Analyse des spécialistes / Fonction publique

Le licenciement pour insuffisance professionnelle dans la fonction publique où en est-on ?

Publié le 11 avril 2024 à 14h20 - par

M. Stanislas Guerini, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, a présenté, le 9 avril 2024, aux organisation syndicales son projet de loi sur la rémunération au mérite. Il a également évoqué la question du licenciement en cas d’insuffisance professionnelle d’un agent public.

Le licenciement pour insuffisance professionnelle dans la fonction publique où en est-on ?
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Le 9 avril 2024, le ministre a déclaré dans les colonnes du journal Le Parisien : « je veux qu’on lève le tabou du licenciement dans la fonction publique ». Le même journal évoque les chiffres suivants : « les chiffres sont dérisoires. En 2022, la fonction publique d’État a procédé dans ses rangs à… treize licenciements pour insuffisance professionnelle (onze hommes et deux femmes) et 222 pour motifs disciplinaires (192 concernent des hommes, 30 des femmes), selon des chiffres du ministère, sur un effectif de 2,5 millions d’agents environ. À titre de comparaison, le nombre de licenciements dans le secteur privé en 2022 a atteint 1,07 million (dont 94 835 pour motifs économiques) ». Outre, la confusion entre la révocation et le licenciement pour insuffisance professionnelle, cela accréditerait l’idée qu’un agent public non méritant peut continuer d’exercer. Les propos du ministre posent surtout la question de la mesure du mérite dans la fonction publique alors que des outils existent déjà.

1. Le licenciement pour insuffisance professionnelle, une catégorie distinguant la faute disciplinaire et l’absence de mérite de l’agent public

Premièrement, l’article L. 550-1 du Code général de la fonction publique (CGFP) dispose que : « la cessation définitive de fonctions qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire résulte : (…) 3° Du licenciement ; 4° De la révocation ».

Deuxièmement, la jurisprudence a précisé la définition de l’insuffisance professionnelle. Celle-ci peut être caractérisée par le comportement général dans les relations de travail et la mauvaise organisation du travail1. Ainsi, l’insuffisance professionnelle est caractérisée par l’inaptitude d’un agent à exercer les fonctions d’un grade par rapport aux exigences de capacités que l’administration est en droit d’attendre d’un agent public dans un tel grade2.

Troisièmement, la faute disciplinaire induit une faute caractérisée, sanctionnée dans le cadre d’une procédure disciplinaire. Or, l’insuffisance professionnelle est définie par « un manque de diligence, de rigueur dans l’exécution du travail, l’inaptitude à exercer ses tâches professionnelles » de la part de l’agent visé3.

Le licenciement ne devrait pas être un tabou dès lors que les textes et la jurisprudence lui donne un cadre juridique. Or, il est nécessaire de comprendre ce qui peut freiner la mise en place de la procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle.

2. La corrélation incertaine entre la mesure du mérite de l’agent public et l’activation d’une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle

Les entretiens individuels permettent de mesurer la diligence, la rigueur dans l’exécution du travail et l’aptitude de l’agent à exercer ses tâches professionnelles.

Premièrement, les critères à partir desquels la valeur professionnelle de l’agent est appréciée, au cours d’un entretien, sont établis en fonction de la nature des missions qui lui sont confiées et du niveau de responsabilité assumé. Or, les textes ne définissent pas davantage ce qu’est un objectif réalisable.

Deuxièmement, cette absence de clarté a des conséquences sur l’appréciation de la valeur des agents et freine la mise en place de procédures de licenciement pour insuffisance professionnelle. Or, cela biaise l’esprit des nouvelles lignes directrices de gestion.

Troisièmement, les textes globalisent l’entretien professionnel en prévoyant un processus double. L’agent est d’abord évalué, puis il fait part de ses projets professionnels. Seul l’entretien d’évaluation ne devrait faire apparaitre les résultats obtenus par l’agent afin de pouvoir déclencher plus facilement des procédures de licenciement pour insuffisance professionnelle.

Plus que de lever « le tabou du licenciement », il y aurait davantage le besoin d’un dialogue entre tous les acteurs de l’évaluation professionnelle pour définir une méthode afin d’identifier les critères du mérite, de former les évaluateurs à ces critères et d’évaluer régulièrement ces critères d’appréciation de la valeur professionnelle des agents. Cela permettrait d’expliquer aux agents évalués l’adéquation entre leur manière de servir et leur appréciation pour justifier un licenciement pour inaptitude professionnelle.

Dominique Volut, Avocat-Médiateur au barreau de Paris, Docteur en droit public


1. CE, 19 février 1954, Couture, n° 18198 [p. 63].

2. CE, 31 mai 1968, Dame Duprerré, n° 67050.

3. CE, 17 mars 2004, CNRS, n° 205436.

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