies renouvelables. On travaille sur la technologie hydrogène avec d’autres villes de l’axe Seine ; sur celle de la batterie avec les entreprises de la circonscription qui travaillent dans le domaine. On se bat pour la reprise de la papeterie de La Chapelle Darblay, qui est pionnière dans le recyclage et l’économie circulaire. C’est un dossier très important pour nous. Six repreneurs se sont manifestés alors que tout le monde voyait cette entreprise finie. Enfin, on procède à la rénovation thermique des bâtiments de la métropole, pour être exemplaire et réduire notre consommation d’énergie.

Quel enseignement essentiel tirez-vous de la crise sanitaire ?

Je voudrai insister sur la solidarité que j’ai constatée durant la crise sanitaire. Car les personnes publiques ne sont pas les seules à s’être dépensées pour atténuer ses conséquences économiques. La métropole a certes veillé à donner l’exemple en accélérant, comme je l’ai dit, un certain nombre de grands travaux. On a maintenu et même augmenté les commandes. De 250 millions d’euros d’investissement annuel, elles sont passées à 300-350 millions.

Indépendamment de la baisse de la fiscalité, on a voulu montrer l’exemple pour que tout le monde comprenne que ce qu’on faisait des opérateurs privés pouvaient aussi le faire. Or le message est passé auprès de certaines grandes entreprises qui ont, elles aussi, maintenu leurs commandes pour soutenir leurs sous-traitants. C’est une caractéristique de la métropole de Rouen que n’ont pas beaucoup d’autres territoires : avoir un important écosystème industriel fait que les grands groupes ont compris que leur intérêt était aussi de soutenir les TPE/PME de la circonscription.

 

Propos recueillis par Fabien Bottini, consultant qualifié aux fonctions de Professeur des Universités

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