En effet, si juridiquement un employeur public peut refuser une rupture conventionnelle à son agent, est-ce qu’il est pour autant convaincant à maintenir l’agent motivé ?
Le 6 août 2019, les I et III de l’article 72 de la loi de transformation de la fonction publique ont étendu le dispositif de rupture conventionnelle à la fonction publique2. Deux décrets du 30 décembre 2019 ont précisé les conditions d’application de cet article 723. Ces dispositions précisent que l’administration et l’agent public peuvent convenir en commun des conditions de la cessation définitive des fonctions, qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire. La rupture conventionnelle ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties. C’est justement ce qu’est venu précisé cette décision du tribunal administratif de Nîmes.
En l’espèce, un agent public, secrétaire de classe exceptionnelle affectée au service interministériel départemental des systèmes d’information et de communication du Gard, est rattaché au pôle de proximité en tant que technicien au bureau « support utilisateurs ». Le 8 janvier 2020, elle a présenté une demande tendant au bénéfice de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle auprès de la direction des ressources humaines du ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires. Elle a été reçue en entretien le 13 février 2020. Par une décision du 30 octobre 2020, l’adjoint au directeur des ressources humaines du ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires a refusé de faire droit à sa demande. Par courrier du 27 novembre 2020 réceptionné le 1er décembre suivant, elle a formé un recours gracieux. Du silence de l’administration est née une décision implicite de rejet le 1er février 2020. L’agent a demandé au tribunal « d’annuler la décision du 30 octobre 2020, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux ». Sa requête a été rejetée par une décision du 21 avril 2023.
1. La rupture conventionnelle ne peut pas être imposée par l’agent à son employeur public
Premièrement, la requérante soutenait notamment que la décision de refus de lui accorder une rupture conventionnelle souffrait d’un défaut de motivation. Le juge a répondu que la rupture conventionnelle « ne constitue pas un droit pour les fonctionnaires qui en remplissent les conditions, et aucun texte législatif ou réglementaire ou principe général du droit ne l’impose, la décision en litige rejetant la demande de rupture conventionnelle présentée par Mme B n’avait pas à être motivée ». Il le répétera dans les considérants 4 et 8 de la décision laissant peu de place.
Deuxièmement, le juge rappelle que l’autorité administrative ne peut légalement opposer un refus à la demande régulièrement formée par le fonctionnaire qui envisage une rupture conventionnelle sans avoir préalablement organisé l’entretien qu’elle prévoit, cet entretien devant porter sur le principe même d’une telle rupture conventionnelle qui ne peut résulter que d’un accord entre les parties intéressées.
Troisièmement, le juge a rejeté tous les arguments de la requérante et notamment le fait qu’elle ne puisse pas motiver sa demande de rupture conventionnelle sur son état de santé et la réduction du temps de travail qui en découlait pour que son employeur lui fasse droit automatiquement.
Si la motivation de la décision du 21 avril 2023 est particulièrement pertinente pour démontrer que les agents n’ont pas un droit à la rupture conventionnelle, elle n’en questionne pas moins le dispositif de rupture conventionnelle. Par conséquent, un agent qui voudrait partir de son administration qui refuse la rupture conventionnelle n’aura pas d’autre choix que de démissionner.
2. La rupture conventionnelle peut être mieux traitée en matière de gestion des ressources humaines
L’esprit de la loi du 6 août 2019 était de favoriser la mobilité professionnelle. La rupture conventionnelle s’inscrit dans ce cadre. L’étude d’impact du projet de loi de transformation de la fonction publique précise que : « l’objectif poursuivi est d’accompagner les démarches volontaires de départ de la fonction publique avec une garantie supplémentaire pour les agents concernés »4.
Premièrement, une demande de rupture conventionnelle n’est jamais anodine et quand l’agent reçoit une décision de refus simplement motivée sur le fait qu’il n’a aucune obligation d’imposer celle-ci à son employeur, il peut mal le vivre et ressentir de l’incompréhension. Si juridiquement son administration a raison, est-ce qu’elle est pour autant convaincante ? En d’autres termes, est-ce que l’agent va rester motiver si on lui a refusé une rupture conventionnelle qui lui impose de rester dans son administration ?
Deuxièmement, actuellement, le dispositif de rupture conventionnelle prévoit un entretien obligatoire. C’est l’occasion d’interroger l’agent sur sa profonde motivation. Pourquoi est-ce aussi important pour l’agent de vouloir quitter la fonction publique ? Cet entretien doit davantage servir à questionner et à reformuler les propos de l’agent pour comprendre sa démarche. Cela ne doit pas seulement être un entretien où le but est de dire oui ou non à sa demande. Il est important que tous les acteurs et notamment les décideurs participent à cet entretien pour éviter que l’agent croit qu’on va lui dire oui, alors que le décideur dira non in fine. C’est pourquoi, il apparaît nécessaire que les employeurs publics intègrent la rupture conventionnelle dans une logique de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences pour mieux anticiper les demandes. En effet, l’administration, comme l’agent peuvent en être à l’initiative. Le moment de l’entretien professionnel peut permettre d’anticiper une future demande de rupture conventionnelle.
Enfin, il convient de noter que, pour les fonctionnaires et non pour les contractuels, une expérimentation de rupture conventionnelle est créée, pendant une durée de six années, de 2020 à 2025. Pour autant, les dispositions actuelles n’encouragent ni les administrations à accepter les demandes de rupture conventionnelle, ni les agents à en solliciter. Le dispositif mis en place peut être perçu comme fortement dissuasif pour les deux parties pour des raisons financières. La médiation conventionnelle, prévue aux articles L. 213-5 à L. 213-6 et R. 213-4 du Code de justice administrative, permettrait à l’agent de renouer le dialogue avec son employeur pour expliquer son choix de quitter l’administration en cas de refus de celle-ci de lui accorder une rupture conventionnelle.
Les difficultés de mise en place du dispositif soulignent qu’il est nécessaire pour les employeurs publics, comme pour les agents, de ne pas tout attendre de la procédure de rupture conventionnelle pour régler les problèmes. (Re)nouer le dialogue en amont entre les employeurs publics, les partenaires sociaux et les agents est important pour comprendre les besoins de chacun.
Dominique Volut, Avocat-Médiateur au barreau de Paris, Docteur en droit public
1. Tribunal administratif de Nîmes, 4e Chambre, 21 avril 2023, n° 2100417.
2. Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, NOR : CPAF1832065L, JORF n° 0182 du 7 août 2019, texte n° 1.
4. Étude d’impact du projet de loi « transformation de la fonction publique », p. 266.