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Codification du droit de la fonction publique : un code incomplet pour plusieurs années encore

Publié le 29 juin 2022 à 8h30 - par

L’année 2021 a connu la publication de l’ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021 portant partie législative du Code général de la fonction publique. Cette entreprise a été saluée par la Commission supérieure de codification dans son trente-deuxième rapport annuel. Elle n’a toutefois pas manqué de regretter que ce code soit amputé de sa partie réglementaire.

Codification du droit de la fonction publique : un code incomplet pour plusieurs années encore

L’entrée en vigueur de ce code incomplet à compter du 1er mars 2022 offre l’occasion de s’interroger sur la pertinence des choix retenus par le Gouvernement et sur l’issue du chantier de codification.

1. L’entrée en vigueur d’un code incomplet : un choix assumé

Plusieurs motifs expliquent ce choix.

Un calendrier trop serré et un contexte peu propice ont été avancés. En effet, cette ordonnance aura été publiée dans un délai de 28 mois, alors que la tâche à accomplir était immense, d’autant plus que ce Code a été développé dans un contexte de mutation du droit de la fonction publique et de pandémie.

La loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, qui a poursuivi et accentué un mouvement de transformation profonde de ce droit, a nécessité de nombreux textes réglementaires d’application, peu propice au travail de codification à droit constant.

Quant à la pandémie, elle a contraint les services compétents, en particulier ceux de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), à consacrer du temps aux textes de gestion de la crise sanitaire.

Plus fondamentalement, le choix de la publication d’un « code incomplet » s’explique par une détermination politique et une ambition administrative. « Mieux vaut un code temporairement incomplet plutôt que de courir le risque que ce code, en panne de sa partie réglementaire, ne voie jamais le jour. » (v. C. de Salins, B. Chavanat, J. Michel, Le Code général de la fonction publique, enfin !, AJDA 2022, p. 287).

C’est également ce qui justifie le choix de la date d’entrée en vigueur qui n’a laissé qu’« une période d’appropriation […] volontairement courte pour empêcher tout retour en arrière » (v. C. de Salins, B. Chavanat, J. Michel, préc.), le recul de la date d’entrée en vigueur au 1er mars  2022 ayant paru raisonnable au Conseil d’État (v. la note de la section de l’administration du 20 juillet, des 6, 19 et 26 octobre et du 10 novembre 2021 (n° 403609), in rapport annuel de la Commission supérieure de codification 2021, p. 92).

2. L’entrée en vigueur d’un code incomplet : un choix critiqué

Ce choix a été critiqué, à juste titre, pour au moins trois séries de considérations.

2.1. Premièrement, le calendrier contraint retenu a eu trois effets.

D’une part, les possibilités d’innovation ouvertes par l’habilitation inscrite à l’article 55 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019, en vue de procéder à la déconcentration des actes de recrutement et de gestion des agents publics, n’ont pas été utilisées, comme l’a relevé le Conseil d’État dans sa note de la Section de l’Administration du 20 juillet, des 6, 19 et 26 octobre et du 10 novembre 2021 (n° 403609) (v. rapport annuel de la Commission supérieure de codification 2021, p. 93).

D’autre part, l’entreprise de codification n’a pas échappé à un certain nombre de maladresses de rédaction. Un rectificatif de l’ordonnance du 24 novembre 2021 a ainsi été publié au Journal officiel du 23 février 2022.

Enfin, certains aspects n’ont pu être traités. La difficulté tenant à la dualité de normes applicables au droit à l’allocation chômage des agents publics n’a pas été résolue malgré l’invitation en ce sens du Conseil d’État (v. note précitée, p. 92). On relèvera également que le projet de loi ratifiant l’ordonnance prévoit de modifier la partie législative du Code afin de prendre en compte les modifications des lois statutaires intervenues depuis la publication de l’ordonnance.

2.2. Deuxièmement, les modalités d’entrée en vigueur de la partie législative du Code créent une situation complexe.

D’une part, certaines dispositions, telles que celles relatives aux comités sociaux, ne seront applicables qu’après le prochain renouvellement général des instances de représentation des agents publics, soit après le 1er janvier 2023 au plus tard, alors que d’autres dispositions ne seront complètement abrogées qu’après l’entrée en vigueur de la partie réglementaire (art. 7 et 8 de l’ordonnance du 24 novembre 2021).

D’autre part, cela crée une période intermédiaire au cours de laquelle les usagers devront se familiariser avec ce nouvel outil, tout en continuant à se référer aux nombreux décrets d’application des lois statutaires antérieures, comme l’ont relevé la Commission supérieure de codification et le Conseil d’État (v. rapport annuel de la Commission supérieure de codification 2021, p. 13).

2.3. Troisièmement, la Commission supérieure de codification et le Conseil d’État ont regretté que la partie réglementaire du Code n’ait pas été élaborée parallèlement à la partie législative, ce qui aurait permis de mieux apprécier la pertinence de certaines subdivisions du plan retenu, de faciliter les délégalisations ou au contraire les rehaussements au niveau législatif de certaines dispositions réglementaires (rapport annuel 2021, p. 13).

3. L’entrée en vigueur d’un code complet : un horizon à 2024

L’absence de codification simultanée de la partie législative et de la partie réglementaire n’est pas pour autant de mauvais augure.

En effet, il a été fait valoir que la construction de la partie législative s’était faite sur la base d’une « simulation » de la partie réglementaire, en rattachant les décrets à codifier aux différents chapitres pour tester la pertinence et la viabilité du plan (v. C. de Salins, B. Chavanat, J. Michel, préc.). Il existerait donc déjà beaucoup de travaux préparatoires pour la partie réglementaire du code.

De même, les rédacteurs du code ont vérifié la pertinence du niveau, législatif ou réglementaire, de l’ensemble des dispositions à codifier, rehaussant dans la partie législative certaines dispositions réglementaires et déclassant en partie réglementaire des dispositions qui figurent aujourd’hui dans des lois.

C’est ce qui explique que la date d’entrée en vigueur des déclassements est reportée à celle de la partie réglementaire du code (v. art. 8 de l’ordonnance du 24 novembre 2021).

Il faut néanmoins espérer que le rehaussement a été exhaustif, car, dans le cas contraire, il faudrait une nouvelle loi d’habilitation, voire profiter de la loi de ratification déposé à l’Assemblée nationale le 23 février 2022, avant d’être retiré, puis déposé au Sénat le 15 juin 2022.

Enfin, s’il n’a pas été fait usage de l’habilitation à modifier le droit existant afin d’approfondir la déconcentration des actes de recrutement et de gestion, c’est très largement parce que la matière est de niveau réglementaire, comme l’ont montré les nombreux décrets adoptés pendant la période 2019-2021 qui ont procédé à cette déconcentration au sein de la fonction publique de l’État et de la fonction publique hospitalière. La codification de la partie réglementaire devrait donc reprendre ces évolutions.

Il reste que la publication de la partie réglementaire du Code général de la fonction publique est pour le moment repoussée à 2024 (certains craignant même un report sine die de la parution de cette partie : v. D. Jean-Pierre, Le Code général de la fonction publique ou l’utopie de la codification du droit de la fonction publique, JCP A 2022, n° 19-20, 16 mai 2022, act. 348).

La DGAFP a annoncé une codification de 5 000 articles. Un travail considérable reste donc à accomplir pour donner sa cohérence à l’ensemble du code.

Thomas Cortès, Avocat, Docteur en droit et Hugo Tastard, Avocat chez HMS Avocats

Auteurs :

Thomas Cortès

Thomas Cortès

Avocat, Docteur en droit

Hugo Tastard

Hugo Tastard

Avocat


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